Photo: grande manifestation des professeurs à Rabat, convoqué par la coordination des professeurs. Source: alaraby.co.uk
Le 14 décembre dernier, dans le cadre du hirak éducatif, un accord entre la Coordination Nationale du Secteur de l'Éducation, composée par la Fédération Nationale d'Éducation / Orientation Démocratique et 24 Comités de Coordination, et le gouvernement marocain a finalement été trouvé.
Et ce après que le gouvernement ait d’abord refusé de négocier avec les représentants des enseignants (les coordinations) et ait commencé par appliquer des suspensions de travail, surtout pour les enseignants activistes de manière abusive et sans respect de la loi. En raison de l'importance de ce mouvement et des enseignements à en tirer, nous publions cet article comme contribution à la lutte des enseignantes et enseignants au Maroc mais aussi en Belgique et ailleurs.
Ce qu'on appelle le hirak éducatif a commencé le 5 octobre, après la promulgation d’un nouveau Statut.
Les travailleurs se sont alors auto-organisés et ont appelé à s'engager dans des formes de lutte jusqu'à ce que le nouveau Statut soit renversé et que leurs revendications soient atteintes, ce que nous détaillons ci-dessous à travers un entretien que nous avons mené avec un éducateur au Maroc. Il convient de noter que les formes de lutte menées par les travailleurs de l'éducation ont culminé avec une marche nationale historique dans la capitale, Rabat, de plus de 100 000 personnes. Ces formes de lutte ont été menées en dehors des syndicats. En effet, l'impudence bureaucratique de certains syndicats les a amenés à appeler les enseignants à retourner dans leurs classes en connivence ouverte avec le gouvernement.
Ce dernier a essayé de diaboliser et d'intimider le mouvement. Cet élan de lutte sans précédent de deux mois, a obligé le gouvernement à négocier d'abord avec les syndicats les plus représentatifs, alors qu'ils n'appellent pas à la lutte. Les négociations ont abouti à l'adoption d'un accord dont le plus important était une augmentation financière des salaires et des incitations. L'accord a été signé le dimanche 10 décembre. La bureaucratie syndicale a considéré l’accord comme une victoire historique et a appelé les enseignants à revenir au travail.
La réponse des comités de coordination a été de rejeter l’accord et de poursuivre leur lutte jusqu’à ce que le Statut soit renversé et que leurs revendications soient satisfaites. La lutte des enseignants a donc continué et a finalement poussé le gouvernement à accepter de négocier avec les représentants des enseignants le 14 décembre.
Nous vous présentons maintenant un entretien que nous avons réalisé avec un éducateur participant au mouvement au mois de novembre 2023 et nous le remercions pour le temps qu'il nous a accordé :
Le contexte général de la scène éducative avant la nouvelle Loi fondamentale
Ce n’est pas un secret pour vous que le système éducatif au Maroc s’inspire de l’Occident, notamment du modèle français. L'inscription à l'étude commence en septembre de chaque année et se termine en juin. La durée des études à l'école primaire est de six ans, l’enseignement secondaire est de trois ans et l’enseignement secondaire qualifiant dure trois ans, aboutissant au baccalauréat.
Les problèmes du secteur peuvent être résumés dans la faible performance éducative par personne et l’incapacité de l’élève du premier et deuxième niveau primaire d'acquérir les bases d'apprentissage en écriture, en pédagogie et en mathématiques.
A la fin du primaire, les élèves sont par exemple incapables de rédiger un sujet complet en arabe ou en français.
Des réformes successives du système éducatif ont été menées, dont la première a été la Charte de l'éducation et de la formation, pour laquelle un comité a été formé en 1999 pour élaborer la charte :
2000/2010 Le début de la décennie de la Charte,
2009/2012 Le plan tripartite urgent, qui confirme à son tour l'échec de la charte,
2015/2030 Les mesures prioritaires et la vision stratégique de la réforme éducative,
2022/2026 Enfin, la soi-disant feuille de route
Face à cette chronologie des réformes, il n'y a rien de nouveau à signaler, puisqu'il a été constaté que le niveau d'éducation au Maroc était en baisse et que le système éducatif était caractérisé par la confusion et la faiblesse des rendements éducatifs.
Quel est le contenu de la Loi Fondamentale?
L'un des contenus les plus importants est le nouveau statut des enseignants, dont les principaux éléments sont:
- Unification le parcours professionnel des enseignants,
- Création du nouveau niveau /échelle 11 pour les enseignants du primaire et du secondaire,
- Création des écoles dites pionnières, où ils bénéficient de tout le nécessaire et d'un soutien financier annuel pour chaque enseignant d'un montant de 10 000 dirhams, en plus de créer un programme spécial de formation.
- Relance financière est réalisée selon des conditions dont la plus importante est le rendement,
- Instauration d’une formation de base obligatoire pour tous les fonctionnaires,
- Mise en place d’un système de sanctions administratives qui concerne la baisse des grades et des échelons.
- Pouvoir de l’autorité gouvernementale de déterminer les horaires de travail.
Ce nouveau statut est dépourvu de compensation financière, à l'exception des attestations discrétionnaires du carton.
Pourquoi êtes-vous sortis dans la rue pour manifester?
D’abord, la loi fondamentale n’a pas été construite sur le principe de participation. Les syndicats n’ont pas consulté leurs bases. Cette loi qui ne bénéficie en rien aux enseignants de divers domaines, notamment de l’enseignement secondaire.
Ce système est injuste par rapport à d’autres systèmes comme le secteur de la finance où les augmentations des salaires ont atteint 6 000 dirhams.
Elle comprend aussi une page et demi de sanctions disciplinaires pour les professeurs. Les performances en matière d’augmentation de la rémunération sont liées à l’impact sur la réussite scolaire, comme indiqué dans les écoles pionnières.
En plus, l’administration aura une grande autorité pour contrôler la performance du professeur : les pouvoirs accordés aux directeurs vont accroître les excès de pouvoir.
Le nombre de tâches et de responsabilités d’un professeur n’est pas proportionnel au salaire qu’il reçoit. Dans ce cadre, les activités que le professeur pratiquait volontairement deviendront obligatoires, comme la vie scolaire, le théâtre et les sorties. La loi n’a pas retiré les heures de solidarité.
Enfin, elle maintient aussi le cadre académique/contractuel et elle ne l’intègre pas comme statutaire, malgré l’utilisation du mot « intégration » pour le suggérer.
Quelles sont les organisations qui ont appelé à la manifestation?
La coordination comprend actuellement 23 organismes dont :
1) La coordination nationale du secteur éducatif est dirigée par la fédération nationale de l’enseignement.
2) La Coordination des enseignants du secondaire qualifiant.
3) La Coordination unifiée des personnels enseignants et des cadres d’accompagnement au Maroc.
Quelles sont vos demandes ?
Nous demandons l’adoption d’un système de base équitable garantissant la dignité financière et morale de l'enseignant, au même titre que les autres catégories d'emploi public.
Cela n'a pas de sens, par exemple, qu’un assistant soignant au Ministère de la Santé est employé avec un diplôme de neuvième année secondaire et reçoit 5 000 dirhams, alors qu’un professeur du 2ème cycle qualifiant titulaire d'un certificat de licence perçoit 5 000 dirhams.
Nos revendications sont donc :
- Approbation d’un système de rémunération motivée,
- Respect les libertés syndicales et s’abstenir de réductions dues aux grèves,
- Annulation des heures de solidarité non rémunérées,
- Établir une approche participative dans la mise en œuvre de toute réforme,
- Délimiter les cadres des académies et les intégrer dans la fonction publique,
- Création d'un nouvel échelon pour les professeurs qualifiés,
Comment s’articulent les formes de lutte avec la présence d’organisations de coordination et de syndicats ?
Il s’agit aujourd’hui d’une crise de confiance : il est impensable qu’une énorme structure d’emplois du secteur, qui se compte par milliers, perde confiance dans les syndicats, alors que leur bilan est proche de zéro.
Nous sommes confrontés à un document qui n'est pas sacré, car il a été produit par un esprit humain et est criblé d'incomplétudes et d'ambiguïtés.
C'est pourquoi des comités de coordination ont été créés qui, bien qu'ils pensaient ne pas être l'interlocuteur principal, ont coupé l'herbe sous le pied des syndicats et les ont mis dans une position très embarrassante.
Malgré tout cela, les principaux interlocuteurs du Ministère et du Gouvernement sont les syndicats, car ils constituent un partenaire majeur et reconnu.
Dernière question : Quelles sont les perspectives face à l’intransigeance du gouvernement?
Nous ne pouvons pas omettre de souligner ici que pour la première fois, les pères et les mères se tiennent du côté des luttes des enseignants à travers leur soutien et leurs sorties dans la rue ou à travers les déclarations de l’Association des Parents et Mères.
Le Ministère et le Gouvernement sont actuellement en difficulté et ils doivent agir pour sauver ce qui reste de la saison scolaire. Nous approchons maintenant de la fin de novembre et il y a des élèves qui n'ont étudié qu'une seule classe, et certains d'entre eux ne connaissent même pas encore leurs professeurs.
Il est temps que les gens rationnels interviennent pour rechercher une solution qui permette de sauver la saison de l'effondrement.
Il est temps que la logique prévale et qu'on s'éloigne de l'autorité, de l'arrogance, de la hiérarchie et des décisions injonctives et disciplinaires qui n'ont pas leur place dans un secteur où la relation est censée être construite sur l'amitié, le respect et l'appréciation, tout en sacrifiant l'exercice du devoir professionnel.