21 août 2015
75 ans après la disparition de Trotsky
Le 21 août 1940, Léon Trotsky, dirigeant avec Lénine de la Révolution russe de 1917, est décédé au Mexique. La veille, Ramon Mercader, un agent de Staline qui se présentait comme un sympathisant trotskiste, lui avait planté le piolet de la trahison dans le crâne, dans sa maison du district de Coyoacán où il vivait.
Trotsky avait obtenu l'asile politique au Mexique en 1937, huit ans après son expulsion de l'URSS, les gouvernements de différents pays européens lui ayant refusé la résidence.
Au moment de son assassinat, un grand nombre des principaux dirigeants du parti bolchevique, qui avaient dirigé avec Lénine la Révolution d'Octobre, avaient déjà été exterminés par Staline, suite aux fameux « procès de Moscou » dans lesquelles ils avaient été condamnés (y compris Trotsky, par contumace) pour de faux crimes et trahisons, sur la base de monstrueuses falsifications et « aveux » forcés. Ce fut le point culminant du processus de bureaucratisation de l'Etat ouvrier, qui avait gagné de l'ampleur après la mort de Lénine en intronisant une caste bureaucratique contre-révolutionnaire. Celle-ci s'appuyait sur la fausse théorie du « socialisme dans un seul pays » et finirait, cinq décennies plus tard, par restaurer le capitalisme dans le premier pays où il avait été exproprié.
Des milliers de partisans de l'Opposition de gauche dirigée par Trotsky en URSS furent persécutés, assassinés et emprisonnés. La classe ouvrière chinoise, allemande et espagnole ont subi des défaites cruelles sous la responsabilité des partis communistes guidés par la Komintern (la IIIe Internationale, l'Internationale communiste) usurpée par le stalinisme. Tout comme la mort d'une grande partie de l'avant-garde ouvrière révolutionnaire dans la guerre civile (qui a suivi la révolution de 1917) et la défaite de la révolution en Allemagne ont permis la montée du stalinisme en URSS, les nouvelles défaites ont, à leur tour, ouvert la voie à Hitler en Allemagne en 1933 et au déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, en 1939. Les partisans de Trotsky n'étaient qu'une poignée, mais Staline continuait à considérer ce dirigeant comme son pire ennemi, et son obsession était d'en finir avec lui.
La raison principale n'était pas une rancune personnelle, mais bien l'implacable logique contre-révolutionnaire. Trotsky incarnait en lui-même l'expérience des trois révolutions russes (1905, février et octobre 1917) et les traditions révolutionnaires du parti bolchevique. Trotsky étant en vie, une nouvelle montée des masses provoquée par les pénuries de la nouvelle guerre aurait pu trouver une alternative de direction révolutionnaire en lui et dans la Quatrième Internationale récemment fondée.
Son œuvre la plus importante
Trotsky, deux fois président du soviet de Petrograd (en 1905 et en 1917), fondateur et organisateur de l'Armée Rouge, génial théoricien et dirigeant du parti bolchevique et de la Troisième Internationale, a toutefois estimé que sa tâche la plus importante fut la fondation de la Quatrième Internationale. Après que la politique criminelle du stalinisme avait permis le triomphe du nazisme en Allemagne, il est arrivé à la conclusion que la Komintern était passée définitivement du côté de la contre-révolution.
Il était essentiel de fonder une nouvelle Internationale pour continuer la lutte pour la construction d'une direction révolutionnaire mondiale pour la classe ouvrière. La nouvelle Internationale ne regroupait que quelques milliers de cadres révolutionnaires dans le monde entier, mais elle était forte par sa direction, sa morale et ses principes révolutionnaires, ainsi que par la théorie et le programme sur lesquels elle était fondée : la théorie de la Révolution permanente et le Programme de transition. C'est pourquoi la Quatrième Internationale survécut à son fondateur, malgré le coup dur qualitatif que signifiait la perte de son principal dirigeant. Trotsky avait raison : il était parvenu à sauver la continuité du marxisme révolutionnaire pour les nouvelles générations.
Un programme pour la crise actuelle
La bureaucratie stalinienne a mené à la restauration du capitalisme en URSS et dans les autres Etats ouvriers bureaucratisés. Mais à la fin des années 1980 et au début des années 1990, les masses soviétiques et de l'Europe de l'Est furent les protagonistes de grandes révolutions qui ont liquidé les régimes staliniens, alors déjà au gouvernement d'Etats capitalistes. Ces révolutions ont libéré les travailleurs du monde de ce sinistre appareil contre-révolutionnaire. Ce fut une victoire colossale qui a ouvert une nouvelle étape de la lutte de classes mondiale, dans laquelle a éclaté en 2007 la plus grande crise du capitalisme depuis 1929.
La crise s'approfondit de semaine en semaine, et dans les pays impérialistes, les gouvernements organisent des renflouages massifs de milliards de dollars pour sauver les banques et les entreprises les plus importantes. La Grèce et l'Espagne sont déjà en faillite, l'Italie et le Portugal les suivent et toute l'Union européenne est ébranlée. La recette des gouvernements pour surmonter la crise est l'amer ancien médicament capitaliste : des attaques sauvages contre l'emploi, les salaires, les pensions, les conditions de travail, les budgets de la santé et de l'éducation, et une augmentation brutale de l'exploitation. Dans les mots de Trotsky : « la bourgeoisie reprend chaque fois avec la main droite le double de ce qu'elle a donné avec la main gauche. »
Cela a déclenché une réponse des travailleurs et des secteurs populaires jamais vue depuis des décennies. Des millions de travailleurs organisent de combatives grèves générales en Grèce et en Espagne. Dans ce dernier pays, des centaines de milliers de gens descendent dans la rue contre l'ajustement et soutiennent en masse la grève héroïque des mineurs de charbon. L'économie chinoise, le « nouveau joyau capitaliste », ralentit et commence à retomber. Parmi les pays dominés, ceux qui semblaient à l'abri de la crise, il y a quelques années, tels que le Brésil, commencent à glisser vers le gouffre.
Cependant, c'est aussi le moment où le programme de la Quatrième Internationale montre toute sa force et sa validité historique, comme seule issue réelle à la crise brutale, en faveur des travailleurs. Des mesures telles que l'échelle mobile des salaires en fonction de l'inflation, la répartition des heures de travail avec le même salaire pour garantir l'emploi, la nationalisation sans compensation des banques et des principales entreprises sous contrôle de leurs travailleurs, contenues dans le Programme de transition, sont devenues incontournables pour munir le mouvement ouvrier et populaire d'un plan ouvrier alternatif. Et elles sont, comme Trotsky l'a formulé, le pont par lequel le mouvement ouvrier peut maintenant aller de l'avant avec sa mobilisation à la conquête de son propre gouvernement, ouvrant la voie à une issue socialiste.
Pour la reconstruction de la Quatrième Internationale
La Ligue Internationale des Travailleurs – Quatrième Internationale (LIT-QI) est l'organisation internationale fondée par Nahuel Moreno, il y a 33 ans. Elle est l'héritière du courant, dirigé par ce dernier, qui a lutté pendant des décennies au sein de la Quatrième Internationale après la mort de Trotsky contre l'abandon des principes révolutionnaires, un abandon qui a mené à la crise et la dispersion du trotskisme. Après avoir surmonté une crise grave, en raison de la mort de notre dirigeant principal et du « déluge opportuniste » qui a balayé la gauche dans les années 1990, la LIT-QI a repris résolument la bataille pour la reconstruction de la Quatrième Internationale et le regroupement des révolutionnaires.
Comme résultat de l'intervention dans la lutte de classes et le réarmement théorique, programmatique et politique de ces dernières années, notre présence dans le monde a pu faire des progrès. Le PSTU du Brésil est présent dans les principales mobilisations et dans la direction de la CSP-Conlutas, la principale centrale syndicale alternative dans le pays. Corriente Roja joue actuellement en Espagne un rôle de premier plan dans l'affrontement contre le gouvernement Rajoy, dans le soutien à la lutte des mineurs et dans le regroupement du syndicalisme alternatif. Le Movimiento Alternativo Socialista (MAS) joue un rôle de premier plan dans les luttes au Portugal. Le Partito di Alternativa Comunista (PdAC) dirige la Coordination des luttes No Austerity en Italie. En Argentine, un regroupement d'organisations révolutionnaires a conduit à la formation du PSTU-A. Au Paraguay, les camarades du PT sont activement impliqués dans la Confédération de la classe ouvrière (CCT). En Colombie, le PST dirige la Coordination des luttes à Cartagena et à Bogota. La LIT-QI s'est également étendue à de nouveaux pays en Amérique latine, comme le Honduras, le Costa Rica et El Salvador.
Plus récemment s'y sont incorporées sa première section en Afrique (la LSP du Sénégal) et sa première présence en Asie (à travers la formation du Comité pour les Républiques socialistes d'Asie, en Inde et au Pakistan).
Les batailles actuelles
Quand Trotsky a fondé la Quatrième Internationale, il l'a fait, comme nous l'avons vu, pour défendre la théorie et le programme révolutionnaire contre la déformation et la destruction menées par les staliniens.
L'une des batailles politiques centrales qu'il a menées était une lutte mortelle contre le réformisme et la collaboration de classe avec la bourgeoisie, que le stalinisme et la vieille social-démocratie promouvaient dans le monde. Les deux organisations – bien qu'avec des rôles et des endroits d'intervention différents – formaient un bloc pour sauver le capitalisme et empêcher le triomphe de la révolution socialiste nationale et internationale.
Actuellement, la plupart des organisations sociale-démocrates sont en profond déclin (payant le coût de leur soutien inconditionnel à l'impérialisme). Le stalinisme, pour sa part, est entré dans une crise profonde après la chute de l'URSS : une partie de ses organisations se sont transformées carrément en partis bourgeois, tandis que d'autres se sont recyclées dans le courant castro-chaviste – que nous avons combattu toutes ces années précédentes –, également touché durement par la profonde crise au Venezuela et la restauration capitaliste à Cuba.
La réalité de la dynamique de développement de plus en plus régressive du capitalisme impérialiste (aiguisée à l'extrême par la crise ouverte en 2007) ne laisse plus aucune marge de manœuvre pour donner l'une ou l'autre concession ou petite réforme pour atténuer l'exploitation. Ce qui fait que ces courants, en arrivant au pouvoir ou à peine quelques années après, sont obligés de mettre en œuvre des plans d'austérité très durs qui montrent leur vrai visage d'agents du capitalisme et de l'impérialisme.
Le chavisme au Venezuela et le PT au Brésil avaient une marge de quelques années qui s'est maintenant épuisée. Mais le gouvernement d'Alexis Tsipras et de Syriza en Grèce n'en a aucune et il doit d'emblée attaquer durement les travailleurs et les masses. Ce sont autant de raisons d'une nécessité accrue pour les révolutionnaires de s'opposer depuis la gauche à ces gouvernements bourgeois, se positionnant clairement du côté des travailleurs et des masses.
Comme un aspect spécifique de la lutte actuelle contre le nouveau réformisme, il y a le débat intense avec ces courants, provenant du camp révolutionnaire et du trotskisme, qui abandonnent cette bataille centrale de Trotsky et soutiennent (ouvertement ou subrepticement) ces gouvernements, argumentant, par exemple, qu'ils « reflètent l'actuel rapport de forces et le niveau de conscience des masses ».
C'est un faux argument qui va à l'encontre de la réalité, par exemple en Grèce et au Brésil. Mais, même s'il avait des bases réelles, la nécessité de lutter contre le réformisme, la collaboration de classe et ce type de gouvernements est une question de principes pour le trotskysme. C'est-à-dire qu'elle ne peut pas être soumise à des considérations conjoncturelles. Ceux qui abandonnent ces principes – bien qu'ils continuent à revendiquer formellement la figure du grand révolutionnaire pour déguiser leur capitulation – abandonnent également les enseignements de Trotsky.
Voilà les batailles que la LIT-QI est disposée à mener, et la forme concrète de mener à bien les enseignements de Trotsky. Nous revendiquons avec fierté son héritage et nous assumons, une fois de plus, son vieux cri de guerre :
« Travailleurs de tous les pays, regroupez-vous sous la bannière de la Quatrième Internationale.
C'est la bannière de votre prochaine victoire ! »