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Ligue Communiste des Travailleurs

Section belge de la Ligue Internationale des Travailleurs -
Quatrième Internationale (LIT-QI)

« L'émancipation des travailleurs sera l'œuvre des travailleurs eux-mêmes. » K. Marx

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Le 9 novembre 1989

Il y a vingt ans, la chute du Mur de Berlin :
Une grande victoire du peuple allemand : la réunification.

Dans la nuit du 9 au 10 novembre 1989, le poste de contrôle de la Porte de Brandenburg [1] s'ouvre et la population peut passer librement, pour la première fois depuis 28 ans, d'un côté à l'autre de la frontière qui maintenait les Allemands de Berlin-Est séparés de leurs concitoyens de l'Ouest. C'est la chute du Mur de Berlin et du Rideau de fer, la réunification. Et c'est la fin d'une dictature impitoyable sous la domination de Honecker. Deux grandes victoires du peuple allemand. mais c'est aussi la fin d'une conquête historique : après trente ans d'existence d'un Etat ouvrier, le peuple s'est vu imposer la restauration du capitalisme.

La division criminelle de l'Allemagne

Après la victoire sur le nazisme, en 1945, l'Allemagne fut divisée en « zones d'occupation » par les puis-sances victorieuses, chacune occupant le territoire conquis par ses troupes. Mais si les secteurs occupés par les Etats-Unis, la Grande Bretagne et la France ont assez vite été unifiés, Staline voulait absolument créer un nouvel Etat dans la zone soviétique. Il a su imposer la création de la République Démocratique Allemande (RDA) en octobre 1949, consolidant de ce fait la division de l'Allemagne en deux entités : la République Fédérale Allemande (RFA) à l'ouest et la RDA à l'est. La capitale Berlin, qui se trouvait dans le secteur soviétique, restait aussi divisée en deux zones, Berlin-Ouest devenant ainsi une enclave contrôlée par les puissances occidentales, à l'intérieur de la zone occupée par l'Armée rouge.

Le partage de l'Europe, concocté par Staline (URSS), Churchill (Royaume Uni) et Roosevelt (Etats-Unis) à Yalta en février 1945, coupait l'Allemagne en deux. La logique infernale de la division du prolétariat allemand mène alors à la construction d'un « rideau de fer », une barrière de fils barbelés tout au long de la frontière, pour en arriver finalement en 1961 à un mur qui sépare les deux zones de Berlin.

L'arrivée au pouvoir en RDA de Honecker en 1971 donne lieu à une lutte farouche, de la part de la bureaucratie de ce pays et du Kremlin, pour consolider l'Etat indépendant de la RDA. Si l'hymne national de la RDA parlait encore de « Deutschland einig Vaterland » (Allemagne, unique patrie), sous Honecker on ne le chante plus. Et si avant 1974 la RDA était encore « un Etat socialiste de la Nation allemande », à partir de cette date, une nouvelle Constitution en fait « un Etat socialiste des travailleurs et des paysans ». En 1975, la RDA entre à l'ONU comme Etat indépendant.

En 1980, Moreno écrivait que « Rien ne démontre mieux le caractère ultra-réactionnaire de l'impérialisme et de la bureaucratie soviétique que la séparation de l'Allemagne et la division conséquente de son prolétariat. Le véritable objectif du front unique contre-révolutionnaire impérialisme-bureaucratie en Allemagne a été de diviser le prolétariat, pour éviter qu'il reprenne sa tradition historique qui en faisait le plus organisé du monde, avec la tradition marxiste la plus développée. » [2]

L'Etat ouvrier de l'Allemagne de l'Est

Pendant des années, dans la gauche radicale, la division de l'Allemagne a été saluée comme une victoire, parce qu'elle avait donné naissance à un Etat ouvrier.

Dans un premier temps, le Kremlin ne voulait pas exproprier la bourgeoisie en RDA. Mais quand la RFA est entrée dans l'alliance militaire de l'Ouest, au début de 1952, le besoin d'utiliser plus intensément le potentiel économique de la RDA pour ses efforts d'armement a mené finalement Staline, un an avant sa mort, à y exproprier la bourgeoisie. Cette constitution de l'Etat ouvrier, même s'il est bureaucratique dès son origine, constitue bel et bien une conquête du peuple allemand, une conquête que la LIT a toujours défendue, en exigeant toutefois le départ de l'Armée rouge et la lutte incessante contre le régime. [3]

A peine un an après la création de la RDA, en juin 1953, le prolétariat commence à réagir contre ce régime bureaucratique avec un soulèvement à Berlin-Est. Le rassemblement d'un million de manifestants est durement réprimé, avec un bilan de 55 morts et des milliers de prisonniers. C'est le début de la révolution contre la bureaucratie du Kremlin, qui ne sera finalement victorieuse que 35 ans plus tard, la réunification à la clef. Elle payera aussi un lourd tribut : la restauration du capitalisme.

Wir sind das Volk - Nous sommes le peuple

A partir du lundi 4 septembre 1989, des mobilisations contre le régime de Honecker et la dictature du parti unique, le Parti socialiste unifié d'Allemagne (SED), ont lieu toutes les semaines à Leipzig. Ces Montagsdemo (manifs du lundi) se multiplient aussi dans d'autres villes. Le mot d'ordre est l'exigence de démocratie : « A bas les privilèges. Nous sommes le peuple ».
Le lundi 2 octobre, les manifestants sont 15 000 dans les rues de Berlin-Est, chantant l'Internationale. Ils exigent aussi la légalisation de Neues Forum, une organisation à la tête des luttes, créée en septembre sous le giron de l'Eglise protestante et qui avait été mise hors la loi immédiatement par le régime. Les masses exigeaient non seulement « un pays démocratique » mais aussi un pays « réellement socialiste ».[3] Le mercredi 4 octobre, 5 000 manifestants font face à la police à Dresden, et se rendent compte tout à coup que « nous n'avons plus peur ».

Montagsdemo - Leipzig 23 octobre 1989Une direction qui freine

Le vendredi 6, le régime fête le 40ème anniversaire de la constitution de la RDA et Gorbatchev s'est fait inviter pour l'occasion. En juin 1989, Honecker avait encore pu applaudir la répression contre le soulèvement de Tian'anmen à Pékin et continuait à défendre farouchement son régime contre le « capitalisme » de l'autre côté du Mur. Mais en URSS, la bureaucratie avait déjà choisi - comme voie ultime pour défendre ses privilèges - de servir d'agent de l'impérialisme afin de mettre un terme à l'Etat ouvrier et restaurer le capitalisme.

Gorbatchev profite de l'occasion pour donner à Honecker son « C4 » en lui laissant entendre que les temps ont changé. Il lui fait publiquement cette déclaration devenue historique : « Wer zu spät kommt, den bestraft das Leben » (Celui qui arrive trop tard, est puni par les forces de la vie). Honecker était devenu un obstacle à la restauration du capitalisme. Après 17 ans comme secrétaire général du SED, il est expulsé du parti et mis en prison.

Gorbatchev ne veut toutefois pas d'une réunification du prolétariat allemand, il a peur d'une vraie révolution et il appelle au calme. Et Neues Forum lui emboîte le pas. Un de ses dirigeants déclare au New York Times : « Nous n'avons pas peur de dire aux gens qu'ils doivent se calmer » et l'évêque de Saxe y ajoute « Nous ne dirigeons pas tout. Nous essayons d'éviter les excès et la violence et de construire des ponts entre ceux qui protestent et les autorités. » [4] Un autre dirigeant de Neues Forum déclare à la BBC : « Selon moi, la RDA peut continuer à exister en tant qu'entité indépendante au sein de l'Europe. Nous sommes un pays socialiste et nous voulons le rester. Naturellement des réformes et des changements sont nécessaires, mais la réunification allemande n'est pas à l'ordre du jour. » [5]

Qui est le héros de la réunification ?

La bourgeoisie célèbre aujourd'hui avec faste la réunification. A l'époque déjà, Willy Brandt (ex-chancelier de la RFA et ex-président du SPD) était considéré comme le « héros » de l'unité retrouvée. Mais voici ce qu'il disait moins de deux mois avant la chute du Mur, dans une interview du Monde du 14 septembre 1989 : « La réunification est un concept qui me plait de moins en moins, parce que cela veut dire qu'il pourrait s'agir d'un retour au royaume bismarckien, ce qui n'arrivera jamais. Il y a toutefois une question pour laquelle je n'ai pas de réponse. Que se passera-t-il en RDA si les dirigeants de ce pays persistent dans leur immobilisme ? Vous vous imaginez qu'un jour, dans les rues de Leipzig, de Dresde ou de Berlin-Est il n'y ait pas comme aujourd'hui quelques centaines mais des centaines de milliers exigeant la réunification ? »

Aucun doute, le vrai héros est bien le peuple allemand.

Wir sind ein Volk - Nous sommes un peuple

Le peuple allemand s'est toutefois engouffré dans la brèche ouverte par Gorbatchev. Le samedi 7, 20 000 manifestants font face à la police à Leipzig, et le lendemain, 30 000 à Dresde et 3 000 à Berlin sous les yeux de Gorbi. La Montagsdemo du lundi 9 réunit 70 000 personnes à Berlin, et cette fois la police commence à fraterniser avec les manifestants. Le lundi 16, ils sont 150 000 dans les rues de Leipzig, le tiers de la population. Le samedi 4 novembre, ils sont un million sur la Alexanderplatz à Berlin-Est, pour exiger des élections libres, la liberté de la presse, d'opinion, de réunion et de voyage. Et au cri « Nous sommes le peuple » s'ajoute « Nous sommes un peuple ».

La bourgeoisie allemande, autant que le Kremlin, est bien décidée à restaurer le capitalisme en RDA. Et si en 1955, le premier chancelier de la RFA, Adenauer, songeait encore à la réunification, en 1989, tous sont d'accord pour maintenir l'Etat de la RDA séparé de la RFA. La RDA devait rester un « pays de l'Est », comme la Pologne ou la Hongrie. Les masses imposent toutefois la réunification, contre la bourgeoisie, contre le Kremlin, et contre la direction de Neues Forum.

La nuit du 9 au 10 novembre 1989, le régime cède et décrète l'ouverture du passage hautement symbolique de la Porte de Brandebourg à Berlin. Le Mur est tombé, ou plutôt est renversé, par le peuple allemand. Et le 1er décembre, le régime de parti unique (du SED) est officiellement aboli.

L'annexion

Au début de 1990, le chancelier de la RFA, Helmut Kohl, abandonne l'idée d'une confédération des deux Etats. Par la suite il doit faire une grande concession économique : le « Ostmark », le Deutsche Mark de la RDA, est déclaré équivalent au DM de la RFA, alors qu'avant, il n'en valait que la moitié.

La bourgeoisie accepte l'unification, tout en essayant de sauver les meubles. En 1949, l'article 146 de la Constitution de la RFA avait laissé une porte ouverte, prévoyant que cette Constitution devait se renouveler en cas d'unification. Mais la bourgeoisie met en avant l'article 23 de cette même Constitution, qui avait laissé la possibilité « d'adhésion d'autres parties allemandes ». L'accord est signé le 23 septembre 1990, juste avant la dénonciation officielle du Pacte de Varsovie. L'unification entre en vigueur le 3 octobre 1990. C'est cette date de l'annexion de la RDA par la RFA qui restera la date officielle et la fête nationale de la réunification. Pour nous, la date clef est bien celle du 10 novembre 1989, jour de la Chute du Mur de Berlin.

Cette annexion est progressivement et soigneusement préparée. Et il fallait d'abord organiser la restauration du capitalisme dans l'Etat à annexer. Le 1er juin 1990, la Banque Centrale de la RFA absorbe celle de la RDA. Les biens des entreprises en Allemagne de l'Est - jusqu'alors propriété de l'Etat - passent à la Treuhand Anstalt. Cette institution financière se charge de les gérer en attendant de les vendre à des capitalistes allemands, qui les achèteront avec des subsides. Dans beaucoup de cas, ces derniers les ferment et destinent les terrains à la spéculation immobilière.

Le peuple allemand avait obtenu deux grandes victoires : la fin du régime dictatorial de Honecker et la réunification. Mais, tout comme en URSS, il n'avait pas pu se préparer pour résister à la restauration du capitalisme. C'est une victoire de l'impérialisme, rendue possible par l'ultime trahison de la bureaucratie de l'Etat ouvrier en URSS et des forces réactionnaires de l'Eglise en RDA.

A bas Hartz IV - Le peuple c'est nousLa lutte continue

La population des « Neue Länder » était au début pleine d'illusions quant aux bontés du capitalisme. Avec les libertés démocratiques, les gens croyaient aussi avoir à portée de main tous ces biens de consommation que leurs frères de l'autre côté du rideau de fer pouvaient s'acheter. Tandis qu'auparavant, il y avait une sécurité d'emploi, ils ont découvert ce que voulait dire le chômage. L'emploi était maintenant réparti parcimonieusement par les capitalistes de l'Ouest, qui d'ailleurs offraient des postes en premier lieu aux anciens « dirigeants » du régime haï.

Les premières années après l'unification ont eu lieu des grèves très importantes dans l'ancienne RDA contre le démantèlement complet des anciennes entreprises de l'Etat. Certaines d'entre elles ont d'ailleurs été victorieuses !

A l'automne 2004, un vaste mouvement de protestation s'est développé contre les plans de réformes des lois du travail du gouvernement Schröder (SPD-Verts), et plus spécifiquement contre la quatrième « loi Hartz » [6] qui réduit drastiquement les indemnisations de chômage. Le prolétariat allemand a alors réédité ces « Montagsdemo » de 1989, d'abord à Leipzig, puis avec des manifestations de 150 000 à 200 000 personnes dans 230 villes. [7]

La discrimination persiste toutefois entre les travailleurs des deux côtés de l'ancienne frontière, entre « Ossies » et « Wessies ». En 1990, le salaire moyen en ex-RDA représentait 62,2 % de son équivalent en RFA. On promettait alors une mise à niveau à 100 % pour 1995. Ce n'est toujours pas le cas aujourd'hui. Si en 1997, la proportion atteignait 82,8 %, actuellement un Ossie gagne en moyenne seulement 79,6 % de ce que gagne un Wessie. [2]

Le 3 octobre, les Allemands n'ont rien à fêter, mais le 9 novembre restera pour toujours dans leur mémoire.

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[1] Ce monument historique, avec une importance comparable à la Tour Eiffel à Paris, était le poste de passage principal entre les deux secteurs de Berlin.
[2] N.Moreno, Actualisation du Programme de transition - 1980, thèse 30
[3] N. Moreno, El marco histórico de la revolución húngara, 1957.
[4] Correo Internacional N° 43, novembre 1989
[5] Cité Alternative Socialiste octobre 2009
[6] Peter Hartz était directeur des « ressources humaines » chez Volkswagen qui, en juillet 2005, a dû démissionner à la suite d'une affaire de corruption.
[7] C'est afin de ramener ce vaste mouvement sur le terrain de la démocratie bourgeoise des élections qu'a été créé « Die Linke », qui vient d'obtenir un succès électoral important. Voir PI n°57 – avril 2008
[8] Der Spiegel 27.08.2009 - « Ost und West driften wieder auseinander » (L'Ouest et l'Est s'éloignent de nouveau)