11 mars 2015
La seule voie pour sortir l’Ukraine de la catastrophe est la continuation de la révolution ouvrière et populaire en cours !
En novembre 2013, la révolution a explosé en Ukraine, contre le courant répressif de Yanukovich et ses tentatives d’établir une dictature oligarchique, tout en vendant l’indépendance du pays.
L’impérialisme des Etats-Unis et de l’Union Européenne d’une part, et le régime de Poutine de l’autre, tout en étant des forces contre-révolutionnaires associées, se sont divisés sur les méthodes à suivre pour en finir avec la révolution ukrainienne.
Les gouvernements des Etats-Unis et de l’UE voulaient éviter la répression directe de la révolution parce qu’ils avaient peur d’aggraver ainsi la situation. Ils ont donc préféré le chemin de la réaction démocratique, autrement dit, de l’éteindre peu à peu en utilisant des procédés traditionnels bourgeois comme le sont les élections. Pour cela, ils devaient flirter avec la révolution. Cependant, ils ont fini par appliquer la méthode de la carotte et du bâton.
Poutine, dont le régime autoritaire est incompatible avec n’importe quelle action populaire indépendante qui soit et même avec le pluralisme bourgeois parlementaire, pariait sur l’écrasement direct de la révolution et, dans ce cadre, calomniait les énormes manifestations de la place Maidan comme une « conspiration des Etats-Unis ».
Poutine sait bien que, dans le jeu de la démocratie bourgeoise, l’impérialisme, financièrement beaucoup plus fort que lui, sera gagnant, ce qui signifie pour lui la perte de l’Ukraine, soit une énorme défaite politique dans sa propre « chasse gardée ». C’est la même différence que celle qu'ils ont concernant la révolution syrienne et la révolution arabe en général.
L’accord conclu le 21 février 2014, entre l’Union Européenne, les Etats-Unis, Poutine, Yanukovich et l’opposition ukrainienne, était de maintenir Yanukovich à la Présidence jusqu’aux prochaines élections et d'en finir ainsi avec le processus de Maidan. Mais cet accord contre-révolutionnaire fut jeté à la poubelle par la population rebellée. Après l'échec d'une nouvelle tentative pour en finir avec Maidan, le gouvernement oligarchique de Yanukovich tomba, ce qui fut une grande victoire du peuple ukrainien.
Pour l’impérialisme, avec sa politique flexible de réaction démocratique, il fut facile de s’adapter à la nouvelle situation et d’en profiter en assumant hypocritement le masque d'« ami de la révolution ». Mais pour Poutine, c'était le pire scénario qui commençait à se produire. L’explosion de l'action populaire dans un pays voisin, tellement lié historiquement et culturellement à la Russie, ainsi que la chute de son allié qui abandonnait le pays, et la perspective de la perte de la base militaire en Crimée pouvaient signifier un affaiblissement important, voire même le début de l’érosion, de son régime politique, un régime basé d’une part sur la répression des libertés démocratiques, et d’autre part sur les négociations politiques avec l’impérialisme, en utilisant son grand poids militaire et politique hérité de l’URSS, en particulier dans les anciennes républiques de celle-ci.
Pour sortir de cette voie semée d'embûches, le régime de Poutine mena alors une contre-attaque politique réactionnaire et aventurière avec l'annexion de la Crimée. Et il attira vers lui l’Est ukrainien, où il voulait garder son contrôle politique en tant qu'instrument de pression sur le gouvernement ukrainien, afin de maintenir sa participation dans la politique interne de l’Ukraine.
Sur le terrain institutionnel, il poussa à la « fédéralisation » via les partis politiques pro-russes, et face à la résistance du pouvoir ukrainien, il favorisa le pouvoir alternatif des séparatistes : les dénommées « Républiques populaires » de Donetsk et de Lugansk, instaurées à l'improviste par quelques centaines de personnes qui ne représentent rien ni personne, mais qui se sont appuyées sur le sentiment de rejet des mesures économiques promulguées par le gouvernement de Kiev contre les travailleurs et le peuple. Derrière cette manœuvre se trouvaient, en fait, les intérêts des conglomérats politiques des nationalistes et des fascistes pro-russes. Et Kiev répondit en nommant leurs gouverneurs.
En marge du terrain institutionnel, le Kremlin fomenta l’activité des organisations nationalistes et fascistes pro-russes qui espéraient la répétition du scénario de la Crimée et la montée du « monde russe » pour occuper les édifices publics. Kiev répondit en attisant les actions des nazis du Secteur de Droite pour en déloger les activistes pro-russes. Ces deux groupes s'affrontèrent ouvertement à Kharkiv et à Odessa, avec pour résultat la fin de l’activité pro-russe dans ces villes. A Donetsk et Lugansk, ce ne fut pas le cas. Les armes arrivèrent aux occupants des édifices publics de Donetsk et Lugansk et à l’activité des agents du FSB (Service Fédéral de sécurité russe), tous ensemble très minoritaires et isolés de la population. Pour unifier le peuple autour de lui et arrêter ainsi la révolution en cours, Poroshenko répondit en envoyant l’armée, qui se trouvait alors en décomposition tant matérielle que morale, avec de la technologie obsolète et des soldats qui ne voulaient pas combattre, en tout cas pas contre leur propre peuple. L'opération s’acheva en une défaite cuisante pour Poroshenko, qui fit appel à l’OTAN et au FMI pour obtenir de l'aide afin de récupérer ses forces armées en vue d'une nouvelle tentative. De son côté, Poutine augmentait ses livraisons aux séparatistes.
Pour l’OTAN, la situation fut le prétexte pour se renforcer en Ukraine et en Europe de l’Est, sous couvert de « défendre la sécurité de l’Est européen face à la menace russe ». Poutine, lui, eut la possibilité de se fortifier politiquement en Russie grâce à l’hystérie chauviniste effrénée de la population russe.
Les intérêts généraux en conflit dans l’Est du pays peuvent donc se résumer ainsi. Pour Poroshenko, il s’agissait de récupérer le contrôle politique de son gouvernement sur l'Est du pays et – avec la victoire en main – de renforcer son pouvoir et d'affaiblir la révolution. Pour Poutine, il s'agissait d'éviter une défaite politique complète en Ukraine, de maintenir son contrôle sur l’Est ukrainien en tant que moyen d’influence dans la politique ukrainienne et d'assener un coup à la révolution ukrainienne en divisant son prolétariat. Pour l’impérialisme, l'objectif était de gagner toute l’Ukraine, de fortifier le gouvernement pro-impérialiste de Poroshenko et de le rendre plus dépendant, et de montrer à Poutine qu’il ne pouvait pas dépasser les « lignes rouges » tracées par l’impérialisme et qu'il devait bien comprendre qu'en dernière instance, il n'était que l’administrateur de l’« appendice des hydrocarbures » de l’occident européen et qu’il dépendait des prêts de ses banques. (C’est le sens des sanctions économiques contre la Russie, très sensibles pour son économie.)
Ce qui fait totalement défaut dans ce panorama, ce sont les intérêts des travailleurs.
Les premiers accords de Minsk n’ont pas résolu ces contradictions et ont seulement permis une pause pour la préparation de nouvelles tentatives de résoudre la situation par la force militaire. Poutine n’a pas cédé et l’offensive de l’armée ukrainienne a souffert une nouvelle défaite face aux séparatistes soutenus par le régime russe. Le rythme de la guerre a continué à s’accélérer, en détruisant le pays et en sacrifiant la vie d’humbles Ukrainiens sur l’autel des affaires et du pouvoir. Les localités de Debaltsevo et d'Uglegorsk, prises d’assaut par les séparatistes, sont devenues des symboles de la barbarie, de même que les bombardements par l’armée ukrainienne sur Donetsk et Slavyansk.
Les médias occidentaux et russes devinrent les instruments de la guerre d’informations, couvrant leurs propres patrons et dénonçant la partie adverse pour les actes de barbarie, pourtant communs aux deux parties ; tout cela afin de convaincre les travailleurs à prendre parti pour l’un ou l’autre camp, et de légitimer ainsi leur guerre. Avec l’annonce de Poroshenko de la mobilisation militaire et les déclarations analogues des séparatistes, les déclarations de Merkel et de Hollande sur la possibilité d'une « vraie » guerre, et le même discours de propagande relayé dans les médias de Poutine, ces altercations ont atteint des limites dangereuses, y compris pour la bourgeoisie.
Le recul de Minsk
Le jeudi 12 février, un accord de cessez-le-feu fut signé par les dirigeants russes, ukrainiens, allemands et français à Minsk, la capitale de la Biélorussie. C’est la deuxième tentative d’y arriver depuis septembre 2014. Le document de Minsk II fut appuyé formellement par les autorités des autoproclamées « Républiques populaires » de Donetsk et de Lugansk (RPD et RPL).
Cet accord, de 13 points, fut rédigé dans ce contexte de l’offensive séparatiste. Le point principal est le cessez-le-feu qui devait commencer le 15 février. Ce cessez-le-feu est toutefois conditionné au repli de tout armement lourd, à une distance de 50 km pour l'artillerie d'au moins 100 mm et de 140 km pour les systèmes de missiles, à compter à partir des « positions actuelles » des deux camps. En outre, l'accord déclare l’amnistie pour tous les séparatistes. En ce qui concerne le « statut » des régions du Sud-Est ukrainien, il fut convenu de convoquer des « élections locales » et de garantir une réforme constitutionnelle en Ukraine, qui entrerait en vigueur avant la fin de 2015.
L’accord de Minsk doit être rejeté. Dans les faits, c’est un pas vers la division de facto de l’Ukraine, c'est-à-dire vers la légalisation du contrôle séparatiste du territoire de Donetsk et Lugansk, qui passerait sous contrôle de Poutine et ses agents locaux, sans être annexé formellement par la Russie, comme ce fut le cas pour la Crimée.
L’intention des séparatistes est d’introduire – par les armes et éventuellement par la diplomatie – certains points dans la Constitution ou dans la législation ukrainienne qui leur garantissent un « statut spécial » allant bien au-delà de la sauvegarde de l’usage tant désiré de la langue russe, et qui tendrait à leur garantir un autogouvernement des territoires qu’ils contrôlent déjà depuis un an. Cela leur donnerait le droit de déterminer et de former à leur propre compte des « structures de pouvoir régional », de créer leurs propres forces de l’ordre, de décentraliser le système budgétaire et fiscal, de signer des accords économiques, etc., selon les informations du journal El País.
On ne peut prévoir si ces accords vont mettre fin à la guerre : cela dépend de nombreux facteurs objectifs et subjectifs. Mais même s'ils arrivent à « geler » la guerre, il s'agit d'un accord passé entre bourgeoisies en conflit, ce qui fait que les tensions politiques continueront et qu'à n’importe quel moment tout peut recommencer. Tant que c’est Obama, Merkel, Poutine et l’oligarchie ukrainienne qui résolvent leurs problèmes à eux, on ne peut espérer rien de bon.
Une guerre peut être juste quand les opprimés luttent contre leurs oppresseurs. C’est par exemple le cas de la guerre de ceux de Maidan contre les troupes de choc et les francs-tireurs de Yanukovich. Mais dans cette guerre en Ukraine s’entrechoquent actuellement des oppresseurs de calibres différents. C’est une dispute entre groupes bourgeois pour leurs intérêts économiques et politiques. Et tout le sang, la destruction et la barbarie qu’ils ont déjà provoqués ne sont qu’une « discussion préliminaire » qui s'est prolongée à Minsk, avec un bon repas sur la table des négociations à huis clos.
Dans la mesure où les différents camps bourgeois en présence réussissent à gagner le soutien des travailleurs en leur faveur, c’est la révolution qui en prendra un coup. Par contre, il n'y a que la révolution ukrainienne et la solidarité internationale avec elle qui peuvent mettre fin à cette dévastation du pays.
C'est-à-dire tout d'abord, si les travailleurs d’Ukraine, les premières victimes de la guerre, reprennent le chemin de la mobilisation unifiée contre le gouvernement de Poroshenko, responsable d’avoir déclenché une guerre contre son propre peuple et de le noyer sous des réformes imposées par les Etats-Unis et l’Union Européenne. Si les travailleurs du Donbass entrent en lutte comme une force indépendante, ne voulant plus être les prisonniers de la dispute interbourgeoise. Si les travailleurs russes – qui paient déjà bien cher les aventures guerrières de Poutine par la chute de leur niveau de vie – commencent à dépasser leur délire chauviniste par rapport à leurs frères, qui vivent en Ukraine et reconnaissent l’image croissante de la Russie comme un « pays agressif » pour les Ukrainiens et les autres voisins, ce qui pousse ceux-ci à chercher l'appui auprès de l’impérialisme et l’OTAN pour les défendre.
Si les travailleurs européens ne parviennent pas à résister à la propagande qui diabolise la Russie à la seule fin de couvrir les crimes des plus grands vautours du monde que sont les bourgeoisies impérialistes des Etats-Unis et de l’Union Européenne, alors l’expansion de « l’impérialisme démocratique » et de l’OTAN dans l’Est européen continuera, sous prétexte de « défendre » cette région, et elle cachera la croissante colonisation de la Russie elle-même par le capital européen et étasunien.