26 mai 2013
Pour un front des gauches : unifier les luttes, ne pas payer la dette, rompre avec l'UE
Le front de gauche dont nous avons besoin
Nous sommes témoins d'une accélération du débat concernant le Front des gauches, comment le construire et sur quelle base.
De nombreux militants ressentent, comme nous, le besoin de mettre ce front sur pied pour donner une expression politique, ainsi qu'électorale, à la résistance sociale et à la lutte pour renverser le gouvernement et la Troïka, et pour ouvrir une issue à la catastrophe actuelle, en faveur de la classe travailleuse et de la majorité sociale.
Malgré l'énorme énergie dépensée, les grandes mobilisations de ces deux dernières années ne sont pas parvenues à faire tomber le gouvernement. Elles se sont heurtées à la bureaucratie syndicale, qui a empêché leur unification et est parvenue à les détourner de l'affrontement direct avec le gouvernement. Aujourd’hui, alors que les institutions et les partis du régime sont en pleine décomposition, que les sondages annoncent la fin du bipartisme et que les élections européennes sont imminentes, beaucoup de militants pensent qu'il faut – sans pour autant renoncer à la lutte pour unifier le mouvement et pour affronter le gouvernement dans la rue – mettre également à profit la lutte électorale.
Nous sommes entrés dans un débat autour duquel se jouent des intérêts et des projets très divers. Un acteur majeur de cette discussion est la direction de Izquierda Unida (IU – Gauche Unie) qui, renforcée par les sondages, se prépare à devenir une « force de gouvernement » et à transposer la coalition andalouse avec le PSOE au niveau du gouvernement de l'Etat. Pour y parvenir, elle travaille sur deux fronts : d'une part, maintenir et renforcer encore plus, si cela est encore possible, ses liens étroits avec la bureaucratie syndicale de CCOO-UGT (le « sommet social »), et d'autre part, attirer dans son orbite et sous son contrôle les mouvements sociaux, les collectifs et les plates-formes du 15M [1], ainsi que les formations extraparlementaires à sa gauche. C'est ce que IU appelle le « bloc politique et social alternatif ». Pour ce faire, ils peuvent compter avec l'aide de la direction de SYRIZA de la Grèce (Tsipras) et du Front de Gauche de la France (Mélenchon). Ces derniers proposent, comme IU, de « refonder » l'Union européenne, et sont les ennemis jurés de la rupture avec l'euro et l'UE. La pression a déjà commencé – et elle va s'accentuer – pour coopter les mouvements sociaux autour d'une candidature européenne sous l'hégémonie de IU.
En parallèle, différentes propositions ont pris forme, ces derniers mois, en relation avec le 15M et des organisations de gauche, orientées vers la création d'un groupement ou d'un front politique avec des ambitions électorales. En Catalogne a émergé l'« appel à un processus constituant », dirigé par Arcadi Oliveres et Teresa Forcades (voir sur le site de Corriente Roja). A l'échelle de l'Etat, nous avons dans l'immédiat, et comme un moment important dans ce processus, l'appel « Comment construire l'alternative d'en bas ? »
Il est temps de laisser de côté le chant de sirène de la direction de IU et de commencer à construire le Front des gauches dont le mouvement a besoin, avec une alternative à la fois claire et ouverte à toute unité d'action pour soutenir la lutte.
Les bases pour un Front des gauches
Par ce document, nous voulons contribuer au débat ouvert, en commençant par dire que nous croyons, comme de nombreux militants, que le Front des gauches ne doit pas être confondu avec un front électoral, mais qu'il doit être un outil politique au service de l'organisation d'une réponse générale et unifiée à la base – en marge des échéances électorales –, pour renverser le gouvernement flicard de la Troïka. La fonction électorale du Front des gauches doit toujours être subordonnée aux besoins de la mobilisation. Par conséquent, le Front des gauches ne peut pas transiger avec la politique de pactes de la bureaucratie de CCOO UGT, [2] qui rompt la mobilisation des travailleurs, permet la mise en œuvre des pires attaques et empêche toute réponse unifiée. Le Front des gauches doit accueillir en premier lieu le syndicalisme de combat et les mouvements sociaux qui ont été au premier plan dans la lutte, et promouvoir l'organisation du mouvement par le bas, démocratiquement, sur la base d'assemblées qui décident des objectifs et des mesures à prendre, choisissent leurs représentants et coordonnent leurs activités.
Nous croyons également que le Front des gauches ne peut remplir sa mission que s'il met en avant un programme d'urgence pour arrêter la catastrophe actuelle, un programme qui permette de reconstruire l'économie au service de l'immense majorité. Une mesure centrale de ce programme est la suspension immédiate du paiement de la dette publique aux banquiers, et l'audit de cette même dette. C'est une revendication de survie, pour laquelle il faut abandonner les formulations qui prêtent à confusion, comme celles de IU, qui renonce à la suspension des paiements en attendant l'issue d'un audit ultérieur. Nous devons cesser de payer maintenant !
De même, l'expropriation des banques, ainsi que leur contrôle par les travailleurs, est une demande urgente et essentielle pour centraliser le crédit et pour le mettre au service de la reconstruction économique et de la création massive d'emplois. De la même manière, nous pouvons signaler l'étatisation des secteurs et des entreprises stratégiques. Il ne suffit pas de parler d'une nébuleuse « banque publique » et de laisser les banques – Banco Santander, BBVA, La Caixa – travailler comme bon leurs semblent.
Les mesures ci-dessus sont objectivement incompatibles avec l'appartenance à l'UE et à la zone euro. Pour mettre un terme au pillage de la Troïka, il est nécessaire de rompre avec l'euro et l'UE. Le Front des gauches devra exiger un référendum pour quitter l'UE et l'euro. Pour notre avenir, il est indispensable d'en finir avec ce monstre irréformable qu’est l'UE, et de le remplacer par une Europe des travailleurs et des peuples
Nous pensons aussi que le Front des gauches doit être conscient qu'il n'y aura pas de démocratie et que nous ne pourrons appliquer aucune mesure importante, sans un plan d'urgence pour mettre fin à ce régime et pour abolir sa Constitution. Le régime est vicié d'emblée, car la Transition a permis la continuité des principaux appareils de l'Etat franquiste, comme l'a cruellement montré l'impunité prolongée de l'assassin de Yolanda Gonzalez. [3] Face aux partisans d'une réforme impossible du régime, le Front des gauches doit exiger la convocation d'une Assemblée constituante pour redéfinir les bases depuis le début, y compris la reconnaissance explicite du droit à l'autodétermination des nationalités (qui est la base, à notre avis, pour la construction fraternelle d'une union libre de républiques).
Nous voulons dire, enfin, que la lutte pour le programme d'urgence et pour l'Assemblée constituante est aussi la lutte pour un gouvernement qui assure sa mise en œuvre. Par conséquent, le Front des gauches doit se battre pour un gouvernement qui, au-delà de ses soutiens parlementaires, tire sa force de la lutte de la classe travailleuse et du peuple, des organismes de base et de l'organisation démocratique du mouvement. Bref, un gouvernement de la classe travailleuse et du peuple.
SYRIZA..., mais quelle SYRIZA ?
Dans la gauche, on prend souvent SYRIZA comme modèle de référence. Cette coalition de la gauche grecque refusa, contrairement à la droite et au PASOK (l'équivalent grec du PSOE), d'approuver le Mémorandum de la Troïka qui fixait les conditions de « sauvetage » de la Grèce, un Mémorandum qui était la « condamnation à mort de tout un pays », selon les mots de l'économiste Varoufakis. SYRIZA est maintenant la principale force de la gauche grecque, également dans l'arène parlementaire, contre un PASOK pratiquement détruit, mais qui joue toujours un rôle de partenaire secondaire dans le gouvernement de droite aux ordres de la Troïka.
Cependant, les apparences peuvent être trompeuses, car une chose est la direction officielle de SYRIZA, et autre chose son aile gauche, qui représente 27 % de la coalition et dont DEA (Dietnistiki Ergatiki Aristera - Gauche Ouvrière Internationaliste) est l'organisation la plus importante.
Il est donc important de savoir que, quand elle cite SYRIZA, IU se réfère au secteur « eurocentriste » dirigé par Tsipras,. C'est à ce même secteur « eurocentriste » que se réfèrent certains promoteurs de la Rencontre « Comment construire des alternatives d'en bas ? », tels que Daniel Albarracin, membre de la Gauche Anticapitaliste et signataire du Manifeste européen Que faire de la dette et de l'euro ?
Pour Tsipras, Cayo Lara et Daniel Albarracin, la stratégie consiste à renégocier la dette avec la Troïka. Ils sont tous catégoriquement opposés à la rupture avec l'euro et l'UE, alors que DEA défend des choses très différentes. Dans son document « SYRIZA lors de son premier congrès : Pour un front de gauche combatif », DEA dit :
« La crise de Chypre et la tactique de chantage des puissances européennes concernant la direction politique chypriote ont changé la donne du débat politique. Le plan de SYRIZA doit être remanié pour gagner en crédibilité, pour garder les espoirs des travailleurs et des forces populaires envers la gauche et pour revitaliser le courant du renversement qui s'est exprimé en mai-juin 2012.
L'obligation fondamentale est d'en finir avec l'austérité (annulation unilatérale des Mémorandums et des lois annexes). Mais cela ne suffit pas. [...] Et après la crise de Chypre, cela signifie qu'il faut inclure la rupture avec la zone euro et l'euro dans l'arsenal de la gauche. [... Cette mesure] va de pair avec les antérieures (fin des Mémorandums, comme une condition préalable pour en finir avec l'austérité), mais aussi avec les prochaines étapes (mesures anticapitalistes qui limitent les ''libertés'' du capital) ».
DEA note que« Ce sont les eurocentristes qui, justement maintenant, rejettent la confrontation croissante avec la bourgeoisie nationale et les bailleurs de fonds, et vont jusqu'à rabaisser encore davantage l'engagement de base de l'annulation des Mémorandums (parlant de suspension, substitution, etc. ) »
Et elle poursuit : « Il est clair également qu'il est seulement possible de faire valoir ces mesures de renversement à partir d'un gouvernement de gauche qui repose essentiellement sur la mobilisation du peuple. Par conséquent, les plans mis en œuvre essentiellement dans l'arithmétique parlementaire – front avec ANEL (Grecs indépendants, droite nationaliste opposée à la Troïka), etc. – sont déconcertants pour les parties à notre gauche et sont des voies sans issue. »
Enfin, DEA donne l'alerte concernant les menaces à la démocratie interne, de la part de la majorité des « eurocentrismes » : « Rappelons que la dérive vers des positions politiques plus conservatrices commence habituellement par des attaques contre les voix de la gauche et leurs pleins droits de constitution organisationnelle. »
« Sortir de l'euro », le manifeste de Pedro Montes et Julio Anguita
Un important manifeste, écrit sous la plume de l'économiste Pedro Montes et dont Julio Anguita, l'ancien coordinateur de Izquierda Unida, est un des premiers signataires, vient de paraître, précisément à un moment où le débat concernant le Front des gauches fait rage.
Le « Manifeste pour la récupération de la souveraineté économique, monétaire et citoyenne : sortir de l'euro », a le grand mérite de lancer ce point fondamental dans le débat public, et de le faire, en outre, en confrontation avec la position officielle de IU, une organisation dont Montes et Anguita font partie.
Le manifeste reconnaît ouvertement que « l'économie espagnole glisse dans l'abîme, est prête à s'effondrer, comme c'est déjà le cas avec la Grèce et le Portugal » et il prend ses distances avec « d'autres forces, organisations ou auteurs de la gauche – lire : IU et les secteurs tel que celui représenté par Daniel Albarracin – qui critiquent l'Europe actuelle et proposent des changements fort utopiques et des projets sans fondement, compte tenu de la nature irréformable de l'Europe qui a émergé ».
Le manifeste est très clair concernant la monnaie unique : « Notre pays ne peut pas surmonter la crise dans le cadre de l'euro. » Et il ajoute : « Sans une monnaie propre, sans autonomie monétaire, il est impossible de faire face au drame social et économique, d'autant plus que la politique budgétaire a également été annulée avec le Pacte de stabilité, traîtreusement incorporé dans la Constitution. »
Pour notre part, face à ceux qui – de la droite néolibérale à la « gauche alternative » – nous menacent de l'enfer si nous rompons avec l'euro, nous sommes d'accord avec Julio Anguita et Pedro Montes pour lesquels il est impossible de faire face à la catastrophe sociale sans une telle rupture. Et nous sommes convaincus d’une chose : s'il l’enfer peut être garanti, c'est bien par la permanence dans la zone euro (et dans l'UE).
Cet article, de Felipe Alegría et Angel Luis Parras,
a été publié le 26 mai 2013 par Corriente Roja, la section espagnole de la LIT-QI
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