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Ligue Communiste des Travailleurs

Section belge de la Ligue Internationale des Travailleurs -
Quatrième Internationale (LIT-QI)

« L'émancipation des travailleurs sera l'œuvre des travailleurs eux-mêmes. » K. Marx

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5 octobre 2012
Corriente Roja

La Catalogne a tout le droit à l'indépendance, si telle est sa volonté

La manifestation indépendantiste du 11 septembre était la plus grande mobilisation politique catalane depuis la Transition postfranquiste des années 1970. Cette journée, avec un million et demi de personnes dans la rue, a marqué un avant et un après dans la vie politique catalane et espagnole.


   Elle a montré qu'il y a une écrasante majorité de la classe moyenne catalane, ainsi que des secteurs salariés comme enseignant ou fonctionnaire, en faveur de l'indépendance.
   La majorité de l'intelligentsia catalane s’est prononcée également dans ce sens. Les enquêtes du gouvernement régional catalan, ainsi que celles du gouvernement espagnol lui-même, avaient déjà constaté, avant le 11 septembre, une majorité de citoyens pour l'indépendance. (Dans un référendum, 52 % voteraient en faveur et 20 % contre.) Après la manifestation, cette majorité se consolide et a tendance à croître, maintenant que l'indépendance est devenue une option socialement acceptée et faisable.

La Catalogne veut décider librement de son destin

La manifestation du 11 septembre est l'expression démocratique d'une nation qui veut décider librement et souverainement de son destin, face à un régime, celui de la Transition, qui lui refuse ce droit démocratique et lui impose une unité forcée et obligatoire. La manifestation du 11 septembre est donc un facteur démocratique extrêmement progressiste, qui met en question le gouvernement Rajoy, ainsi que le régime monarchique, « appelé démocratie sans l'être » (« le llaman democracia y no lo es ! »).
   La monarchie, alarmée par la marée indépendantiste, s'est vue démasqué et s'est mise à la tête de la réaction espagnoliste contre les aspirations démocratiques catalanes, qualifiant celles-ci de chimériques et proférant des menaces voilées. Rajoy, qui dirige un gouvernement affaibli et sur le point d'appliquer le second plan de sauvetage, s'est réfugié derrière « la Constitution et les lois », en attendant de sortir plus tard l'artillerie lourde. Et derrière eux se sont alignés les autres forces et partis du régime, à commencer par le PSOE, qui arbore le « fédéralisme », mais qui n'hésite pas à serrer les rangs avec Rajoy pour nier au peuple catalan le droit de décider. D'autres, comme Rosa Díez, du parti Unión Progreso y Democracia, ou des quotidiens comme ABC et La Razón, ont même demandé à Rajoy d'appliquer l'article 155 de la Constitution et de suspendre l'autonomie catalane.
   D'autres encore, comme Cayo Lara, le coordonnateur de Izquierda Unida, affirment qu'il ne faut pas centrer le débat sur « l'indépendance, oui ou non », parce qu'il faut, disent-ils, « la fraternité complète » de tous les travailleurs pour « contrecarrer l'immense pouvoir du capital ». Mais Cayo Lara triche, car cela ne sert à rien de parler de « fraternité » et d'éluder en même temps la première obligation lui concernant : exiger la pleine reconnaissance du droit démocratique du peuple catalan de faire sécession s'il le souhaite. Cayo Lara devrait également nous expliquer comment on peut réaliser l'unité des travailleurs et la fraternité entre les peuples, si ce n'est sur la base de cette reconnaissance démocratique. Il ne sert à rien de dire que l'on est pour le droit à l'autodétermination si, par la suite, on s'y oppose quand les nationalités veulent l'exercer. De cette façon, on fait comme le PSOE, on se range derrière le gouvernement de Rajoy.

Les pirouettes d'Artur Mas

Après le 11 septembre, Artur Mas a remporté le vote de confiance des organisateurs de la manifestation (l'Assemblée Nationale Catalane et l'Association des Municipalités pour l'Indépendance), et il figure actuellement comme chef de file reconnu, aux yeux de secteurs importants du mouvement indépendantiste catalan. Il vient de rentrer à Barcelone comme une sorte de héros, après le rejet du « Pacte budgétaire » par Rajoy. Mais il sait bien que son idylle actuelle avec le mouvement indépendantiste a les jours comptés, et avant de lancer la quatrième vague de coupes, il a décidé de profiter de la situation pour convoquer dès maintenant à des élections anticipées et obtenir ainsi la majorité absolue.
   Artur Mas a toutefois un gros problème : après la manifestation du million et demi, sa marge de manœuvre s'est réduite considérablement, et le jeu permanent de Convergència i Unió (CiU) de louvoyer entre deux bandes est devenu celui d'un funambule sans filet de sécurité.
   Artur Mas essaye de surfer sur le mouvement indépendantiste en plein essor pour empêcher que celui-ci ne déborde et ne mette en danger les intérêts de la bourgeoisie catalane qu'il représente. Cette bourgeoisie est, à son tour, divisée en deux grands secteurs. Il y a, d'une part, le groupe de la haute finance et des entrepreneurs liés à Caixabank, intégré dans le noyau dur du capital financier espagnol et ennemi déclaré de toute sécession. D'autre part, il y a la pléiade d'entrepreneurs moyens, qui entraînent les petits et dont les entreprises sont orientées vers l'exportation ou vers le marché intérieur catalan. Ce secteur préfère que la Catalogne se détache du capitalisme espagnol décadent, et il rêve de se soumettre directement et sans intermédiaires aux maîtres de l'UE, les capitalismes allemand et français (en créant son propre Etat).

Après l'échec du pacte budgétaire

Artur Mas est parvenu à trouver un point commun entre ces deux secteurs d'entrepreneurs autour d'une exigence du Pacte budgétaire de réduire le déficit budgétaire catalan envers l'Etat espagnol (8 % du PIB catalan, environ 16 milliards). Ceux-ci espèrent ainsi disposer de plus d'argent pour promouvoir leurs entreprises.
   Artur Mas a également réussi à agglutiner la grande majorité des classes moyennes catalanes dans cette revendication, avec l'argument trompeur que le déficit budgétaire était la grande cause des coupes. L'argument est trompeur, car il n'est pas possible de mettre fin aux coupes et au déclin social accéléré, aussi longtemps que le Gouvernement régional reconnaisse la dette publique, cette dette illégitime, énorme et impossible à rembourser, dont le paiement aux banquiers a été déclaré « la priorité absolue » par Rajoy, Zapatero et Mas dans la « réforme express » de la Constitution. L'argument est pourtant utilisé par Artur Mas pour justifier encore et encore la politique de guerre sociale de son gouvernement, en alliance avec le PP, contre l'immense majorité du peuple catalan.
   Maintenant, après que Rajoy a rejeté le Pacte budgétaire, la crise politique s'accélère et les problèmes se sont aggravés pour Artur Mas. Dans un exercice de funambule politique, ce dernier a insisté sur le fait que « les ponts avec l'Espagne restent ouverts » : « Nous ne parlons pas de rupture totale. Nous parlons de structures étatiques propres. Nous mettons tout dans le cadre européen. Nous ne sommes pas devenus fous. » Son projet n'est effectivement pas de rupture. Il cherche plutôt un arrangement avec la bourgeoisie et l'Etat espagnol au sein de l'UE. Le gros problème est toutefois que ce projet, une sorte de confédération espagnole, n'a pas sa place dans la Constitution actuelle, qui devrait être réformée en profondeur, alors que pour le noyau dur du capital financier espagnol et pour l'appareil de l'Etat, ce n'est pas leur tasse de thé. Le régime issu de la Transition est entré en phase terminale. Nous sommes entrés dans une période de grandes turbulences.

Soutenir le droit de décider des Catalans et les défendre contre toute agression

Dans cette situation complexe, le premier devoir des travailleurs et de la jeunesse de l'Etat espagnol, de tous ceux qui prétendent être pour la démocratie, c'est de reconnaître le droit des Catalans à déterminer librement leur avenir et de les défendre inconditionnellement contre toute menace et agression du gouvernement et des institutions espagnoles.

Exiger un référendum sur l'autodétermination

De même, en Catalogne, nous exigeons d'Artur Mas et des forces politiques du Parlement catalan d'organiser d'urgence un référendum sur l'autodétermination, pour que le peuple catalan puisse exprimer clairement et sans intermédiaires sa volonté. Voilà le premier devoir de ceux qui prétendent défendre le droit de décider.
   Mais c'est justement ce que CiU ne veut pas, car le fait de donner la parole aux gens revient à « rompre les ponts » avec le régime et à ouvrir les portes à l'entrée en scène du peuple, ce qui va à l'encontre des intérêts de la bourgeoisie catalane, qui cherche un « règlement à l'amiable » avec Madrid sous le parapluie de l'Union européenne. CiU – tout comme ses prédécesseurs de la Ligue régionaliste de Cambó – n'hésite pas à trahir ouvertement la lutte nationale catalane quand ses intérêts de classe sont en danger, et à s'allier à la bourgeoisie espagnole, à son Etat et à l'UE.

La lutte pour les libertés nationales et celle pour les droits sociaux sont inséparables

En outre, nous voulons dire aussi, ensemble avec les travailleurs catalans, qui sont la grande majorité de la population, que l'on ne peut pas accepter la séparation entre la lutte démocratique et la lutte pour les revendications économiques et sociales, qu'il ne peut y avoir aucune trêve dans la lutte contre les coupes sauvages du gouvernement Mas, au service des banquiers et des entrepreneurs.
   Si le Parlement catalan était en faveur de défendre les droits collectifs du peuple, il ne convoquerait pas seulement à un référendum pour l'autodétermination, mais il assumerait la souveraineté pour répudier la dette publique, pour mettre fin aux coupes, pour restaurer les droits sociaux supprimés, pour mettre fin aux expulsions et pour exproprier la grande quantité de logements vides dans les mains des banques afin de créer un parc public de logements à loyer abordable pour les gens.
   Cependant, nous n'oublions pas que le seul espoir d'imposer ces exigences vitales réside dans la lutte des travailleurs, dans leur organisation indépendante, à la tête des secteurs populaires mobilisés. Ce combat ne se limite d'ailleurs pas au cadre catalan, mais requiert l'union des forces à l'échelle de tout l'Etat espagnol, et même à l'échelle européenne, avec la promotion d'une grève générale jusqu'au renversement du gouvernement.

Une Catalogne souveraine, une union libre des peuples libres ibériques, une Europe socialiste des travailleurs et des peuples

Corriente Roja est un organisme internationaliste à l'échelle de l'Etat ; nous avons toujours été pour le droit à l'autodétermination des peuples. Nous avons donc toujours défendu une Catalogne souveraine, où le peuple catalan peut décider démocratiquement, sans aucune ingérence extérieure, sur sa langue et sa culture, sur son organisation politique, sa structure économique et les liens qu'il veut maintenir en tout temps avec le reste des peuples de l'Etat espagnol et avec les peuples d'Europe.
   Nous n'avons jamais été indépendantistes, mais, en tant que défenseurs du droit à l'autodétermination, nous défendons l'indépendance si le peuple catalan le souhaite.
   Cependant, pour nous, contrairement aux organisations indépendantistes, le droit à l'autodétermination n'est pas seulement un droit démocratique inaliénable. Il est aussi un outil pour atteindre l'unité de classe parmi tous les travailleurs de l'Etat, quelle que soit leur nationalité. Il est un outil pour obtenir la fraternité entre eux, ce qui n'est possible que par l'assurance que leur volonté sera respectée et qu'aucun peuple ne soumettra un autre.
   Pour nous, la lutte pour l'autodétermination fait partie de la lutte pour la révolution socialiste et va de pair avec la lutte pour l'unité des travailleurs, pour l'union libre entre les peuples de l'Etat espagnol et pour une Europe socialiste des travailleurs et des peuples. Il n'est pas possible de construire un socialisme catalan ou basque, le socialisme ne peut être construit que dans le cadre européen et mondial.

Il n'y a pas de place pour la souveraineté catalane dans l'Union européenne de Merkel

Il faut également savoir qu'il n'y a pas de place pour la souveraineté nationale des peuples dans l'Union européenne, farouchement dominée par le capitalisme allemand et français. Angela Merkel l'a déjà fait savoir clairement : dans l'UE, les souverainetés nationales doivent abandonner leurs armes à la porte et tout le monde doit obtempérer aux ordres. L'indépendance d'un petit pays comme la Catalogne au sein de l'UE serait une caricature cruelle. Il est totalement impossible d'avoir la souveraineté nationale, tout comme il est impossible d'arrêter la catastrophe sociale à laquelle nous sommes condamnés, sans rompre avec l'euro et l'UE, sans lutter, coude à coude avec nos frères européens, pour les Etats-Unis socialistes d'Europe.