7 juin 2017
Construire une alternative révolutionnaire à la crise de l'UE
Face à la crise financière de 2007/2008, les principaux pays impérialistes européens ont fait appel au sauvetage public des banques et au pillage de la périphérie afin d'éviter la faillite financière, l'effondrement de l'euro et la chute dans la dépression. Et dans certains pays centraux, comme la Grande-Bretagne, ils ont lancé de fortes attaques contre les acquis sociaux.
Les pays débiteurs de la périphérie ont été soumis à des traitements de choc moyennant l'intervention par la Troïka. Leurs budgets publics ont été expropriés et des plans d'ajustement sauvages et des contre-réformes ont été imposés, ce qui y a installé un nouveau modèle d'exploitation et a augmenté leur dépendance, au point d'en arriver à changer le statut national de pays comme la Grèce et le Portugal, réduits à des semi-colonies de l'impérialisme allemand et européen.
Voici une déclaration des organisations de la LIT-QI en Europe
Crise structurelle et offensive contre la classe ouvrière et la périphérie
Mais le pillage de la périphérie n'a pas suffi. La reprise dans les pays impérialistes centraux de l'UE fut anémique et tous les problèmes de fond persistent, l'économie européenne étant enchevêtrée dans la vague descendante ouverte en 2008, avec des croissances faibles et spéculatives et de profondes récessions.
Par conséquent, le grand capital européen, tout en maintenant l'offensive dans la périphérie, a dû attaquer de front la classe ouvrière dans les pays centraux, en commençant par la France. Tel est le sens de la Réforme du Code du travail du gouvernement de Hollande, que Macron veut mener encore plus loin, afin de changer le modèle d'exploitation de la classe ouvrière française. C'est aussi l'attaque contre le « modèle social belge » ou contre les droits du travail en Italie, ou encore l'offensive capitaliste en Grande-Bretagne (où le Service national de la santé et les Services municipaux sont férocement attaqués et les « contrats zéro heures » concernent déjà 7,1 millions de personnes).
L'élargissement de l'écart entre les différents pays a été accompagné par une grande avancée dans l'inégalité sociale au sein de chaque pays. Pendant ce temps, depuis l'introduction de l'euro, l'Allemagne est devenue la grande puissance industrielle et financière européenne et a réaffirmé son écrasante hégémonie politique et institutionnelle.
Dans ce processus, l'UE s'est manifestée comme une machine de guerre du capital financier européen contre la classe ouvrière et les peuples d'Europe. Son intervention dans la crise des réfugiés et des migrants sans-papiers, et ses mesures dans les pays « sauvés », en particulier en Grèce, font partie de l'histoire de l'infamie.
Son intervention la plus récente est l'imposition (avec la complicité de Tsipras, confronté à sa sixième grève générale) de ce qu'on appelle le « quatrième mémorandum » grec : le brutal paquet récent de mesures exigées par la Troïka, qui comprend une nouvelle coupe dans les pensions publiques (déjà la 13e !), une nouvelle augmentation des impôts qui touche de plein fouet les secteurs à faible revenu, et de nouvelles réductions des prestations sociales et des droits du travail. Le pillage se complète avec de nouvelles ventes à prix de solde de ce qui reste encore de la propriété publique nationale, et le transfert aux « fonds vautours » étrangers des prêts insolvables des banques grecques.
Le président élu français, Macron, a annoncé son intention d'approuver avant l'été, par décret, sans débat ni approbation à l'Assemblée nationale, une nouvelle réforme du travail et d'autres mesures de choc contre la classe ouvrière française.
Brexit et Trump : tout est sens dessus dessous
Le grand capital européen, dirigé par l'Allemagne, a remanié son projet face à la crise, en précisant la stratégie appliquée jusqu'à présent. Le « rapport des cinq présidents » de 2015 parlait de « refondation » de l'UE en 10 ans, en centralisant davantage de pouvoirs, en empêchant toute « déviation » de n'importe quel gouvernement et en soumettant complètement la périphérie. Cette politique était accompagnée du TTIP, le traité de « libre-échange » à signer avec les Etats-Unis, qui supprimait les restrictions à l'accès des multinationales européennes et américaines aux services et aux marchés publics et cloisonnait leurs droits derrière des tribunaux privés.
Mais le Brexit et la victoire de Trump ont tout changé. Le référendum britannique, le résultat d'un affrontement interbourgeois, a eu lieu au milieu d'une profonde crise sociale, avec le chômage de masse dans les villes du Nord, un degré élevé d'insécurité de l'emploi et des attaques profondes contre les services publics essentiels. A l'issue d'un vote très hétérogène, la majorité s'est prononcée pour le Brexit, ce qui a frappé durement l'UE et l'a fragilisée : la sortie n'est plus tabou.
Pour sa part, la victoire de Trump met en crise la stratégie de soutien à la « construction européenne », maintenue depuis la Seconde Guerre mondiale par l'impérialisme étasunien et appuyée sur une alliance privilégiée avec l'Allemagne. Trump préfère traiter avec chaque pays séparément, plutôt qu'avec une Europe allemande.
Au 60e anniversaire du Traité de Rome, l'UE fait face à son pire moment de l'histoire, avec une crise qui menace son existence même.
Les gouvernements et les régimes en crise
La crise de l'UE est non seulement la crise du projet central du grand capital européen, mais aussi celle du régime politique dans les pays clés, où s'est ouverte une période de grande instabilité politique. C'est le cas de la Ve République française, en crise ouverte, avec les partis bourgeois majeurs (les gaullistes et le Parti socialiste) mal en point, une opposition populaire généralisée à un régime où la voix du peuple ne compte pas, et une polarisation sociale qui s'est exprimée dans le vote pour l'extrême droite du Front national et pour Mélenchon. La victoire de Macron est une bouffée d'oxygène temporaire, mais ne résout pas cette crise.
Il en va de même en Italie, où Renzi a perdu le référendum constitutionnel et a dû démissionner. Son Partito Democrático, héritier du vieux PCI et de secteurs du Parti chrétien-démocrate, le principal parti bourgeois du pays, est plongé dans une grave crise, tout comme le parti de Berlusconi, alors que les sondages donnent Grillo comme vainqueur si les élections avaient lieu aujourd'hui [le 7 juin], même si, avec la législation en vigueur, il aurait beaucoup de mal à former un gouvernement.
C'est le cas aussi de l'Espagne, où le gouvernement de Rajoy baigne dans une mer de scandales de corruption. Minoritaire, il gouverne grâce à la tolérance du PSOE et des syndicats officiels. Il est en outre confronté à l'indépendance catalane, dans un conflit qui remet en question le noyau dur du pacte de transition qui a conduit au régime monarchique actuel.
La résistance des travailleurs
Il y a eu de puissantes luttes de résistance, avec des moments forts comme les grandes manifestations contre les coupes en Espagne entre 2012 et 2014, la grande lutte grecque, avec son apogée lors du référendum en juillet 2015, et enfin la bataille de la classe ouvrière française contre la loi du travail de Hollande dans la première moitié de 2016.
Ces mobilisations, avec un fort impact sur le continent, ne furent pas unifiées dans chaque pays et sont restées isolées nationalement à l'échelle européenne. La bureaucratie syndicale a joué un rôle décisif pour empêcher l'unification des luttes en grèves générales qui, unies avec une mobilisation européenne, auraient permis de repousser les attaques, renverser les gouvernements et mettre en échec l'UE et la Troïka. Cette intervention désastreuse de la bureaucratie syndicale allait la main dans la main avec la majeure partie de la gauche européenne : quelqu'un s'imagine-t-il les partis « amis du Pasok » et « amis de Tsipras » appeler à une mobilisation européenne en soutien au peuple grec ?
Cependant, les luttes ont démontré la capacité de combat de la classe ouvrière européenne et ont montré que, au-delà des disparités nationales, elle n'est pas prête à accepter docilement l'offensive du capital, et que, malgré les coups reçus, elle n'est pas vaincue et elle reviendra se manifester et faire face à de nouvelles attaques.
Réformisme et néo-réformisme : les amis du Pasok et les amis de Tsipras
Il y a une crise aiguë et un déclin des anciens partis sociaux-démocrates, convertis depuis belle lurette en partis sociaux-libéraux, coresponsables de l'offensive capitaliste contre la classe ouvrière européenne. Le cas récent le plus évident est celui du PSF de Hollande, avec des signes clairs de « pasokisation » : il est abandonné par ses bases et noyé dans le discrédit populaire par sa belligérance contre les acquis des travailleurs, et son aile droite est passée à l'enseigne Macron.
La montée de Corbyn en Grande-Bretagne reflète une crise dans le parti travailliste qui vient de loin, y compris les affrontements de l'appareil du parti avec la bureaucratie syndicale, et surtout, le rejet du « New Labour » de Blair par une grande partie de la classe ouvrière et la jeunesse britannique. Cependant, en dépit de regagner le soutien d'importants secteurs de jeunes et de travailleurs, Corbyn a montré, depuis qu'il a été élu chef du Labour, son refus de rompre avec l'aile droite du parti, largement hégémonique au sein du groupe parlementaire et des postes municipaux.
Son programme électoral propose de reconstruire en partie l'Etat providence, en augmentant les impôts pour les riches et en proposant des nationalisations limitées, mais en disant peu sur les millions de millions de livres pillés des services municipaux. Le tout, bien sûr, sans remettre en cause la propriété des banques et des grandes entreprises, ni le système politique britannique et ses institutions, ni les conventions internationales et les engagements du capitalisme anglais (comme l'OTAN et le déploiement impérialiste des troupes britanniques dans le monde entier), ni même l'armement nucléaire. En ce qui concerne l'UE, il cherche un règlement à l'amiable dans le cadre du marché unique et de l'union douanière. C'est un programme à la recherche d'un « capitalisme (impérialiste) avec un visage humain », qui serait appliqué de façon « pragmatique et raisonnable », dûment « supervisée par le Bureau de responsabilité budgétaire ».
Mais alors que le grand capital contrôle les principaux leviers économiques et de l'Etat, non seulement des éléments sociaux du programme de Corbyn manqueront de viabilité, mais, supposant qu'ils soient imposés par la pression sociale, ils auraient les jours comptés. En fait, il n'y a pas moyen de récupérer les acquis de l'Etat providence sans que le capital soit exproprié et que la classe ouvrière prenne le pouvoir. Après tout, si l'Etat providence a été acquis après la Seconde Guerre mondiale, c'était uniquement à cause de la peur de la révolution sociale dans la bourgeoisie.
Cependant, le plus surprenant de tout est l'alignement inconditionnel de la gauche britannique avec Corbyn, qui est venu sauver le Labour. Depuis Left Unity (l'Unité de gauche) et la Trade Union and Socialist Coalition (TUSC – coalition syndicale et socialiste), en passant par le Socialist Party et le Socialist Workers Party (le Parti socialiste et le Parti socialiste des Travailleurs), tous ont renoncé à poser une alternative révolutionnaire indépendante. Pour chacun d'eux, comme le dit Left Unity, « la reconstruction du Parti travailliste en tant que parti social-démocrate de masse est vitale ».
Mais là où l'évolution a été la plus marquante, c'est avec Tsipras-Syriza, que la plus grande partie de la gauche européenne (Podemos, Izquierda Unida, le Bloco portugais, Mélenchon, Die Linke...) a présenté comme un héros de la lutte contre l'austérité et le modèle de référence, face à une social-démocratie au service de la Troïka et en chute libre. Cependant, à peine arrivés au gouvernement, Tsipras et Syriza sont passés de la « gauche radicale contre l'austérité » et le « fléau » du Pasok au remplacement de ce dernier. Ils ont trahi le peuple grec lors du référendum et ils sont devenus les nouveaux maîtres d'œuvre de la Troïka et les gestionnaires de la politique criminelle de l'UE contre les réfugiés.
Au Portugal, le Bloco de Esquerda comprend (en plus du PCP et de la bureaucratie de la CGTP) la base parlementaire du gouvernement du PSP, arguant que c'est la seule possibilité d'empêcher le retour de la droite. Ce faisant, ils soutiennent la politique d'austérité de la Troïka, mise en œuvre par Costa, ils anesthésient le mouvement et ils nourrissent la fausse illusion qu'une issue pour le pays est possible dans le cadre de l'UE et par la voie parlementaire.
En Allemagne, Die Linke gouverne déjà avec le SPD dans les Länder de Brandebourg et de Thuringe, et elle aspire à devenir la partenaire junior dans un improbable gouvernement fédéral. En Espagne, Podemos, qui a déjà perdu beaucoup des espoirs qu'elle avait fait naître, se montre comme un appareil électoral qui associe son entrée future au gouvernement à une coalition avec le PSOE. En France, le programme de Mélenchon, ancien ministre de Jospin et candidat de la « France insoumise », a une empreinte fortement nationaliste (y compris des déclarations xénophobes, et de nature impérialiste concernant la Guyane française, lors des récentes élections présidentielles) ; il ne touche pas à la propriété des grandes entreprises et des banques et ne rompt pas avec la politique impérialiste française.
Tous, Mélenchon, Podemos, le Bloco de ezquerda, Die Linke ou Syriza, s'abstiennent bien de parler de rupture avec l'UE et proposent de « modifier les traités » pour une « refondation ».
Avancer une réponse internationaliste à l'offensive capitaliste, travailler pour construire une alternative à la bureaucratie syndicale
S'il y a quelque chose qui ne devrait plus se répéter, c'est que, dans des situations telles que le référendum grec ou la mobilisation contre le droit du travail en France, il n'y ait pas une réponse européenne du mouvement ouvrier, bien que pour l'instant elle serait minoritaire.
En ce moment même, nous avons le « quatrième mémorandum » grec encore chaud, il y a les décrets annoncés par Macron pour juillet (la radicalisation de la contre-réforme du travail et l'attaque contre d'autres acquis fondamentaux du mouvement ouvrier français), ainsi que les attaques en cours dans d'autres pays.
Il est donc urgent de mettre en place, à partir du syndicalisme de combat, les préparatifs pour appeler à une journée européenne de lutte qui donne une réponse unie à l'offensive de l'UE, soutien la classe ouvrière française et le peuple grec et unifie dans chaque pays les luttes en cours, en collaboration avec les mouvements unitaires de lutte qui existent.
Il faut soutenir pleinement le syndicalisme de combat et les organismes unitaires qui émergent dans les différentes parties de l'Europe, comme les Marches de la dignité en Espagne ou le Front de lutte No Austerity en Italie. Il faut renforcer les syndicats de combat et les unifier au sein du Réseau syndical international de solidarité et de lutte. Il faut travailler sans relâche pour avancer une alternative syndicale aux centrales bureaucratiques.
Nous avons besoin d'une réponse solidaire contre les réformes qui détruisent les droits syndicaux et du travail et qui se déchaînent contre le système public de retraite ; pour le non-paiement de la dette illégitime ; en défense de services publics gratuits et de qualité ; pour la mise en place d'un digne salaire minimum européen ; pour des plans de choc contre le chômage, basés sur la répartition du travail sans réduction de salaire ; pour les demandes de la femme qui travaille ; contre la répression des luttes et en défense des libertés démocratiques attaquées.
Construire une Internationale révolutionnaire en Europe
Pour nous, la Ligue internationale des travailleurs (LIT-QI), la lutte pour organiser une réponse internationaliste européenne est inséparable de la lutte pour construire une alternative de direction révolutionnaire en Europe. Tel est notre engagement et notre combat.
Tsipras a montré que, si l'on se soumet à l'Union européenne et à l'euro, en dépit des nombreux promesses et discours évoqués dans l'opposition, au moment d'arriver au gouvernement, on devient le maître d'œuvre de la Troïka. Nous rejetons ce néo-réformisme qui ne va pas au-delà des élections et des institutions bourgeoises et qui se couvre de phrases creuses sur la « radicalisation de la démocratie » et la « refondation » de l'UE... pour finir par gouverner pour le capital au prix de la misère du peuple.
La lutte et l'engagement de la LIT sont de construire un regroupement militant indépendant de la bourgeoisie, de la social-démocratie et du néo-réformisme, des amis du PASOK et des amis de Tsipras. Un regroupement classiste et internationaliste qui fait face aux gouvernements de la Troïka, que ceux-ci soient formés par des partis de la droite, par Hollande ou Gentiloni, par Costa au Portugal ou par Syriza en Grèce. Un regroupement pour la révolution socialiste européenne, où le travail institutionnel n'est qu'un élément auxiliaire de lutte extra-parlementaire. Un regroupement dont la stratégie passe par la rupture avec l'UE et par l'ouverture d'une voie vers un nouveau régime politique et social fondé sur la démocratie ouvrière et la propriété sociale des moyens de production, pour une Europe des travailleurs et des peuples, à savoir, des Etats Unis Socialistes d'Europe.