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Ligue Communiste des Travailleurs

Section belge de la Ligue Internationale des Travailleurs -
Quatrième Internationale (LIT-QI)

« L'émancipation des travailleurs sera l'œuvre des travailleurs eux-mêmes. » K. Marx

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11 janvier 2015
May Assir et Gabriel Huland
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Le massacre de Charlie Hebdo et la montée de l'islamophobie

Le mercredi 7 janvier, Paris a été victime de ce qui est considéré comme le pire attentat terroriste en France depuis 1961, quand l'OAS (l'Organisation de l'Armée Secrète, une organisation de droite opposée à l'indépendance de l’Algérie) mit une bombe dans un train de la ligne Paris-Strasbourg, tuant 28 personnes.

L’assassinat de presque toute la rédaction du magazine satirique français Charlie Hebdo (12 personnes) a été vécu par la presse parisienne comme le « 11 septembre » français, à partir duquel on peut parler d'un avant et un après. Un journaliste ou un caricaturiste ne doit jamais être menacé de mort, même si l'on n'est pas d'accord avec ses opinions, mais faire l'objet de la critique et le débat.

Les terroristes, qui ont déclaré appartenir à al-Qaïda, n'ont pas seulement tiré contre les douze personnes qui étaient dans la rédaction, mais contre l'ensemble de la communauté musulmane de France et d’Europe. Ils ont ouvert la voie à la légitimation de l'islamophobie et de nouvelles « lois antiterroristes » à travers tout le vieux continent. Les dirigeants des principaux pays impérialistes, Hollande en tête, ont condamné l'attaque au nom « de la liberté d'expression et des valeurs républicaines ». L’extrême droite raciste et xénophobe, qui avait gagné du terrain lors des élections européennes, a sauté sur l’occasion, en France, en Allemagne, en Angleterre et aux Pays-Bas, pour exiger des mesures répressives contre l'immigration et en faveur de la peine de mort.

L'attentat ouvre une nouvelle étape qui sera instrumentalisée par les gouvernements et l'extrême droite pour attaquer les droits fondamentaux des plus opprimés de la classe ouvrière européenne, les immigrés. Le monde civilisé devra « se protéger de la barbarie djihadiste », et à cet effet, il y en a qui auront à payer les pots cassés et servir de bouc émissaire. Des temps difficiles sont à venir.

L'hypocrisie des gouvernements impérialistes

Les gouvernements du monde entier, y compris les Etats-Unis, la France et l'Espagne, font des déclarations « en défense de la liberté d'expression et de la tolérance ». De fait, le Premier ministre français a appelé le peuple français à élever la voix pour « les valeurs de la démocratie, la liberté et le pluralisme », tout en défendant « l'unité nationale » contre le terrorisme. Hollande, qui se vante d’être un démocrate, maintient des troupes au Mali et ne permet pas aux femmes musulmanes de porter le voile dans les écoles publiques françaises.
   De son côté, le gouvernement du Parti Populaire espagnol – qui a interdit le référendum en Catalogne, a approuvé la « loi bâillon »[1] et admet jour après jour des centaines de délogements – a également rejoint le mouvement de « la liberté d'expression ». Dimanche passé, Rajoy participait, avec Merkel, Cameron, Renzi, Hollande, Netanyahu et d'autres chefs d'Etat, à la manifestation contre le terrorisme à Paris. En Espagne, la première mesure annoncée par le ministre de l'Intérieur, Jorge Fernandez Diaz, après les attentats fut d’élever d’un cran le niveau d'alerte terroriste, passant du niveau 2 au niveau 3. Cela signifie davantage de policiers dans la rue.

La bannière de « la liberté » sélective fut également agitée par Netanyahu, le Premier ministre d'Israël, affirmant que « le terrorisme cherche à détruire la culture de la liberté », alors qu’il est le représentant d'une colonie qui a tué plus de 2000 Palestiniens, seulement lors de la dernière opération militaire contre Gaza.

La réaction de l'extrême droite européenne

La population immigrée ne doit pas seulement résister aux attaques de la part de ces gouvernements ; elle est également pointée du doigt par les partis d'extrême droite qui la rendent coupable du manque d'emplois et de l'insécurité croissante. Marine Le Pen, dont le parti se situe en tête des intentions de vote en France, déclarait déjà en 2013 « qu’il n'y a pas de place pour les immigrés en Europe ». En plus de défendre un référendum concernant la peine de mort, abolie en 1981 par le président François Mitterrand, la leader du Front national a déclaré que « l'islam radical est une idéologie meurtrière ».

Nigel Farage, le chef du parti britannique UKIP, a déclaré que « l'obsession de la promotion d'une société multiculturelle en Europe a créé une cinquième colonne en occident ». Geert Wilders, le leader xénophobe des Pays-Bas, a déclaré que l'Islam « vise à soumettre le monde entier à la sharia » et que ce qui est arrivé à Paris « n’est qu'un début ».

Les mouvements anti-islamiques croissent au rythme de la croissance de ces partis, comme le mouvement Pegida (Européens patriotes contre l'Islamisation de l'Occident) en Allemagne, qui a déjà atteint le chiffre de 18 000 participants lors de sa dernière manifestation, avant l'attaque à Paris. Pegida n’est pas le seul parti xénophobe en Allemagne. Le NPD (Parti national-démocrate d'Allemagne) et l'AfD (Alternative pour l'Allemagne, créée récemment) agissent également à leur guise dans le pays, en participant même aux élections. L'AFD a sept sièges au Parlement européen.

Des attaques islamophobes et des mesures répressives en Europe

Les ministres de l'Intérieur de plusieurs pays européens et des représentants des Etats-Unis, de la Turquie et d’Israël, entre autres, se sont rencontré dans la capitale française et ont annoncé les premières mesures d'un plan « antiterroriste » qui, en réalité, signifie une grande attaque aux libertés démocratiques et une augmentation de l'islamophobie.

Ils ont convenu des « vérifications approfondies » de certains passagers et la coordination avec les entreprises d'Internet pour empêcher les contenus liés au terrorisme. Le 18 février prochain, un sommet international contre le terrorisme se tiendra à Washington. Le ministre français de l'Intérieur a défendu davantage de restrictions dans le système Schengen de contrôle des passages aux frontières.

Plus de trois locaux gérés par des musulmans ont été attaqués en France depuis l’attentat, et le matin du samedi 10 janvier, des graffiti ont été retrouvés sur une des Mosquées de Madrid, appelant les musulmans à dégager d’Espagne et les traitants de « chiens ».

Face à cette montée du racisme, nous soulignons l'importance de la distinction entre la population musulmane et les fascistes intolérants qui ont tiré de manière indiscriminée sur tous ceux qui se trouvaient dans les locaux du magazine. Rappelons que l'un des policiers tués, Merabat Ahmed, qui défendait les locaux du magazine, était musulman. Cette distinction est claire et nous soulignons que des dizaines de manifestations dans toute l'Europe sont convoquées par des collectifs islamiques pour condamner cet attentat.

Nous rappelons aussi que ceux qui souffrent le plus de ce fascisme intolérant sont les millions de musulmans terrorisés par l'Etat islamique en Irak, par Boko Haram au Nigeria, qui a tué récemment plus de 2 000 personnes, ou par des gouvernements qui préfèrent tuer toute leur population plutôt que de se rendre à la lutte révolutionnaire des peuples, comme en Syrie ou en Egypte. Beaucoup de ceux qui sont torturés par des agents de la CIA à Guantanamo ou qui meurent aux mains de l'Etat d'Israël sont des musulmans.

L'occupation coloniale française en Afrique du Nord et au Moyen-Orient

Il est impossible de comprendre les évènements de mercredi passé sans revenir en arrière et analyser la politique de l'empire colonial français après la Première Guerre mondiale, quand l'Angleterre et la France se répartirent le Moyen-Orient lors des accords Sykes-Picot. Le Maroc, l'Algérie, la Syrie et le Liban (qui n’existait pas jusque-là) sont restés sous occupation militaire française, dont la politique était d'établir des gouvernements autoritaires qui ne permettaient pas un développement indépendant de ces pays, et de mettre toute leur économie au service des intérêts de la métropole.

Pendant la guerre de libération d'Algérie (1954-1962), on estime que près d'un million d'Algériens ont été cruellement assassinés par l'armée française, qui a déployé plus de 500 000 soldats dans le pays, sous le prétexte qu’ils appartenaient au FLN (Front de Libération national) ou qu’ils collaboraient avec la résistance. La bataille emblématique d'Alger a été l'une des plus sanglantes de l'histoire récente, et l'une des pratiques courantes des forces françaises était de défiler dans les rues de la capitale algérienne avec les têtes des guérilleros du FLN décapités.

L'OAS, citée plus haut, était une organisation terroriste française d'extrême droite, dirigée par le général Raoul Salan. Elle avait plus de mille hommes en armes et trois mille membres en Algérie et en France. Elle luttait contre l'indépendance de l'Algérie et fut responsable d’un grand nombre d'attaques contre des civils désarmés et contre des institutions françaises et algériennes en Europe et au Maghreb.

Rien de tout cela ne justifie l’attentat, mais cela aide à comprendre la mentalité de beaucoup de jeunes musulmans qui, faute d’alternatives cohérentes de lutte, sont des proies faciles pour les groupes terroristes qui prétendent agir pour la défense de l'Islam contre la barbarie occidentale.

« Je suis Charlie » ?

Des milliers d’activistes ont montré leur solidarité aux victimes de l’attentat en affichant « Je suis Charlie » sur leurs réseaux sociaux. Nous insistons encore une fois sur l’importance de la condamnation par les travailleurs de ce type d'acte terroriste, montrant ainsi le dégoût le plus total.

Nous condamnons l'assassinat des caricaturistes, mais nous ne sommes pas le contenu de leur magazine. C’est précisément parce que nous sommes d'accord avec la liberté d'expression que nous critiquons les bandes dessinées et les couvertures islamophobes publiées par le magazine en France, où les musulmans représentent environ 10 % de la population. Même si c’est de la satire, nous considérons que certains de ces dessins sont offensifs et promeuvent le racisme (comme, par exemple, celui d'un Egyptien criblé de balles brandissant le Coran, faisant allusion au massacre commis par la junte militaire égyptienne en 2013). C’est pour cela que, bien que nous condamnons l’attaque, « nous ne sommes pas Charlie ».

Aucune unité nationale

La lutte contre le fanatisme religieux est inséparable de la lutte contre le racisme, contre le colonialisme, contre le chauvinisme et le patriotisme, contre le militarisme et l’utilisation de la police contre les pauvres, les jeunes et les immigrés. Elle est également indissociable de la lutte contre l'oppression des minorités, contre tous les conservatismes et les réactions que le capitalisme alimente.

La bataille contre le terrorisme et l'islamophobie ne peut pas être effectuée en réalisant « l'unité nationale », comme le proposent Hollande et l'UE, ni avec un gouvernement qui continue l'offensive contre les travailleurs, renforce les mesures d'exclusion de la population immigrée, applique des coupes budgétaires et flexibilise le marché du travail.

Seule la mobilisation des travailleurs et des jeunes peut défendre les libertés démocratiques et vaincre le terrorisme. L'unité des organisations du mouvement ouvrier doit s’imposer, également sur cette question, en créant un camp indépendant du gouvernement, des institutions de la 5e République et des partis de la bourgeoisie.

Face à la montée de l'islamophobie, nous crions : Native ou étrangère, la même classe ouvrière !
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* Traduction d'un article publié sur le site de Corriente Roja, la section espagnole de la LIT-QI

[1] La Ley de Seguridad Ciudadana, appelée Ley Mordaza, élaborée par le ministère de l'Intérieur, prévoit des amendes jusqu'à 30 000 euros pour une offense à l'Espagne ou aux Communautés autonomes.