2 mai 2017
Ligue Internationale des Travailleurs - Quatrième Internationale
« Ni patrie (Le Pen), ni patron (Macron) »
L'ancien banquier et ancien ministre de Hollande, Emmanuel Macron, a remporté de justesse la victoire au premier tour de l'élection présidentielle française, ce qui lui permet d'entrer en compétition, au second tour, avec la leader de l'extrême droite xénophobe du Front National, Marine Le Pen.
Ces élections présidentielles ouvrent une nouvelle ère dans la politique française. La défaite, au premier tour, des gaullistes et du Parti socialiste (PSF), les deux forces qui ont soutenu le régime depuis plus de 50 ans et ont été le moteur des contre-réformes des grands patrons et de l'Union européenne (UE), marque un point de non-retour dans la crise de la Ve République. La défaite a été particulièrement sanglante dans le cas du PSF, qui a obtenu un misérable 6,3 % des voix et subit un processus de décomposition accélérée, un processus qui trouve bien sa place dans la crise généralisée qui traverse les anciens partis sociaux-démocrates européens.
Mais même les deux vainqueurs au premier tour, Macron et Le Pen, ont des scores très faibles, car entre les deux, ils ne représentent que 34 % des électeurs inscrits. A cela s'ajoute, en outre, une grande abstention, qui a atteint 10,5 millions de personnes, avec une incidence particulière chez les travailleurs et les jeunes de 18 à 25 ans. Dans le cas de la colonie française de la Guyane, l'abstention et le vote nul ont dépassé les 80 % de l'électorat.
Le vote pour l'extrême droite, sur Le Pen, et le vote sur Mélenchon, identifié comme d'extrême gauche par les médias, reflètent une polarisation forte et croissante de la société française.
Que ce soit Macron ou Le Pen le gagnant au second tour, leur base de soutien sera faible. Les prochaines élections de juin pour l'Assemblée nationale ne vont pas donner une majorité stable, et la crise politique va augmenter, à la chaleur de la réponse sociale à l'offensive anti-ouvrière et antipopulaire que le prochain gouvernement sera obligé de lancer, en collaboration avec l'UE, pour satisfaire le grand capital français.
La crise de la Ve République française est aussi la crise de l'UE
Les résultats, bien que présentant une image déformée par le flou électoral, montrent également le processus irréversible de l'usure et le discrédit de l'UE au sein de la classe ouvrière européenne, dans ce cas, la française. L'UE montre de plus en plus clairement son vrai visage : une machine de guerre contre les travailleurs et les peuples d'Europe.
La Loi du travail de Hollande et Macron montre que l'offensive de l'UE, loin d'être circonscrit à la périphérie, se manifeste également avec toute sa force dans les pays centraux, et en particulier, en France, dont le déclin par rapport à l'Allemagne n'a pas cessé d'avancer depuis l'introduction de l'euro.
La crise du capitalisme français et de son régime affecte le cœur de l'UE, l'avenir du projet stratégique du capitalisme européen depuis la Seconde Guerre mondiale.
L'extrême droite du Front National
Le Front National de Marine Le Pen (21,53 % des voix) est passé au second tour en tirant avantage de la crise aiguë du capitalisme français et de son régime politique, brandissant un programme national-impérialiste et xénophobe, enrobé de démagogie sociale. Il a également profité du grand discrédit de l'UE, pour vociférer contre elle en y opposant la « patrie française » et en parlant même d'un référendum pour sortir de l'euro.
Mais à une semaine du second tour, Le Pen est déjà en train de définir ses véritables intentions en tant que parti du capitalisme français. Elle a annoncé que, si elle gagne, elle nommera un gaulliste, Nicolas Dupont-Aignan (classé sixième au premier tour), comme premier ministre. Il ne s'agit dorénavant plus de quitter l'UE, mais de renégocier le pacte avec le capitalisme allemand. Son programme économique a cessé d'être « incompatible » avec l'euro. Selon Marion Maréchal-Le Pen, pour le moment, « il y aura un grand débat pendant des mois et peut-être pendant des années, avant de prendre cette décision ».
La « France insoumise » de Mélenchon
Mélenchon, ancien ministre socialiste de Lionel Jospin, est resté aux portes du second tour avec 19,64 %. Il a recueilli une bonne partie du vote ouvrier et populaire. Il était premier dans des villes comme Marseille, Toulouse, Lille, Montpellier, Grenoble et Le Havre, et deuxième dans beaucoup d'autres zones urbaines.
Mais le programme de la « France insoumise », avec un biais nettement nationaliste, ne touche pas la propriété des grandes entreprises et des banques et ne soulève pas la rupture avec l'UE ; il propose plutôt de négocier la « modification des traités », et il ne rompt pas non plus avec la politique impérialiste française. Il propose la sortie de l'OTAN et une Assemblée constituante pour refonder la République.
Quelle est l'alternative ?
Au cours du premier semestre de l'année dernière, la classe ouvrière française a mené un puissant mouvement de manifestations et de grèves contre la Réforme du travail de Hollande (la Loi El-Khomri). La classe ouvrière a montré qu'elle pouvait paralyser la France, avec les travailleurs des raffineries, les dockers, les cheminots et les éboueurs en première ligne. Malheureusement, le mouvement n'a pas été unifié et centralisé dans une grève générale pour imposer le retrait de la Loi et renverser le gouvernement, à cause de la stratégie d'usure pratiquée par la direction de la CGT. Hollande pût ainsi approuver la réforme du travail par décret, mais il n'a pas réussi à imposer une défaite au mouvement. Les grèves actuellement en cours dans tout le pays en sont la preuve.
Le discrédit des institutions et des partis de la Ve République et la méfiance à l'égard d'autres possibilités, hors la construction d'une force indépendante basée sur la mobilisation, ont conduit à une initiative sans précédent lors d'une élection présidentielle : le « Premier Tour Social », qui a eu lieu le 22 avril et a réuni plusieurs milliers de travailleurs et de militants sur la Place de la République, à l'initiative des fédérations et des syndicats sectoriels et locaux de la CGT, de Sud-Solidaires, de la CNT, des étudiants, des chômeurs et des mouvements sociaux. Là se sont manifestées les luttes en cours, et un appel à leur unification a été lancé ; on exigeait l'abrogation de la Loi du travail et la liberté des combattants emprisonnés, la fin de la violence policière. C'était « pour dire haut et fort que nous comptons, que nous décidons, que nous serons une force incontournable ».
L'alternative passe par l'organisation de cette force sociale pour imposer les revendications ; par le renforcement du syndicalisme combatif et l'auto-organisation des luttes ; par la mise en échec de la Ve République et de la politique impérialiste française ; par la mise en place d'un nouveau régime politique et social fondé sur la démocratie ouvrière et la propriété sociale des moyens de production. L'alternative passe par la rupture avec l'UE et l'euro et la construction, avec d'autres peuples, d'une Europe unie des travailleurs et d'Etats-Unis socialistes d'Europe. L'alternative passe par des avancées dans la construction d'une direction révolutionnaire pour la France et pour l'Europe.
Que voter le 7 mai ?
Au premier tour, la LIT a appelé à voter pour Poutou, l'ouvrier de Ford candidat de la NPA, convaincue que c'était cela le vote le plus progressiste face aux candidats bourgeois et à Mélenchon.
En ce second tour, nous endossons les graffiti sur la statue de la place de la République à Paris : « Ni patrie (Le Pen) ni patron (Macron) ». Nous sommes avec les étudiants qui ont manifesté dans les villes françaises contre Macron et contre Le Pen. Nous nous identifions avec les travailleurs de Whirlpool d'Amiens, qui luttent contre la délocalisation de l'usine et qui disent : « Ne votez ni Macron ni Le Pen, votez blanc ».
Nous, les ouvriers et les jeunes, nous ne pouvons pas soutenir Macron, le candidat du grand capital, favori de l'Union européenne ; ni une Le Pen promotrice d'un projet chauvin, raciste et xénophobe.