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Ligue Communiste des Travailleurs

Section belge de la Ligue Internationale des Travailleurs -
Quatrième Internationale (LIT-QI)

« L'émancipation des travailleurs sera l'œuvre des travailleurs eux-mêmes. » K. Marx

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28 février 2015
Ricardo Ayala et Felipe Alegría, de Corriente Roja, la section espagnole de la LIT-QI

Il n’y a pas de solution sans la suspension immédiate du payement de la dette

Face à l’ultimatum de l’Union européenne (UE), le gouvernement Tsirpas avait deux options : maintenir son accord avec le peuple grec et annuler le Mémorandum ou capituler à l’impérialisme européen, qui exigeait de lui une reddition en règle. Malheureusement, Tsirpas a capitulé.
   Avant de commencer les réunions, Varoufakis a déclaré qu'il n'y aurait plus de négociations avec la Troïka et qu'« ils ne signeraient pas une extension du Mémorandum, même avec un pistolet sur sa tête ». Tsirpas a quant à lui déclaré que la Grèce n’était plus une colonie et que son gouvernement n’accepterait pas des ultimatums ou des chantages. Cependant, il avait pleine confiance dans une « négociation entre partenaires ». Rien de plus illusoire.
   Au début des négociations, toute la Grèce suivait les reportages à la télévision, comme s'il s'agissait d'une finale de Coupe du monde de football. Dans ce match, ce qui se jouait était beaucoup plus que des buts : c'était l'emploi, la santé, l'éducation et le logement qui étaient en jeu, bref, une vie décente pour le peuple grec, justement ce pour quoi tant de gens placèrent leur confiance en Syriza, qui leur avait promis une rupture avec le Mémorandum et la fin de l'austérité. Des milliers de personnes ont manifesté en appui au gouvernement et les sondages lui donnaient un soutien de 85 %.
   Mais un deuxième match se jouait en même temps et sur le même terrain : l'UE contre les travailleurs de toute l'Europe. Pour l'impérialisme européen, le contenu le plus profond de la « négociation » allait au-delà du renouvellement du deuxième plan de sauvetage grec. La « négociation » affectait également les travailleurs portugais et espagnols, tout comme ceux de l'Irlande, des Pays baltes, de la France, de l'Italie ; les travailleurs et les peuples de toute l'Europe. Si les Grecs gagnaient, tous étaient victorieux. C'est à cause de cela que le gouvernement grec devait se rendre et être humilié. Et c'est ce qui devait être clair pour tout le monde.
   Dans les discussions de l'Eurogroupe (l'instance qui réunit les ministres des Finances de l'euro), la « négociation » était nettement politique : le fait que le peuple grec se soit déclaré souverain, créateur de son propre destin, était une énorme épine dans les pieds des pontifes de l'UE, qui devait être enlevée dès que possible. C'était un très mauvais exemple qui devait être extirpé sans délai.
   Cependant, en entrant dans la « négociation » sans mettre sur la table l'annulation de la dette et la fin du Mémorandum comme condition pour la discussion, Syriza a oublié toutes les attentes soulevées par elle et a déclaré forfait avant de commencer le jeu : une fois retirée de la table l'essence du problème qui prenait le peuple grec en tenaille, il ne restait plus qu'à discuter des modalités de paiement, à peaufiner la sémantique et à essayer d'éviter l'humiliation complète.
   A partir de ce moment, pour le capital financier européen, il s'agissait de transformer la Grèce en un exemple sanglant, non seulement pour les pays débiteurs, mais aussi pour les travailleurs italiens et belges qui, l'année dernière, avaient mené une grève générale contre les politiques d'ajustement.
   Pour les dirigeants de l'UE, il s'agissait de réaffirmer que la politique d'ajustement ne connaît pas de « marche arrière » ; de préciser que, dans cette affaire, tous serrent les rangs sous la direction du capitalisme allemand. Ils sont tous dans le même bateau, y compris les impérialismes de troisième rang, comme l'espagnol, ou la bourgeoisie des pays dominés comme le Portugal et les pays de l'Est. Tout part d'un objectif global : changer le modèle d'exploitation de la classe ouvrière européenne, surtout dans la périphérie.
   Par conséquent, ils devaient imposer à Tsipras, et par extension au peuple grec, une défaite humiliante. Derrière la Grèce, il y avait le maintien de l'ajustement structurel, les contre-réformes qui courent à travers toute l'Europe.

On ne peut pas servir deux maîtres à la fois

Avec modestie, quand tomba l'ultimatum allemand à la Grèce, nous écrivions : « Syriza est prisonnière d'une contradiction insurmontable : elle veut combiner l'opposition aux conditions du sauvetage et, en même temps, se maintenir à tout prix dans l'Euro et respecter les traités de l'UE ainsi que les accords avec la bourgeoisie grecque. [...] Mais il n'est pas possible d'arrêter la catastrophe sociale grecque si la condition est de se maintenir dans la zone euro. Si cela n'était pas clair, Berlin et Paris se sont déjà chargées de le clarifier : Syriza a à choisir entre l'un ou l'autre. » [1]
   La mise en scène de la « négociation » s'est transformée en une pièce de théâtre où se mêlent farce et tragédie, puisque le gouvernement de Syriza a accepté la pierre angulaire sur laquelle s'appuient les mesures d'austérité et selon laquelle la priorité est de sauver les banques et de rester à tout prix dans l'euro.
   Le problème est que cela est incompatible avec les mesures nécessaires pour arrêter la ruine sociale. On ne peut pas prétendre à la fois sauver les banques et annuler le Mémorandum. Tsipras a choisi la première option.
   La direction de Syriza, qui a qualifié les gouvernements impérialistes européens de « partenaires », a estimé qu'il suffisait de hausser le ton de ses déclarations pour ramasser au moins quelques miettes. Selon Tsipras, les « partenaires » ne pouvaient pas rester indifférents à la crise humanitaire qui tourmente le peuple grec.
   Mais Tsipras n'a pas compris qu'il n'était pas seulement en train de négocier un accord pour les mesures d'urgence qu'il avait avancées pour parvenir au gouvernement (et qu'il ne pourra pas appliquer avec l'accord qu'il a signé). Il n'a pas compris que ce qui se discutait vraiment dans l'Eurogroupe était de savoir si la Grèce (et, par extension, tous les pays « sauvés » et soumis) était souveraine et si les travailleurs d'Europe pouvaient lever la tête et révoquer les diktats de leurs gouvernements.
   « Renommer la Troïka en “institutions”, le mémorandum en “accord”, et les prêteurs en “partenaires”, de la même manière que vous appelez la viande poisson, cela ne change pas la situation », a déclaré au sujet de l'accord Manolis Glezos, eurodéputé de Syriza et héros de la résistance à l'occupation nazie. Cela ne change pas non plus le sens du vote du peuple grec aux élections du 25 janvier. Tsipras a été élu pour annuler le Mémorandum du deuxième sauvetage, forcer une annulation de la dette et mettre fin au régime d'austérité. Mais il a signé le contraire. Comme dans un simulacre de théâtre antique grec, les acteurs ont enlevé les masques, mais cette fois, ils ne l'ont pas fait à la fin de la fonction mais au tout début.

Le gouvernement Tsipras a choisi de sauver les banques

Alors que l'encre de « l'accord » n'était pas encore sèche, l'économiste britannique Michael Roberts écrivait dans son blog : « Une des ironies cruelles de l'accord de dernière minute entre l'Eurogroupe et le gouvernement grec pour prolonger le programme actuel d'“aide” supervisé par la troïka, est qu'il ne constitue en rien une aide. » Roberts a absolument raison : le « sauvetage » qui a maintenant été prolongé fut, à l'époque, le sauvetage des banques allemandes, françaises et étasuniennes, qui purent ainsi transférer leurs titres de la dette grecque aux Etats de l'UE, à la BCE et au FMI. [2]
   L'accord signé par le gouvernement Syriza-Anel maintient la même logique que les sauvetages précédents, sauf qu'il s'agit maintenant en premier lieu de maintenir à flot les banques grecques. L'accord prolonge pour quatre mois le deuxième plan de sauvetage, qui expire le 28 février. Le prolongement signifie l'acceptation de toutes les conditions draconiennes imposées par les prêteurs. Et sur cette base, la mise en route de la négociation d'un troisième sauvetage, avec les mêmes prémisses. C'est à cela que se référait Tsipras en disant que « les difficultés, les vraies difficultés... sont à venir ».
   En échange des étapes finales des prêts de la Troïka, le gouvernement Tsipras brade la souveraineté nationale, renonce à l'application du « programme minimum de Salonique » et jette à la poubelle les mesures d'urgence qu'il a lui-même adoptées après la victoire électorale.

Mais qui va donc être « aidé » par la Troïka ?

Ce qui est dramatique dans tout cela, c'est que le gouvernement grec ne verra même pas la couleur de l'argent de « l'aide » de la Troïka à la Grèce. Tsipras ne disposera pas d'un euro en plus à dépenser. C'est de l'argent aller-retour aux créanciers, qui sert à maintenir la spirale infernale d'une dette de plus en plus grande, mais impayable. Un des éléments de la menace de chantage de la Troïka consiste à laisser sans liquidités les banques grecques, qui doivent refinancer 11 milliards, prêtés par la BCE en échange de la dette à court terme que le gouvernement Tsipras ne peut pas racheter.
   L'économiste et député de Syriza, Costas Lapavitsas, dénonce à juste titre que « les fonds seront utilisés exclusivement pour les besoins des banques, et ils échapperont au contrôle grec ». Et il ajoute que « quand le gouvernement de Syriza s'engage à assurer correctement les excédents primaires [la différence entre les recettes et les dépenses du gouvernement avant paiement des intérêts], il maintient les mêmes bases du sauvetage de novembre 2012 ». La Troïka gardera alors un contrôle étroit sur toutes les décisions gouvernementales majeures.

L'extension du « sauvetage » ne met pas fin à l'agonie.

En juin, le gouvernement grec doit payer 6,7 milliards à la BCE et 5,3 milliards au FMI. Et à la fin du mois d'avril, la Troïka doit « réviser » l'accord pour s'assurer que les réformes et les mesures auxquelles s'engage Tsipras sont effectivement en cours d'exécution, faute de quoi elle ne continuera à refinancer ni le gouvernement ni les banques grecques.
   Pour libérer ces fonds (qui n'arriveront jamais au trésor grec), Tsipras s'est engagé à donner suite aux mesures du Mémorandum, comme exigé par Berlin et Bruxelles, avec le soutien de la bourgeoisie grecque.
   Le programme de Syriza de la Conférence de Thessalonique a été voté sur la base de la plus que probable anticipation des élections, dans le contexte de la fissuration du gouvernement Samaras. Le « Programme minimum de Thessalonique » était un net recul par rapport au programme voté lors du Congrès précédent, qui préconisait expressément l'annulation unilatérale du Mémorandum par un vote du parlement grec. Au lieu de cela, à Thessalonique, on a fait valoir que les Grecs ont été confrontés au  choix entre « une négociation européenne par un gouvernement de Syriza, ou l'acceptation des termes des créanciers de la Grèce par le gouvernement de Samaras ». Dans cette situation, le gouvernement Syriza se serait prononcé pour ce qui suit :
• Annuler la majeure partie de la valeur nominale de la dette publique pour qu'elle soit soutenable. [...] Inclure une 'clause de croissance' dans le paiement de la partie restante de la dette, afin qu'il soit financé sur la base de la croissance et non pas sur celle de budget.
• Inclure une importante période de grâce (moratoire) dans le service de la dette, afin de consacrer des ressources à la croissance.
• Exclure l'investissement public des restrictions du Pacte de stabilité et de croissance.
• La question de l'emprunt forcé de la Banque de Grèce par l'occupation nazie [...] deviendra la position officielle du pays quand nous serons au pouvoir.
• Nous nous sommes engagés auprès du peuple grec pour un Plan national de reconstruction qui devra remplacer le Mémorandum dès nos premiers jours au pouvoir, avant toute négociation et indépendamment de l'issue de celle-ci.
   Les travailleurs grecs ont voté expressément pour ces propositions, mais elles n'ont même pas fait l'objet des négociations. Lorsque le ministre allemand des Finances, Wolfgang Schäuble, déclara que « la réduction de la dette ne fait pas partie de l'ordre du jour », Tsipras a refusé de mettre en œuvre les engagements qu'il avait pris, et a fini par signer un accord : il maintient le paiement intégral la dette ; il accepte de ne prendre aucune mesure qui implique une augmentation des dépenses publiques sans l'approbation par la Troïka ; il remet en question l'ensemble du plan d'urgence approuvé ; il accepte de maintenir les objectifs d'excédent primaire pour effectuer les paiements de la dette. En bref, paraphrasant le programme de Syriza, le résultat de la négociation était « l'acceptation des termes des créanciers de la Grèce », comme l'aurait fait le gouvernement de Samaras.

Bas les pattes de l'UE sur la Grèce ! Pour la suspension immédiate du paiement de la dette !

Corriente Roja a critiqué les mesures d'urgence annoncées par le gouvernement Tsipras comme insuffisantes, mais elle n'a pas hésité à affirmer qu'il fallait les défendre bec et ongles contre les attaques de l'UE et des puissances impérialistes européennes.
   Face à l'ultimatum allemand, Syriza doit mettre en œuvre son programme d’allègement de la dette et de moratoire. Et bien qu'elle n'ait jamais soulevé la possibilité de quitter la zone euro, elle devrait assumer cette option comme la seule voie possible pour mettre en œuvre son programme d'urgence face à la catastrophe sociale.
   Si l'impérialisme européen réagit avec le blocage du financement des banques grecques, la réponse immédiate devrait être leur nationalisation et le contrôle des mouvements de capitaux pour empêcher leur fuite.
   Mais le choix de la direction de Tsipras est de préserver la propriété des banques en faillite, qui survivent comme parasites des grands requins qui pillent le pays. Pour en finir avec les diktats de l'impérialisme européen représenté par l'Union européenne et la BCE, le gouvernement doit rompre ses engagements envers la bourgeoisie grecque et le parti des Grecs indépendants (ANEL) au sein du gouvernement, ainsi qu'envers la Nouvelle Démocratie que Tsipras a menée à la Présidence de la République comme un symbole de son engagement envers l'ordre existant.

Avec Manolis Glezos : la gauche grecque doit se mobiliser pour révoquer les accords.

   Nous souscrivons les paroles de Manolis Glezos dans sa proclamation « Avant qu'il ne soit trop tard ». La gauche – et tout d'abord celle de Syriza – doit se mobiliser et mobiliser les travailleurs et le peuple grec pour descendre dans la rue et exiger du gouvernement Tsipras la suspension immédiate du paiement de la dette et l'application immédiate et sans délai de toutes les mesures d'urgence qu'il a approuvées.
   Ne pas le faire, c'est « se comporter comme si la Grèce était un pays colonial et les Grecs les parias de l'Europe ». Les mots sont de Tsipras en campagne électorale.
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[1] Voir le site web de Corriente Roja 
[2] Le thème de la dette est développé plus amplement dans un autre article du même journal de Corriente Roja.