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Ligue Communiste des Travailleurs

Section belge de la Ligue Internationale des Travailleurs -
Quatrième Internationale (LIT-QI)

« L'émancipation des travailleurs sera l'œuvre des travailleurs eux-mêmes. » K. Marx

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23 janvier 2015

« Kabila dégage ! »

Ce 21 janvier, une manifestation de l’opposition contre l’adoption d’un projet de modification de la loi électorale permettant le maintient du président au pouvoir au-delà de son mandat, a été violemment réprimée. Depuis, des manifestations insurrectionnelles, avec occupations de routes, pillages, incendies de commissariats et de bâtiments officiels se sont étendues à plusieurs villes, et expriment la rage de la population et des étudiants. Même l’église a appelé le gouvernement à « ne pas tuer ses concitoyens » et au retrait de la loi électorale. Selon les sources,  la répression aurait déjà fait entre 28 et 40 victimes.

Les raisons de la colère

La situation politique dans ce gigantesque pays au centre de l’Afrique fait penser à la récente révolution au Burkina Faso, où le peuple a mis le gouvernement dehors en descendant dans les rues. L’Europe et les Etats-Unis, principaux bénéficiaires du pillage des ressources naturelles de la RDC, s’inquiètent de la situation et appellent à « un processus électoral démocratique et transparent » et « à la responsabilité de la classe politique pour maintenir la stabilité ».
   Ce qui a mis le feu aux poudres c’est l’adoption du projet de modification de la loi électorale. Il s’agit d’une manœuvre du régime au pouvoir pour se maintenir au-delà de 2016 sans modifier la Constitution. En effet, après la révolution au Burkina Faso, l’impérialisme américain lui-même avait déconseillé au président de tenter une telle manœuvre, craignant une contagion insurrectionnelle. La tactique est donc la suivante : lier les élections présidentielles au recensement de la population, ce qui devrait prendre au minimum 3 ans : le temps estimé pour recenser, dans des conditions très difficiles, une population estimée à 66 millions d’habitants. Finalement après le vote à la Chambre, l’article concernant la modification a été amendé par le Sénat en mentionnant que « l'actualisation de la liste électorale en fonction des données démographiques doit se faire dans le respect des délais constitutionnels prévus pour l'organisation des élections présidentielles ».[1] Ce compromis est une victoire temporaire de la mobilisation mais n’est pas une garantie de futures manœuvre du pouvoir car, de toute façon, il semble impossible de faire un recensement et à la fois maintenir le calendrier prévu. En effet, la  RDC est un des pays les plus pauvres de la planète avec des infrastructures déplorables et une administration publique qui ne fonctionne presque pas. Un recensement de la population est une tâche  gigantesque dans ce pays qui fait près de 80 fois la superficie de la Belgique.

Kabila : un bilan positif pour qui ?

La  presse ne cesse de souligner le travail positif de Kabila, à l’instar de Colette Braeckman, qui pose cette question : « Pourquoi un tel mécontentement, une aussi profonde aspiration au changement, alors que le pouvoir actuel est sans doute celui qui, depuis l’indépendance, a le plus œuvré pour la reconstruction et la modernisation du pays ? »[2]
   Ce pays de 66 millions d’habitants est classé 187e sur 187 sur l’indice de développement humain des Nations Unies.[3] L’espérance de vie y est de 55 ans, le taux de mortalité infantile est le 14e le plus élevé au monde avec 78 morts pour 1000 naissances et seulement 46 % de la population a accès à l’eau potable.[4] 70 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté et le même pourcentage vit de l’agriculture. 
   Qu’a fait Joseph Kabila depuis qu’il est en place? Il a signé des lois écrites par l’impérialisme lui-même : le code minier, le code forestier et le code sur les investissements, qui ouvrent brutalement le sous-sol du Congo aux multinationales étrangères. Toutes ces réformes sont imposées grâce au mécanisme de la dette qui conditionne les annulations de dettes à l’application de programmes ultra libéraux.
   L’enjeu est de taille. Il s’agit en effet de sous-sols riches en métaux précieux : coltan, cobalt, diamant et or. Le coltan et le cobalt sont utilisés dans des superalliages, résistants à des conditions extrêmes. Le tantale, dérivé du coltan, conducteur très résistant à la corrosion, est utilisé dans l’électronique mais aussi dans l’industrie aérospatiale et l’aéronautique militaire et civile. Il est utilisé dans les téléphones portables, les ordinateurs (surtout  portables) et la console Playstation.  Le colombium, extrait aussi du coltan, est un matériau essentiel pour certains secteurs industriels importants tels que l’énergie, l’aérospatiale et le transport.
   En RDC, si des routes ont été construites ces dernières années, ce n’est pas pour relier les villages aux écoles ou aux centres médicaux, mais pour acheminer les matériaux vers les frontières et permettre le bon fonctionnement de ce pillage organisé.
   La population est en colère, les administrations publiques ne fonctionnent pas, la violence et l’arbitraire de la police de l’armée et des groupes armées sont quotidiens. La justice connaît des grèves régulières et les diplômés ne trouvent pas d’emplois.  La situation est catastrophique.  Quand un des pays les plus riches du monde en minerais importe chaque année pour 1 milliard de dollars de denrées alimentaires,  cela veut dire que toute cette richesse ne va pas au développement du pays.

Un pays occupé militairement

Le pillage à grande échelle du sous-sol congolais est la raison principale de la présence de la mission de l’ONU en RDC, car le pays n’est pas « sécurisé ».  La MONUSCO  est une des plus grande missions des Nations Unis avec 20 000 militaires déployés sur le terrain. Leur mandat les autorise à utiliser « tous les moyens nécessaires » pour mener à bien leur mission. Celle-ci est bien sûr « le maintien de la paix », mais pour qui ? Les populations civiles, victimes des violences des groupes armées, de la police et même de la MONUSCO, n’en tirent aucun bénéfice. Cette mission, qui a un budget de 1,5 milliard de dollars par an, sert bien à « appuyer le Gouvernement de la RDC dans ses efforts de stabilisation et de consolidation de la paix »,[5] c'est-à-dire à garantir un climat propice à l’extraction des richesses du Congo. La mission de l’ONU n’est rien d’autre que l’intervention militaire directe de l’impérialisme dans un pays stratégique qui alimente le marché mondial et permet aux multinationales de faire des millions de dollars de bénéfices ! 
   L’Europe est présente au Congo via des missions militaires (EUSEC) et policières (EUROPOL) pour former l’armée nationale, mais également les bataillons de la police qui répriment actuellement les manifestations dans le sang.

Derrière la façade démocratique…

Kabila a été mis en place par la « communauté internationale » en 2001, suite à l’assassinat de son père, le nationaliste Laurent Désiré Kabila qui a chassé le dictateur Mobutu avec le soutien de la population. En 2006, des élections sont organisées par cette même « communauté internationale » pour légitimer le pouvoir en place. Nous écrivions à l’époque : « ''La révolution démocratique est en marche au Congo'', tel était le titre de l’éditorial du Soir à la veille du premier tour des élections présidentielles en République Démocratique du Congo. ''D’ici quelques jours, une nouvelle légitimité apparaîtra au Congo, fondée sur la volonté populaire.'' Ce genre d’exclamations délirantes inonde les médias chaque fois que l’impérialisme use de cette méthode que nous nommons ''réaction démocratique'', qui consiste à mettre en scène la liberté des ''citoyens'' de se rendre aux urnes, alors même qu’il essaye de stabiliser un régime semi-colonial dans un pays riche en ressources énergétiques ou géologiques, ou présentant un intérêt stratégique, ou les trois, comme c’est le cas du Congo. »[6]
   En 2011, face à l’UDPS et au leader historique de l’opposition Etienne Tshisekedi, Joseph Kabila a dû organiser des fraudes massives pour gagner de justesse les élections. A cette époque, les instituts de surveillance occidentaux eux-mêmes ont reconnu les fraudes. Selon le rapport de Humans Right Watch,[7] la répression des manifestations de l’opposition pour dénoncer les fraudes au lendemain de l’élection a été particulièrement sanglante, avec plus de 24 personnes tuées et des dizaines de personnes arrêtées L’organisation soupçonne que le nombre de morts est plus élevé, car des corps auraient été cachés et des consignes données aux hôpitaux de ne pas révéler les détails des admissions. Il y a eu des témoignages d’exécutions sommaires ainsi que des cas de tortures (passage à tabac, coups de batte avec des clous). Mais cela n’a pas empêché l’Europe et les Etats-Unis de continuer à soutenir Kabila, une homme fort qui garantit le business.

…un régime dictatorial

Comment, dans ce climat, le régime se maintient-il ? En effet, les congolais sont bien conscients que le pouvoir ne leur donne rien et organise le pillage du pays. Ils voient tous les jours les camions remplis de minerais et de bois précieux quitter le pays. Pour trouver la réponse, il faut commencer par un constat : la République Démocratique du Congo n’a rien de démocratique.
   Lors des manifestations de ces derniers jours, la police a tiré à balles réelles sur la foule, l’Agence Nationale des Renseignement (ANR) a fait couper les réseaux internet et GSM, les partis d’oppositions sont encerclés par la police.[8] Les jours suivants, des rafles ont été organisées dans les campus et autres foyers d’opposition. Et il est à craindre que ces militants soient  torturés ou liquidés. Mais le discours officiel, servi ce 21 janvier à la RTBF (chaîne de télévision publique belge) par le ministre de la communication, est que les morts ne sont que des pillards, abattus par des agents de sécurité dans des propriétés privées !
   Pour se maintenir en place, le pouvoir peut compter sur ses institutions répressives qui dépendent directement de la présidence. Il s’agit de la Garde Républicaine du président (12 000 hommes), de l’ANR, de la Police d’Intervention Rapide (PIR) et de la direction générale des migrations (contrôle des déplacements intérieurs et extérieurs). « Selon Amnesty International, ses agents [de l’ANR] sont parmi les tortionnaires les plus redoutés de la RDC. […] L’opposition et les militants de la société civile, accusés d’avoir violé la sécurité de l’Etat, sont particulièrement visés. Les militants sont arrêtés, ils sont détenus dans des conditions cruelles et inhumaines, sans eau ni  nourriture, dans des centres de détentions tenus secrets. Ils n’ont pas accès à l’assistance juridique. »[9]  
   Ce pouvoir ne supporte aucune critique, à tel point qu’il a expulsé en octobre 2014 le directeur adjoint du bureau des droits de l’Homme des Nations Unies pour avoir « osé » dénoncer dans son rapport les exactions de la police et de l’armée dans une opération de « sécurité » de novembre 2013 à février 2014.[10]

Pour une révolution congolaise

Les manifestations insurrectionnelles qui ont lieu contre le pouvoir sont l’expression d’une haine profonde de la population envers des dirigeants qui deviennent milliardaires et qui sont totalement à la solde des gouvernements et des multinationales impérialistes, alors que cette population elle-même vit dans la misère la plus totale. Ces mobilisations suivent l’exemple héroïque du peuple burkinabais, qui a montré que la mobilisation du peuple paye. Au Congo aussi, la tâche du peuple pour améliorer ses conditions de vie est de se débarrasser de Kabila et de sa clique !
   Ce dont le peuple congolais a besoin, ce ne sont pas des élections organisées manipulées par le pouvoir et l’impérialisme sous occupation militaire, mais de véritables élections libres, sous le contrôle des mouvements populaires, comme les mouvements de la société civiles, les syndicats, etc.
   Il est également fondamental que les travailleurs belges et européens se mobilisent pour défendre les droits démocratiques de leurs frères de classe congolais, en commençant par dénoncer la complicité de leur gouvernement et de l’Europe avec le régime dictatorial pour garantir les bénéfices des multinationales !

Non à la prolongation du mandat de Kabila !
Abrogation de la modification de loi électorale !
   Pour des élections libres, sous le contrôle des organisations populaires !
   Les troupes de l’ONU et de l’Union Européenne hors du Congo !
   Nationalisation du secteur minier ! Non aux pillages des ressources naturelles du Congo ! Non au paiement de la dette !
   Le Congo appartient au peuple congolais, pas aux multinationales !

________________________
[1] Site de RFI, le 23/01/2015
[2] Blog de la journaliste, le 21 janvier
[3] Trefon, T., La mascarade de l’aide au développement, éd. Academia, l’Harmattan, 2011, p. 178.
[4] http://planificationfamiliale-rdc.net/fiche-pays.php
[5] Site de la MONUSCO
[6] Presse Internaitnale n°41, septembre 2006
[7] http://www.hrw.org/fr/news/2011/12/21/rd-congo-24-morts-depuis-l-annonce-du-r-sultat-de-l-lection-pr-sidentielle
[8] Le Soir 20/01/2015
[9] Trefon, T., La mascarade de l’aide au développement, éd. Academia, l’Harmattan, 2011, pp. 145-146
[10] Centre d’actualité de l’ONU