6 décembre 2017
Hertz Dias (Secretaríat des Noirs du PSTU)
Américo Gomes (Instituto Latinoamericano de Estudios Socioeconómicos)
Le vrai visage de l'impérialisme face à l'esclavage en Libye
Le 17 novembre, la CNN a montré des commerçants achetant et vendant des migrants de l'Afrique de l'Ouest dans un marché en Libye. L'indignation était générale et les protestations se sont multipliées dans le monde : des milliers de gens ont manifesté contre l'esclavage dans plusieurs villes européennes, telles que Paris et Bruxelles, et les protestations ont atteint les terrains de football, où des joueurs africains ont manifesté.
Rien de neuf
L'esclavage en Afrique, et en Libye en particulier, a été annoncé il y a des années par plusieurs pays et organes de presse. L'Organisation internationale pour les migrations elle-même (OIM), dont dépend le Département de lutte contre la migration illégale, a vérifié l'existence de marchés d'esclaves depuis au moins 2016.
Rien qu'en Libye, il y a le nombre alarmant de 700 000 migrants africains qui vivent dans des conditions inhumaines, généralement affamés, dans des camps de concentration, générant une abondance de « marchandise » à être emprisonnée et vendue comme esclaves. Sans oublier les plus de 3.000 qui sont morts en essayant de traverser la Méditerranée pour se rendre en Europe.
Larmes de crocodile
Les hauts responsables et les autorités européennes et africaines ont exprimé leur indignation, que ce soit de la part de l'Union européenne, de l'Union africaine ou de l'ONU.
Les gouvernements du Burkina Faso, du Mali et du Niger ont appelé la communauté internationale à intervenir. Ceux du Cameroun et de la Côte d'Ivoire ont lancé un plan pour rapatrier leurs concitoyens qui se trouvaient en Libye. Le Rwanda a offert un soutien logistique aux migrants rwandais qui voudraient rentrer et même à ceux d'autres pays qui se trouvent en Libye.
Le président français Emmanuel Macron a appelé à une réunion d'urgence du Conseil de sécurité, déclarant que la traite d'esclaves était un « crime contre l'humanité ». La haute représentante pour les affaires étrangères de l'UE, Federica Mogherini, a déclaré que l'esclavage et la traite d'êtres humains sont inacceptables.
Mais la vérité est que les protestations tentent de cacher la réalité : la responsabilité de cette situation est, directement et indirectement, de la bourgeoisie impérialiste européenne.
Tout d'abord parce que ces migrants fuient leur pays en raison des mauvaises conditions de vie, la faim et la misère, ainsi que la persécution politique et religieuse provoquée par leurs gouvernements, qui se conforment aux prescriptions économiques du FMI et des gouvernements impérialistes.
En second lieu, en cherchant à atteindre l'Europe, beaucoup de migrants, emprisonnés en Libye, deviennent des esclaves pour travailler dans un circuit de grands investisseurs qui réalisent des mégaprojets dans les régions proches de la capitale, et dans les latifundia de l'agro-industrie. C'est-à-dire de grands capitalistes qui sont directement ou indirectement liés aux investisseurs internationaux.
Le troisième aspect est que les esclaves sont des migrants qui essaient d'entrer en Europe et qui en sont empêchés par les gouvernements européens, dans le cadre d'opérations conjointes avec le gouvernement libyen.
Par conséquent, tout ce que les autorités libyennes font en matière de lutte contre les migrations, à l'origine de la traite d'êtres humains, sont des actions soutenues et coordonnées par les gouvernements de l'Union européenne.
En ce sens, les larmes de la bourgeoisie impérialiste européenne et des dirigeants de ces pays, comme le président Macron, sont pour la galerie. Ils répètent la chansonnette raciste ancestrale que ce sont « des Africains qui réduisent des Africains en esclavage » et cachent leurs propres intérêts. Ils préfèrent que les migrants continuent à être asservis en Libye plutôt que de les laisser entrer librement en Europe.
Le gouvernement libyen, en tant que partenaire
Nous parlons d'environ 700 000 réfugiés et de milliers d'esclaves ; il est impossible que cela existe dans un pays sans la connivence du gouvernement. Il va de soi que le gouvernement libyen, partenaire et associé des gouvernements européens, est impliqué dans la traite des êtres humains, en dépit du fait qu'il nie qu'il y a de l'esclavage sur son territoire, et qu'il prétend que les images de la CNN (« si elles correspondent à la réalité », sic) sont épisodiques et que les responsables seront punis.
La Garde côtière libyenne, fréquemment accusée de collaborer avec des milices et des trafiquants et de violer les droits humains des migrants, agit conjointement avec les forces militaires européennes, qui sont impliquées dans toute cette opération. Ce sont les militaires de l'UE et de l'OTAN qui forment les membres de la Garde côtière. Ils donnent même un soutien aérien en fournissant des informations sur l'emplacement des migrants.
En effet, si un navire rencontre ou sauve des personnes dans les eaux internationales, il est obligé de les amener à la zone de sécurité la plus proche ou dans le pays du navire. Par conséquent, si ces personnes étaient sauvées par des navires européens, cela signifierait les amener à des ports européens.
Les gouvernements européens financent, forment et coordonnent donc la Garde côtière libyenne, qui à son tour capture les réfugiés et les amène dans des camps de concentration dans son pays, où ils sont maltraités et dont beaucoup sont vendus comme esclaves.
Les rapports de l'OTAN signalent « des violations graves des droits humains et des abus extrêmes et des manipulations inappropriées de détenus, y compris des abus sexuels, l'esclavage, la prostitution forcée, la torture et les mauvais traitements » dans les centres de détention. [1]
Bref, ils font le sale boulot pour les troupes européennes : ils empêchent physiquement les gens d'atteindre l'Europe.
L'ONU elle-même admet qu'il existe un travail conjoint entre la Garde côtière libyenne et le Département de lutte contre la migration illégale, dans le but d'arrêter les trafiquants en Méditerranée et de chasser des immigrants illégaux. L'Union européenne et l'Italie financent les « centres d'opérations » de la Garde côtière pour « aider à chercher et à sauver des migrants ».
En 2006 s'est déroulée l'opération Hera, promue par Frontex (l'Agence européenne de garde-frontière et de garde-côtes). Avec elle, l'Espagne et l'UE ont financé, formé et approvisionné en matériel les garde-côtes des pays africains pour retenir les migrants sur leurs territoires. Il s'agit, en particulier, des gardes du Sénégal et de la Mauritanie, avec des opérations non européennes, car réalisées par la police locale du pays, bien que celle-ci soit financée, formée et supervisée par des troupes européennes.
En 2015, l'Union européenne a versé des milliards d'euros au gouvernement turc pour retenir le flux de migrants sur son territoire. Actuellement, la coopération de l'UE avec la Garde côtière libyenne comprend un financement de 130,8 millions d'euros.[2]
Récemment, en octobre, un accord a été conclu entre les gouvernements italien et libyen pour contenir l'immigration en Europe. Le programme – surnommé « Africa Fund » – finance des projets de développement et des opérations de sécurité frontalière. Les navires militaires italiens supervisent la Méditerranée dans une opération conjointe avec la garde côtière libyenne, qui est chargée d'arrêter les navires et de les amener en Libye, afin que la marine italienne n'ait pas besoin de les amener en Italie. L'accord implique environ 236 millions de dollars pour le gouvernement de la Libye.
L'opération en cours, appelée « Opération Sofia », est commandée en ce moment par l'Espagne et l'était auparavant par la Grande-Bretagne.
Une enquête de la Chambre des Lords a conclu que cela allait entraîner une augmentation des décès en mer de réfugiés et de migrants. Le nombre de victimes sur la route entre la Libye et l'Italie a augmenté de 42 % : plus de 4500 personnes se sont noyées en 2016, contre 3175 en 2015. Jusqu'à présent, en 2017, il y a eu 2150 décès. [3]
On signale que 70 % de tous les navires quittant la côte libyenne sont maintenant coulés.
Toute cette hécatombe humaine en plein air exprime le niveau de décomposition atteint par le capitalisme mondial. Les mêmes nations impérialistes qui, il y a deux siècles, patrouillaient les navires négriers, arrêtaient les trafiquants et libéraient les esclaves lorsque l'esclavage était devenu un obstacle dans la voie de leur intérêt économique, actuellement cautionnent le trafic des êtres humains et s'y associent même.
Contre cela, il faut garantir la plus grande solidarité internationale avec ces travailleurs qui n'ont même pas le droit fondamental de vendre leur force de travail pour rester en vie. Mais il faut également dénoncer le rôle de l'ONU et l'UE dans cette nouvelle forme de trafic négrier.
Les déclarations vides ne suffisent pas ! Nous exigeons des mesures concrètes telles que la suspension du paiement des dettes extérieures des pays africains en tant que politique de réparation pour les crimes que l'impérialisme a commis et continue de commettre contre les peuples de ce continent. Ces réparations ont d'ailleurs été criminellement retirées des résolutions adoptées à la Conférence contre le racisme tenue dans la ville de Durban, en Afrique du Sud, en 2001.
Cependant, il faut comprendre que, pour supprimer définitivement les griffes de l'impérialisme euro-américain sur l'Afrique, il sera également nécessaire que le prolétariat arrache le pouvoir local des mains de sa propre bourgeoisie, qu'elle soit noire ou blanche, sans faire la moindre concession de classe, vers la formation d'une Fédération des Républiques Socialistes dans ce qui est le plus ancien continent habité du monde. En attendant, cette lutte doit également gagner l'ensemble du prolétariat mondial, en particulier ceux qui vivent à l'intérieur des pays qui dominent le continent africain.
Manifeste international de la périphérie
3 novembre 2017Les entités et les organisations qui se sont réunies lors du Congrès de la CSP-CONLUTAS et de la rencontre du Réseau Syndical des Amériques appellent toutes les organisations du mouvement noir mondial à participer à la construction de la Marche de la Périphérie et du Novembre Noir 2017.
La bourgeoisie a commis le plus grand crime de l’Histoire : l’esclavage de 20 millions d’Africains, dont plus de la moitié est décédée dans le transport à l'intérieur de l'Afrique vers les ports ou sur des navires négriers qui traversaient l'Atlantique avec des centaines d’êtres humains enchaînés et traités comme des animaux. Les navires ont été appelés des « tumbeiros » (des navires-tombes) à cause du haut taux de mortalité dans leurs soutes.
Les bourgeois ont également été impitoyables avec les peuples indigènes dont plus de 50 millions ont été exterminés au nom du capitalisme et sous l’approbation de l’Eglise.
Au Brésil, ils ont maintenu l’esclavage pendant 300 ans, et quand ils y ont mis un terme, ils ont toutefois maintenu les grandes propriétés, sans donner la moindre éducation ni un emploi pour les esclaves libérés, en les laissant sans maison, sans travail, sans terre et sans respect humain.
En Afrique, ils ont divisé le continent selon les intérêts de l'impérialisme et surexploité la population ; ils ont supprimé toute souveraineté nationale ; ils ont pillé toutes les richesses.
En Haïti, ils ont envahi le pays plusieurs fois, ils y ont mis des gouvernements fantoches et y ont amené des troupes étrangères pour opprimer la population.
Tout cela pour garantir leurs profits et leur richesse.
Beaucoup d'héritiers impérialistes reconnaissent qu’ils ont pratiqué tout cet holocauste. Ils plaident coupables, mais restent impunis. Jusqu’à maintenant, ils n'ont rien fait pour réparer ces crimes.
Au contraire, ils continuent avec le génocide du peuple noir et indigène en défense de leurs intérêts impérialistes, maintenant à travers des gouvernements qui les représentent, marionnettes de ces mêmes impérialistes.
Pour nous qui construisons la « Marche Nationale de la Périphérie » dans plusieurs pays du monde, l’heure du changement du cours de notre Histoire est arrivée. C’est l’heure d’intensifier la résistance noire, indigène, des jeunes, des femmes, des LGBTs et des prolétaires dans tout le pays. C’est l’heure d’unifier les luttes pour la construction du Novembre Noir et de la Marche de la Périphérie vers une perspective de transformation sociale profonde et de construction d'un monde sans explorateurs ni exploités.
C’est l’heure de régler les comptes !
Si les Etats impérialistes ont commis un crime historique, ils doivent payer et réparer les dommages.Ils doivent indemniser les esclaves réfugiés dans les quilombos, les indigènes et les nations dont ils ont pillé les richesses et entravé la possibilité d’avoir un développement social.
Notre jeunesse noire et indigène doit avoir un avenir. Nos peuples doivent être indemnisés avec des politiques de santé publique, d'étatisation des hôpitaux, des projets d’éducation, de formation et de qualification professionnelles ; des projets de création d’emplois pleins pour toute la population des pays exploités.
Les immigrants ont le droit à la nationalité et aux pleins droits dans les pays qui ont bénéficié de l’exploitation des peuples africains, asiatiques et des Amériques.
Réunion de pays et entités lors du Congrès
de la CSP-CONLUTAS
et du Réseau Syndical des Amériques.