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Ligue Communiste des Travailleurs

Section belge de la Ligue Internationale des Travailleurs -
Quatrième Internationale (LIT-QI)

« L'émancipation des travailleurs sera l'œuvre des travailleurs eux-mêmes. » K. Marx

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SENEGAL : L'étincelle manquait pour que le feu s'allume

Le mois de mars a commencé avec un pays en plus pour dire haut et fort : cette crise capitaliste mondiale, ses conséquences et la pandémie sont insupportables. Au Sénégal, les travailleurs, les jeunes et les pauvres sont descendus dans la rue pour dire basta. La presse grand public affirme que c'est à cause de l'arrestation du leader de l'opposition Ousmane Sonko. Nous pensons que l'affaire Sonko n'a été qu'une étincelle qui a ravivé le feu des luttes sociales.


Ligue Populaire Sénégalaise
mars 2021

En ce mois de mars, le feu des luttes s'est transformé en un incendie, la même flamme des soulèvements observés en Angola contre l'autoritarisme du gouvernement MPLA de Joao Lourenco et au Nigeria, insurgé contre la police spéciale du gouvernement de Buhari, la sanguinaire SARS (Special Anti-Robbery Squad). Plusieurs jours d'affrontement avec la police, de pillage et d'incendie de supermarchés, de destruction de stations d'essence appartenant à des entreprises françaises. Le mois de mars a commencé par une démonstration claire d'être contre le gouvernement de Macky Sall et contre la domination française dans ses nouveaux formats. Pour les militants, leurs cinq morts n'ont pas été en vain.

Le sort de la classe ouvrière et des pauvres

En un peu plus de trente ans, la qualité de vie du peuple sénégalais a chuté de manière brutale. En 1990, l'indice de développement humain du Sénégal le plaçait en 126e position. En 2019, dans un processus de déclin constant, le pays se trouve en 168e position de cet indice calculé par le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD - de la ONU). Près de 80 % de la population n'a pas accès aux soins de santé ; l'espérance de vie est de 60 ans et les principales causes de décès sont : le paludisme, les maladies gastro-intestinales et les naissances prématurées.

 

L'invasion française nouveau style

Officiellement, la colonisation française de la République du Sénégal a pris fin dans les années 1960. L'indépendance n'a toutefois pas affecté la propriété de la bourgeoisie locale, ni de la bourgeoisie impérialiste, et nous voyons encore aujourd'hui des vestiges de la domination française, sous le manteau du néocolonialisme, une forme modifiée de l'exploitation raciste des peuples africains, comme le sénégalais. Le Sénégal n'a pas cessé de faire partie du système monétaire français. Une situation typique de celles décrites par Karl Marx : « une révolution partielle, simplement politique, qui laisse debout les piliers de l'édifice ».

Nous pouvons illustrer le nouveau modèle de colonisation du Sénégal par quatre faits majeurs :
a) l'absence de monnaie propre ;
b) l'accord de pêche ;
c) la monopolisation de la distribution alimentaire ;
d) la politique pétrolière.

 

* Absence de monnaie nationale : soixante ans après l'indépendance, le Sénégal et sept autres pays francophones continuent depuis l'époque coloniale à utiliser le franc CFA (de l'Union économique et monétaire ouest-africaine - UEMOA). La monnaie est ancrée à l'euro et les pays qui l'utilisent sont tenus de conserver 50 % de leurs réserves de change sur un compte du Trésor français.

* Accord de pêche : vol de la richesse, du travail et de la nourriture. Signé en octobre 2020, l'accord permet aux grands bateaux de l'Union européenne de pêcher par aspiration dans les eaux territoriales sénégalaises. Ce haut niveau technologique de la pêche empêche les pêcheurs artisanaux de continuer à pêcher, de sorte que les pêcheurs et leurs coopératives perdent cette source de travail. Comme il n'y a pas de pêche artisanale, cette importante denrée alimentaire sur la table sénégalaise devient rare et plus chère.

* Monopolisation de la distribution alimentaire : La société française Auchan s'est installée au Sénégal en 2014. Depuis lors, elle a construit 32 magasins, emploie 1700 personnes et est devenue un leader sur le marché de la vente au détail de produits alimentaires. Auchan est présent dans 17 pays, emploie 350 000 personnes et est le 11e distributeur alimentaire au monde. Le chiffre d'affaires total du groupe en 2016 était de 51,7 milliards d'euros. Le PIB du Sénégal en 2019 était de 21,1 milliards d'euros. C'est-à-dire que le chiffre d'affaires du groupe Auchan représente deux fois et demie le PIB sénégalais. Dans ces conditions de pouvoir économique, Auchan peut manipuler les prix, faire échouer et briser les petites entreprises, et enfin déterminer le prix des denrées alimentaires.

* Exploitation du pétrole : Depuis 2014, date à laquelle la société britannique Cairn Energy a découvert le premier puits de pétrole en eau profonde, le pays s'adapte à cette nouvelle exploitation coloniale. La bourgeoisie a d'abord parié ses jetons sur Macky Sall, un ingénieur géologue formé à l'Institut français du pétrole, qui a reçu un financement de la compagnie pétrolière française Total. Qui plus est, la Banque mondiale a prêté 29 millions de dollars en 2017 pour aider à renforcer les affaires avec les compagnies pétrolières. En plus d'être scandaleux, ce prêt, et d'autres, ont augmenté la dette publique et favorisé les intérêts des sociétés transnationales.

Dans une économie complètement dépendante de l'impérialisme européen, et du français en particulier, sans industrialisation pour créer des emplois, avec un commerce hautement automatisé par des entreprises étrangères qui ne créent pas non plus d'emplois, avec une pêche artisanale détruite par les grandes entreprises européennes, les jeunes n'ont pas d'autre choix : émigrer ou mourir de faim.

 

L'avenir des jeunes : émigrer où mourir.

Et si vous parvenez à survivre, vous pouvez toujours être renvoyé.

La jeunesse est confrontée à deux grands défis. Le premier est d'émigrer pour ne pas mourir de faim. Et d'émigrer sans trouver la mort dans les eaux de l'Atlantique, en route vers les îles Canaries et d'autres ports de refuge. En octobre de l'année dernière, au moins 140 personnes se sont noyées dans un seul naufrage.

Le deuxième survient lorsqu'on entre sur le territoire européen où on est traité avec racisme, xénophobie, chômage et le désespoir qui en résulte devant la vie. Le gouvernement central de l'Espagne a conclu des accords avec le Maroc, le Sénégal et la Mauritanie pour le renvoi des immigrants. Jusqu'au premier trimestre 2020, des vols réguliers d'expulsion étaient assurés vers ces pays. Après plus de six mois d'interruption, ces vols d'expulsion ont repris en septembre 2020.

 

L'humeur des masses :

Depuis quelques mois, les masses sénégalaises montrent que leur humeur change.

En janvier, lorsque le président Macky Sall a décrété un couvre-feu en raison du covid-19, sans aucune garantie d'aide économique pour la population, la réaction est venue avec les premières mobilisations des jeunes et des habitants des quartiers qui se sont heurtés aux forces de sécurité à Dakar. La population a brûlé des pneus et érigé des barricades pendant que la police lançait des gaz lacrymogènes. [1] Les principaux affrontements se sont produits dans le district de Ngor, et d'autres incidents ont été signalés dans les régions de Médine et de Yoff et dans les banlieues de Pikine, Guediawaye et Thiaroye.

En février, de nouvelles manifestations ont eu lieu contre le président Macky Sall qui tentait d'utiliser les organes de l'État pour criminaliser l'opposant Sonko, accusé de harcèlement sexuel. Des dizaines de manifestants ont encerclé la maison de Sonko et ont jeté des pierres sur la police qui a répondu avec des gaz lacrymogènes. Ce devait être une manifestation pacifique, mais elle s'est terminée par des affrontements avec la police. Le protestataire Moustapha Diop déclarait :« Nous sommes ici aujourd'hui pour envoyer un message fort au président Macky Sall. Pour lui dire que nous n'accepterons pas que Sonko soit sacrifié, tout comme nous ne l'avons pas accepté pour d'autres opposants. » [2]

Le mois de mars a marqué une nouvelle période de mobilisations. Trois jours de luttes dans la rue, les universités et les quartiers populaires. Du mercredi 3 mars au vendredi 5, le Sénégal a connu une explosion de protestations comme on n'en avait pas vu depuis des décennies.

La bourgeoisie avait vraiment peur. Le prestigieux New York Times a fait un long article où il explique que la raison de l'étincelle était l'arrestation d'un leader de l'opposition, mais que les masses sont descendues dans la rue pour manifester contre le président Macky Sall. « Le Sénégal explose dans des manifestations. L'étincelle était une accusation de viol. Après qu'une figure de proue de l'opposition, Ousmane Sonko, ait été accusée de viol, les manifestants de l'un des pays les plus stables d'Afrique de l'Ouest sont descendus dans la rue pour exprimer leurs griefs au président. » [3]

Une partie importante de la presse grand public a expliqué que la vague de protestations était due à l'arrestation d'Ousmane Sonko. Nous considérons qu'il s'agit là d'une vue partielle. Plusieurs voitures ont été incendiées et des postes de police ont été cambriolés, détruits et incendiés. Mais une question est très frappante : consciemment ou inconsciemment, de nombreuses actions étaient étroitement liées aux activités économiques de l'impérialisme français au Sénégal.

a) Les pêcheurs : au début de ce texte, nous avons parlé de l'accord de pêche et de son caractère néfaste pour les pêcheurs et les consommateurs. À Ngor, un village de pêcheurs, les manifestants sont descendus dans la rue, ont construit des barricades et ont mis le feu à des pneus. La fumée était visible dans plusieurs quartiers de Dakar.

b) La chaîne de supermarchés Auchan a également payé son tribut pour sa monopolisation de la distribution alimentaire et son origine impérialiste. Sur ses 32 supermarchés, 14 ont été attaqués, pillés et brûlés. Le samedi, on pouvait encore voir des gens fouiller dans un magasin incendié la veille, à la recherche de quoi que ce soit d'utile.

c) La question du pétrole : le réseau de stations-service est exploité surtout par le groupe français Total. Et c'est ce réseau de stations-service qui a subi le plus d'attaques, de destructions et d'incendies.

Dans les trois points ci-dessus, on voit que le centre des attaques de colère des masses sénégalaises était contre les entreprises françaises, ou contre la conséquence de l'exploitation comme dans le cas de la pêche.

Les manifestations avaient également un sentiment contre le gouvernement de Macky Sall, accusé d'être dictatorial et d'utiliser les organes de l'État pour écarter des candidats aux élections. Lors de l'élection de 2019, il avait déjà utilisé ce mécanisme pour exclure deux candidats à la présidence. Pour les prochaines élections, il a tenté de faire de même avec Ousmane Sonko. L'un des principaux slogans criés était : « Trop c'est trop », ce qui signifie assez, c'est assez. Le journal Le Soleil et la station de radio pro-gouvernementale RFM ont été attaqués et détruits.

L'arrestation de Sonko est la goutte d'eau qui a fait déborder le vase. Le covid-19 est à la base de la crise de l'économie nationale. Le Sénégal est à terre, il y a la famine, le chômage des jeunes et la pauvreté, dû à la stagnation de l'économie mondiale, mais également parce que des milliards, débloqués pour venir en aide aux familles pendant la pandémie, ont été détournés par les autorités en charges de ces aides sans être inquiétés, car c'étaient des proches du Président.

 

L'arrestation d'Ousmane Sonko

L'arrestation d'Ousmane a suscité l'indignation, due à l'utilisation par Macky Sall de l'appareil d'État pour chasser ses concurrents, et elle a donné lieu à l'explosion des masses sénégalaises. En ce sens, les méthodes dictatoriales de Sall doivent être dénoncées et confrontées dans la rue.

D'autre part, il y a une accusation de viol contre Sonko, et nous exigeons l'enquête la plus approfondie et la plus sérieuse. Le résultat peut être un acquittement ou une condamnation, mais le plus important est de ne pas laisser passer une accusation de violence sexuelle sans la contester. Nous plaidons pour des enquêtes indépendantes sur Sall et Sonko.

Pour le moment, la libération de Sonko a apaisé la situation. Il est sous contrôle judiciaire pour permettre à l'enquête de déterminer si les accusations sont réelles ou fausses. Mais la mobilisation reste en alerte, car elle exige également la libération de tous les prisonniers politiques, presque une centaine.

 

Sonko n'est pas une alternative pour les travailleurs

Ousmane Sonko a commencé son militantisme en fondant l'Union autonome des agents fiscaux et des agents de change, dont il a été le secrétaire général de 2005 à 2012. En janvier 2014, il a créé le PASTEF - Patriotes du Sénégal pour le Travail, l’Ethique et la Fraternité, un parti dont il est le président. En 2017, il a été élu député, et en 2019, il fut candidat à la Présidence de la République. Avec 16 % des voix, il est arrivé en troisième position.

Le PASTEF est un parti de jeunes petits bourgeois, de professionnels libéraux et de quelques dirigeants syndicaux. Son programme est plutôt limité. Par exemple, une partie de l'élaboration de la politique pétrolière est présentée dans le livre Pétrole et gaz au Sénégal : chronique d'un gâchis, dans lequel le centre du débat tourne autour des affaires de Sall, sans remettre en question le caractère impérialiste de la concession pétrolière. Il s'agit d'un livre contre la corruption. La dénonciation est forte et bien soutenue contre le président et son frère. Mais rien qui remette en cause l'impérialisme. Par contre, les États-Unis et la Grande-Bretagne voient d'un bon œil ces accusations contre Sall, le poulain de l'impérialisme français. Dream lui-même a déclaré : « J'ai moi-même été reçu deux fois ici à l'ambassade des États-Unis et j'ai été longuement été entendu par le procureur qui suivait l'affaire. » [4]

Le programme du PASTEF affirme que « la mondialisation est une opportunité si nous savons exploiter ses immenses possibilités, car elle peut raccourcir le temps de la renaissance [du pays]. Ce sera une tombe si nous ne sommes pas capables de nous adapter à ses immenses défis, car elle peut accélérer le temps du déclin. ». En termes simples, à une époque dominée par le capitalisme impérialiste, les Patriotes du PASTEF soutiennent que la mondialisation est une occasion pour sortir de l'arriération. La défense de la patrie à l'heure de la mondialisation ne peut être qualifiée de patriotique.

 

Construire une alternative ouvrière et socialiste

La classe ouvrière doit construire sa propre alternative. Nous devons construire une organisation enracinée dans la classe ouvrière, les chômeurs, les pêcheurs et les pauvres. Nous avons besoin d'une organisation prolétarienne. Mais il ne suffit pas qu'elle soit prolétarienne, elle doit avoir un programme et une orientation qui vont dans le sens de la nationalisation des richesses naturelles, de l'expropriation de la bourgeoisie commerciale et financière, d'origine nationale ou étrangère. C'est-à-dire un programme et une direction qui a pour horizon la construction d'une société socialiste, sans patrons nationaux ou étrangers.

 

* Macky Sall et son groupe d'agents de l'impérialisme français, dégage !

* Stop à la persécution de Sonko : une enquête indépendante sur les accusations de viol.

* Auchan dehors. Total dehors. Rupture de l'accord de pêche. Le Sénégal pour les Sénégalais !

* Pour un gouvernement des travailleurs et des pauvres !

 

[1] https://www.africanews.com/2021/01/07/protests-erupt-in-senegal-over-new-covid-19-measures//

[2] https://www.africanews.com/2021/02/08/clashes-in-senegal-after-opposition-leader-sonko-accused-of-rape/

[3] https://www.nytimes.com/2021/03/05/world/africa/senegal-protests-rape-charge.html

[4] https://www.pressafrik.com/Graves-revelations-dans-son-livre-sur-le-petrole-senegalais-Ousmane-Sonko-suivi-de-pres-par-les-Americains_a177151.html