23 juillet 2013
Aucune confiance dans le nouveau gouvernement égyptien, marionnette de l'armée et de l'impérialisme !
En prenant en charge son propre destin, l'imposante lutte du peuple égyptien secoue encore une fois le monde. Une nouvelle date est entrée dans l'histoire de la révolution héroïque du pays le plus peuplé de la région : le 30 juin 2013. Pendant cette journée, les rues et les places des grandes villes de l'Egypte ont été prises par une manifestation effrénée de millions de personnes. Leur cri exprimait un jugement catégorique : Morsi, dégage !
Le gouvernement dirigé par Mohamed Morsi sur la base d'un accord entre les Frères musulmans et le sommet militaire s'est effondré, après trois jours de ce verdict sans appel de la rue.
L'expérience des masses, accélérée au maximum par le processus révolutionnaire en cours, a fait qu'une année de mandat a été suffisante pour que Morsi, n'ayant répondu à aucune des aspirations populaires après la chute de Moubarak, devienne un cadavre politique.
Les travailleurs n'en pouvaient plus et ils se sont soulevés avec beaucoup plus de force que lors de leur exploit contre le dictateur. Et ils ont renversé un autre président en moins de trois ans. Cela confirme et renforce tout le processus des révolutions qui secouent l'Afrique du Nord et le Moyen-Orient, un processus qui, jusqu'à présent, a renversé Kadhafi en Libye, Ben Ali en Tunisie et Saleh au Yémen, et fait face à Al Assad en Syrie.
Les masses égyptiennes écrivent une nouvelle page de l'histoire de leur révolution dans les rues et les places et autour des palais encerclés, une révolution qui continue son cours et qui met en évidence son caractère permanent, sans interruption, et dans laquelle le peuple égyptien a clairement démontré que la chute de Moubarak n'était qu'un début.
Le renversement du gouvernement de Morsi signifie une nouvelle victoire immense des masses, une victoire reconnue en tant que telle et célébrée d'emblée par le peuple égyptien. Il s'agit d'une victoire, car le facteur crucial pour le renversement de Morsi fut la colossale mobilisation populaire.
Bien sûr, le régime militaire à la tête du pays, qui a réussi à survivre à la chute de Moubarak, n'a pas été détruit. Mais il a reçu une raclée par l'action des masses et en est sorti affaibli, car les masses se sont rendu compte une fois de plus qu'il est possible d'imposer un changement de gouvernement à travers leur force dans la rue.
Il en est ainsi, parce que le plan du régime était que le gouvernement de Morsi puisse compter avec une stabilité suffisante pour terminer son mandat jusqu'à la fin. Le sommet des généraux a été contraint, forcé par la mobilisation des masses, de sacrifier un autre gouvernement servile à ses intérêts. D'abord c’était Moubarak, maintenant c'est Morsi.
L'armée a dû faire ce geste contre sa volonté, comme mesure pour apaiser l'énorme mobilisation de masses, qui s'est répandue à travers tout le pays et qui menaçait la continuité même du régime militaire.
On a dû changer encore un fusible, et la situation du régime devient plus précaire, plus fragile, avec chaque coup asséné par le mouvement de masses, même si l'armée parvient encore à manœuvrer.
Pour la LIT-QI, l'essentiel est le contenu du fait et du processus, comme nous l'avons évoqué dans d'autres déclarations. Il est très important de garder cela à l'esprit, car il est naturel qu'il existe des doutes et de la confusion, en particulier à cause de la façon dont a eu lieu le renversement final de Morsi, par un putsch de l'armée.
L'intervention militaire qui a finalement destitué Morsi, au milieu des mobilisations, n'est pas un élément de moindre importance, bien qu'elle ne soit pas l'essence du processus, mais une contradiction. Car un nouveau gouvernement s'est installé en Egypte à partir de cela. Et un nouveau plan politique global est en cours d'exécution, une « feuille de route », toujours orchestrée par les militaires, et qui conserve le même objectif des classes dominantes et de l'impérialisme depuis la chute de Moubarak : vaincre la révolution.
Mais il faut comprendre tout d'abord que – peu importe la forme – la chute de Morsi, tout comme celle de Moubarak, est une grande victoire révolutionnaire des masses égyptiennes qui, par leur action, portent atteinte aux militaires ainsi qu'à l'impérialisme étasunien qui soutient ce régime depuis plus de 30 ans.
La chute de ces gouvernements a perturbé de nouveau la stabilité du régime et a mis celui-ci sur la défensive. Pour rester au pouvoir, les généraux ont dû faire un certain nombre de concessions dans le domaine démocratique – la dernière étant le fait de sacrifier Morsi –, mais ils sont incapables de faire de même dans le domaine économique. Le résultat de ce processus est que l'instabilité du régime avance d'un cran. Le putsch préventif ne ferme pas le processus, il l'attise.
Cette situation conduira inévitablement les masses à faire face au nouveau gouvernement, de la même façon qu'elles ont fait face à Moubarak et à Morsi, car la crise économique s'aggrave de jour en jour.
La contradiction du processus : Pourquoi les militaires gagnent-ils du prestige ?
Après avoir signalé l'essentiel dans la chute de Morsi, l'action des masses, nous devons maintenant comprendre ce qui est la contradiction de ce processus : le fait que les militaires soient effectivement parvenus à réagir à temps – face à la mobilisation des masses qui menaçaient le régime dans son ensemble – et soient intervenus en donnant un ultimatum à Morsi et en le destituant de la présidence. Et nous devons voir quelles sont les conséquences de cela.
Avec cette manœuvre, l'armée a usurpé l'action des masses et a pris la direction du processus, ce qui a empêché le peuple à continuer la mobilisation jusqu'au renversement de ce gouvernement.
La manœuvre a donné beaucoup de prestige aux généraux, au sein de la population, et elle a provoqué une grande confusion dans l'avant-garde et dans la gauche antirégime, qui avaient lutté sans relâche contre Moubarak et contre Morsi.
Une contradiction de cette envergure demande une explication, et nous devons comprendre la raison de la confiance et du soutien manifestés par le peuple vis-à-vis des militaires.
Comme nous savons, l'élément le plus immédiat est le fait que le régime militaire a été contraint de se repositionner, face aux grandes manifestations qui ont renversé Moubarak et Morsi, et de faire des concessions démocratiques – au point de déposer ses deux derniers gouvernements – plutôt que d'exercer la répression et d'orchestrer un bain de sang, comme on attendrait d'un régime militaire contre-révolutionnaire.
De cette façon, les militaires ont pu se présenter comme « amis » et « gardiens » des aspirations du peuple, et ils ont été vus ainsi par de larges secteurs des masses.
Le prestige politique de l'armée égyptienne a des racines historiques profondes. L'armée est financée directement par les Etats-Unis depuis les accords de paix de Camp David avec Israël. Mais, ironie du sort, son prestige est basé sur son passé anti-impérialiste.
Cela est lié au nationalisme et panarabisme nassérien qui s'est opposé à la monarchie et y a mis fin et qui a fait face à l'impérialisme et en est arrivé à nationaliser le canal de Suez, une mesure radicale qui, en outre, a été défendue militairement en 1956, lors d'une guerre de l'Egypte contre la Grande-Bretagne, la France et Israël. La réputation de l'armée vient aussi des guerres menées contre Israël : la Guerre des Six Jours en 1967 et celle de Yom Kippour en 1973.
Toutefois, cette réputation ne s'est pas maintenue sans failles. Il ne faut pas oublier que, pendant la période du gouvernement de la Junte militaire, entre la chute de Moubarak et l'élection de Morsi, une ample avant-garde et d'importants secteurs du mouvement de masses ont fait une expérience plus directe avec l'armée elle-même.
Les mesures prises par la Junte militaire entre février 2011 et juin 2012 ont généré un processus d'usure, qui a érodé progressivement le prestige acquis par l'armée après la destitution de Moubarak.
Dans ce contexte, et après la victoire électorale des Frères musulmans – qui ont battu de justesse le candidat avancé par la Junte, Ahmed Shafik –, l'armée a accepté l'accès au gouvernement des Frères musulmans, à condition d'assurer les fondements du régime : le poids et les privilèges économiques de l'armée – qui contrôlent au moins 30 % de l'économie – et les accords politiques et militaires avec les Etats-Unis et Israël. En outre, les Frères musulmans devaient assumer la tâche de contrôler le mouvement de masses. Il s'agit d'une alliance clairement contre-révolutionnaire, que les Frères musulmans ont acceptée de plein gré.
Cette alliance s'est maintenue jusqu'à ce que le gouvernement de Morsi ait cessé d'avoir l'utilité nécessaire à ces fins.
Le gouvernement des Frères musulmans a rapidement été en proie à l'usure, à la fois par sa gestion néolibérale et pas ses mesures bonapartistes clairement autoritaires. En peu de temps, cette image de « modéré » que Morsi a essayé d'afficher s'est révélée comme une farce. Durant les quelques mois qu'ils ont été au gouvernement, les Frères musulmans ont essayé sérieusement de mener à bien un projet d'islamisation de la société et de concentration du pouvoir dans la présidence. En ce sens, le coup du « décret » de Morsi de novembre 2012, qui l'investissait de pleins pouvoirs, a sonné le glas de son prestige, non seulement auprès des masses, mais aussi dans d'importants secteurs bourgeois.
A cela s'ajoutent la promotion et l'approbation d'une constitution, au mépris non seulement de la participation du peuple, mais aussi de celle des forces d'opposition bourgeoise elles-mêmes, une constitution qui, en plus d'être antiouvrière et contre le droit de grève, était basée sur la charia (la loi islamique) comme principale source de législation de l'Etat. Les Frères musulmans ont ainsi montré clairement qu'en pratique, leur projet était d'en arriver à une république islamique.
Dans le cadre d'un régime militaire, le gouvernement de Morsi signifie la continuité de la répression contre les militants, ainsi que les attaques contre les médias et contre les minorités religieuses coptes et chiites. Ces mesures lui ont valu l'usure, à la fois dans le peuple et auprès de secteurs de la bourgeoisie elle-même. Non sans raison, les masses attaquaient Morsi comme « le nouveau Moubarak » ou « le nouveau Pharaon », lors de leurs manifestations.
Tout cela, associé à une situation économique au bord de l'effondrement, a fait que l'acceptation de Morsi (et en grande partie aussi celle des Frères musulmans) s'est réduite à néant, et que le mécontentement populaire a grandi. La campagne lancée par le mouvement de jeunesse Tamarod (rébellion en arabe) a offert une alternative pour canaliser la colère accumulée vers des actions de masse, qui ont abouti aux manifestations du 30 juin, le point de non-retour. Dans le seul mois de mars 2013, il y a eu 1354 manifestations, et le mois suivant, il y en a eu 1462, soit 48 par jour, dont 62 % étaient d'ordre économique.[1] C'est un record pour ce mois, non seulement en Egypte, mais dans le monde.
Dans ce contexte, l'armée a commencé à prendre ses distances de Morsi et a essayé de le convaincre de revenir sur sa décision et de négocier. La campagne de Tamarod a commencé à gagner l'appui de l'opposition bourgeoise. L'armée et la police ont laissé libre cours à la mobilisation, qui a culminé le 30 juin.
L'ultimatum du sommet de l'armée, annoncé par le général Al-Sisi, intervint au milieu d'une situation incontrôlable, où le pays était envahi par les manifestations, avec des combats de rue entre partisans et adversaires de Morsi, c'est à dire lorsque la chute du gouvernement n'était plus qu'une question de temps.
Dans ce contexte, l'armée est intervenue pour empêcher un renversement direct et complet du gouvernement par l'action des masses. Elle a pris position à l'intérieur du processus pour mieux le détourner et l'endiguer.
Les militaires ont lâché du lest pour sauver le navire. Ils ont réussi, au moins pour l'instant, à récupérer le prestige qui avait été érodé pendant le gouvernement de la Junte, alors dirigée par le général Tantawi.
Malheureusement, ils ont réussi à usurper le triomphe des masses, à garder le contrôle du processus de l'après-Morsi, et à arbitrer ainsi la formation du nouveau gouvernement. Faute d'une direction révolutionnaire des masses, les gens ont fini par avoir confiance en une issue, mise en œuvre par l'armée pour apaiser la mobilisation populaire.
Quelle est la position à prendre concernant les mobilisations des Frères musulmans ?
Pendant le gouvernement de Morsi, les révolutionnaires devaient être dans la rue, avec les masses, en lutte contre le gouvernement, et faisant la propagande sur la nécessité de lutter contre les militaires et leur régime.
Quand la mobilisation des masses a poussé les militaires à donner un ultimatum à Morsi, et que ceux-ci ont annoncé qu'ils allaient le destituer s'il ne répondait pas dans les 48 heures aux exigences du peuple, cela ne changeait pas la situation, car le « putsch » des militaires ne signifiait pas un retour en arrière, comme lorsqu'il s'agit du remplacement d'un régime démocratique bourgeois par une dictature. Dans ce cas, il s'agissait d'un « putsch » dans le cadre du même régime militaire. Et même si l'armée déposait Morsi par la force, elle donnait satisfaction à la principale revendication du mouvement de masse en ce moment : la destitution de Morsi.
Sous cet aspect, la situation est similaire à celle de la chute de Moubarak lui-même : face à la puissante mobilisation des masses à la fin de son gouvernement, c'est le sommet de l'armée lui-même qui lui a dit de partir, parce qu'il était devenu impossible de le maintenir en place.
Le renversement de Morsi représente la chute d'un nouvel autocrate, un nouveau Moubarak – dans ce cas, un civil musulman –, ainsi que l'interruption de son projet ultra réactionnaire, bonapartiste, théocratique, dirigé par les Frères musulmans. Et les masses le comprennent comme une victoire démocratique.
Bref, pendant le gouvernement Morsi, nous étions toujours avec les masses, contre ce gouvernement et contre le régime militaire, et nous n'avons pas changé cette position, y compris lorsque le gouvernement était menacé puis destitué par les militaires. De la même manière, nous sommes maintenant contre le nouveau gouvernement et contre le régime militaire, et nous soutenons toutes les mobilisations progressistes qui les remettent en question.
Mais cela ne signifie pas qu'il est correct, pour les révolutionnaires, de soutenir toute mobilisation de masses, indépendamment de leur caractère.
En Egypte, quand les Frères musulmans descendent dans la rue pour défendre le retour du gouvernement bonapartiste de Morsi, ils promeuvent une manifestation contre le régime, mais de caractère contre-révolutionnaire. Et ce n'est donc pas juste de défendre la moindre unité d'action avec cette organisation.
Se battre pour le retour de Morsi à la présidence, c'est lutter pour le retour de ceux qui sont responsables des attaques contre les minorités religieuses, et pour le retour des tentatives d'imposer la charia comme base de la Constitution, c'est à dire, lutter pour le retour d'un gouvernement avec un projet bonapartiste théocratique. Le retour de Morsi, renversé par la grande majorité du peuple, serait un revers pour la révolution.
Pour comprendre cela, imaginons que Moubarak aurait appelé à la mobilisation de ses partisans lorsqu'il a été renversé en 2011, pour revenir au pouvoir, affirmant que sa chute était le résultat d'un « putsch ». On peut croire facilement que personne n'aurait pensé à défendre des « droits démocratiques » de ce dictateur, face à cette initiative manifestement contre-révolutionnaire.
Cette mobilisation des Frères musulmans n'a donc rien de progressiste, même si des milliers de personnes croient, à tort, que de cette manière elles « défendent la démocratie » contre un « putsch ». Pour faire avancer la révolution, il est nécessaire de mettre en échec ce type de mobilisation, qui ne sert que la contre-révolution.
Depuis des semaines, il y a souvent des manifestations pour et contre Morsi. Il y a alors des affrontements entre les deux bandes, avec des dizaines de blessés et de morts. Face à cela, les organisations populaires qui ont renversé Morsi doivent avoir des plans et des organismes d'autodéfense, pour imposer la volonté des masses contre les Frères musulmans réactionnaires, de manière à ne pas être dépendant de l'armée et de la police pour imposer leur volonté.
Cependant, le fait que nous soyons contre les manifestations des Frères musulmans pour récupérer le gouvernement ne veut pas dire que nous allons appuyer toutes les mesures répressives de l'armée ou de la police, car leurs mesures reflètent les intérêts de leurs commandants et il n'y a aucune raison de leur faire confiance.
Par exemple, nous dénonçons l'attaque qui s'est terminée par la mort de plus de 50 membres (on parle même de 80) des Frères musulmans qui manifestaient devant le siège de la Garde républicaine pour exiger la libération de Morsi, car toutes les images montrent qu'il ne s'agissait pas d'un affrontement armé entre deux bandes, mais bien d'une fusillade de l'armée et de la police contre des gens désarmés pour la plupart.
Nous condamnons cette attaque pour sa cruauté inutile, et parce que ces morts ne servent qu'à renforcer la tentative des Frères musulmans de revenir au pouvoir, profitant de l'indignation créée par ce fait dans tous les secteurs, y compris parmi ceux qui ont renversé Morsi.
Bien sûr, comme nous avons expliqué ci-dessus, cette condamnation ne signifie pas que, dès lors, nous sommes en faveur des manifestations des Frères musulmans pour le retour au gouvernement, ni de la libération de leurs dirigeants responsables de l'ensemble de la répression l'an dernier – en commençant par Morsi –, ni du rétablissement immédiat des moyens de communication de ce parti pour faire campagne contre ce que les masses ont décidé dans la rue.
Il est nécessaire de faire appel à la base des Frères musulmans afin de leur faire accepter le fait que c'est le peuple qui a renversé Morsi. Nous devons dénoncer le fait que la direction des Frères musulmans les utilise pour imposer de nouveau son projet autoritaire et néolibéral de pouvoir.
Quand les Frères musulmans continuent à inviter leurs partisans à descendre dans la rue pour reprendre le contrôle du pouvoir, c'est à dire, pour aller à l'encontre de la grande majorité du peuple et de la conquête que représente le renversement de Morsi, nous ne sommes pas en faveur de défendre leur droit de parole ou de manifestation.
Par exemple, quand ils font des manifestations pour le retour de Morsi – un revers pour la révolution –, nous n'exigeons pas la libération de leurs dirigeants, ni la réhabilitation de leurs chaînes de télévision qui ont été fermées par le nouveau gouvernement civico-militaire.
Quelle est la politique de l'impérialisme ?
L'impérialisme a soutenu le gouvernement de Morsi – qui lui avait été utile pour maintenir le régime militaire et la mise en œuvre de la politique économique dictée par le FMI – aussi longtemps que cela lui fût utile dans la pratique.
Lorsque ce soutien n'était plus viable et que la déposition de Morsi devenait une nécessité pour atténuer, au moins temporairement, la montée colossale des masses, l'impérialisme a retiré son soutien aux Frères musulmans et a approuvé le putsch des militaires. Il avait misé jusqu'au dernier moment sur le maintien de Morsi, comme il l'avait fait avec Moubarak, mais il a fini par se rendre compte de l'impossibilité de le garder, face à la mobilisation massive du peuple.
En fait, on ne pouvait pas s'attendre à autre chose, dans la mesure où le changement de gouvernement eut lieu dans le cadre du même régime dominé par l'armée, un agent direct de Washington dans la région.
Par ailleurs, au niveau régional, la politique des monarchies du Golfe – de soutien au nouveau gouvernement inféodé à l'armée et à l'impérialisme – est remarquable. Elles ont accordé d'emblée une « aide » au nouveau gouvernement égyptien de 12 milliards de dollars (5 de l'Arabie saoudite, 4 du Koweït et 3 des Emirats), un montant qui dépasse largement la contribution annuelle des Etats-Unis (1,5 milliard) et le prêt en cours de négociation avec le FMI (4,8 milliards). Cela apporte certainement une aide précieuse aux nouveaux occupants du palais présidentiel Ittihadiya.
La question de la violence contre les femmes
En Egypte, il y a un sérieux obstacle à la révolution en raison de l'oppression des femmes, une caractéristique profondément enracinée dans la société égyptienne. Ce sont les viols en masse, qui se manifestent même dans les manifestations de la place Tahrir.
Cela a à voir, tout d'abord, avec la pratique barbare, aberrante, de la violence machiste contre les femmes, qui est profondément enracinée dans la société égyptienne. Mais d'autre part, cette pratique a été utilisée pendant tout le processus révolutionnaire pour diviser les rangs de la révolution et pour éloigner de la lutte les femmes qui participaient et participent avec beaucoup de poids aux manifestations.
Il s'agit d'une question cruciale pour assurer la pleine participation des femmes, sans laquelle il est impossible de penser à la victoire de la révolution. Par ailleurs, la mobilisation des femmes et la lutte pour les permettre d'agir sans peur des attaques violentes est une lutte contre le régime militaire et l'oppression machiste que ce dernier favorise afin d'écarter la moitié de la population de l'action révolutionnaire.
Cette situation était déjà très grave pendant le gouvernement Moubarak, mais elle s'est aggravée sous le gouvernement de transition de l'armée et sous celui de Morsi. Tous ces gouvernements ont utilisé la méthode des attaques et des violations comme une véritable arme politique contre la participation des femmes dans la lutte révolutionnaire. Par exemple, le gouvernement de Morsi répondait cyniquement et scandaleusement aux allégations de viol en disant que « les femmes savent qu'elles se trouvent parmi des hommes violents et elles doivent donc se protéger elles-mêmes, avant de demander au ministère de l'Intérieur de le faire. Si les femmes se trouvent dans ces circonstances, elles en sont 100 % responsables. »
Déjà au temps de la Junte militaire, le général Al-Sisi, homme fort actuel du gouvernement, défendait publiquement le maintien des ignobles « tests de virginité », pratiqués sur les femmes militantes qui dénonçaient les abus sexuels de l'armée. Il justifiait ces « tests » en disant qu'ils étaient un moyen de préserver « l'honneur » de l'armée.
La lutte pour assurer la participation des femmes dans la révolution était donc d'actualité pendant les gouvernements successifs, depuis Moubarak, et elle l'est maintenant, face au nouveau gouvernement civico-militaire. Dans cet entourage machiste soutenu consciemment par les gouvernements pour intimider les femmes, il faut avoir une politique de lutte contre le machisme, à l'intérieur et à l'extérieur du mouvement social, et il faut, dans le même temps, mettre en œuvre des mesures de sécurité efficaces contre les groupes de bandits et de violeurs au service des pouvoirs établis.
Le nouveau gouvernement : marionnette de l'armée et de l'impérialisme
Après la chute de Morsi, un nouveau gouvernement « intérimaire » a pris la relève sous la direction de Mansur Adli, l'ancien chef de la Cour suprême constitutionnelle, un personnage encore inconnu, mais qui jouit de la confiance de l'armée.
Ce juge est chargé de procéder à une « transition » pour établir des amendements à la Constitution et pour organiser de nouvelles élections présidentielles et parlementaires.
En raison de la corrélation de forces entre les classes, l'armée n'a pas installé un de ses hommes forts à la tête du nouveau gouvernement, comme le général Al-Sisi, à la fois commandant suprême de l'armée, ministre de la Défense et vice-premier ministre.
Le commandement militaire a dû investir un autre civil comme nouveau fusible à la tête de l'exécutif. Le premier ministre est un économiste libéral, l'ancien ministre des Finances, Hazem Beblaui, connu pour ses positions conservatrices et pro-impérialistes. Le chef de la diplomatie, Nabil Fahmi, est un ancien ambassadeur aux Etats-Unis, qui devra choyer les relations avec Washington et le soutien financier à l'armée.
Le commandement militaire a également mis en place des dirigeants reconnus de l'opposition bourgeoise à Morsi, comme El Baradei, prix Nobel de la Paix et aussi un homme de l'impérialisme, désormais oint par l'armée en tant que vice-président du gouvernement intérimaire. Ahmed Galal, un économiste diplômé à l'Université de Boston et ancien employé de la Banque mondiale, dirigera l'important portefeuille des Finances.
Le nouveau cabinet ne comprend pas de groupes islamistes, même pas des salafistes comme Al Nur (qui détenait 30 % dans l'ancien Parlement), bien que cette organisation politique soutient, de façon critique, le nouveau gouvernement. Les Frères musulmans ont été invités et plusieurs postes leur ont été offerts, mais ils ont déclaré ne pas reconnaître le nouveau cabinet.
Le gouvernement intérimaire ne s'est pas limité à incorporer l'ancienne opposition bourgeoise à Morsi. Il a aussi la bénédiction des grandes institutions religieuses, comme l'imam d'Al-Azhar et le patriarche copte, et il cherche, en outre, comme cela arrive souvent dans des situations révolutionnaires, à afficher une image « populaire » pour répondre à une victoire des masses. En ce sens, le principal dirigeant de la Fédération syndicale indépendante (EFITU), Kamal Abou Eita, fut nommé ministre du Travail et de l'Immigration, ce qui apporte l'élément de collaboration de classes.
Cela doit être complètement clair que ce nouveau cabinet est et sera un gouvernement de plus du même régime militaire, au service de l'impérialisme. Comme les antérieurs, il aura la difficile tâche de stabiliser le pays et de vaincre la puissante révolution, le problème stratégique qui unifie la bourgeoisie égyptienne, l'armée et l'impérialisme.
L'armée intervient cependant avec une tactique différente, au lendemain de la chute du Morsi. Elle essaye de faire des concessions, d'intégrer des dirigeants des masses, de se donner un vernis « civil » et de faire valoir les aspirations démocratiques légitimes du peuple. Elle agit de cette façon parce que la révolution l'a mise en vitrine et qu'elle ne peut pas déclencher en ce moment une répression violente, au risque de mettre le feu au pays.
Cela doit toutefois être très clair que le prestige gagné par l'armée avec ce processus sera un atout pour réprimer des grèves futures, des luttes ou des actions plus radicales - qui vont certainement se poursuivre en raison de la crise économique qui s'aggrave et les plans d'ajustement que le gouvernement doit imposer –, même si cette répression s'avère actuellement difficile à cause de la corrélation des forces.
Aucune confiance dans le nouveau gouvernement ! Faisons-y face de façon indépendante !
Après le renversement de Morsi, l'ennemi principal du mouvement de masses est le nouveau gouvernement, installé encore une fois par les militaires.
Comme nous l'avons dit dans des déclarations antérieures, le nouveau gouvernement, émergé au sein du régime en réponse à la lutte des masses, ne peut pas satisfaire les revendications légitimes et les aspirations démocratiques et économiques du peuple égyptien.
C'est un gouvernement qui répond, tout comme ceux de Moubarak et de Morsi, au même régime des généraux à solde de l'impérialisme. Nous devons utiliser la dénonciation de chacune de ses politiques pour expliquer patiemment aux militants et aux masses la raison pour laquelle ce n'est pas correct de donner le moindre soutien politique au nouveau gouvernement qui est entré en fonction après le départ de Morsi, ou à l'armée et qui est derrière celui-ci.
C'est un gouvernement qui montre son soutien à la politique impérialiste en Palestine et en Syrie. Les exilés syriens sont détenus en Egypte et la frontière palestinienne de Gaza a été fermée. Ce gouvernement cherche un rapprochement avec le dictateur Assad, tout comme avec les monarchies du Golfe, et il attaque les Palestiniens sous prétexte que le Hamas (qui dirige la bande de Gaza) est un allié des Frères musulmans. Le nouveau gouvernement tente ainsi de justifier un nouvel isolement de la bande de Gaza, conformément à la politique des Etats-Unis et d'Israël.
Il faut appeler la grande majorité des Egyptiens qui ont renversé Morsi, en particulier la classe travailleuse, à s'organiser de façon indépendante et à compter uniquement sur leurs propres forces, car l'armée s'est révélée être un organisme de répression du peuple, en dépit de ses manœuvres, et on ne peut pas lui faire confiance.
En ce sens, le rôle des secteurs de l'ancienne opposition – El Baradei, le mouvement Tamarod, le chef de la Fédération syndicale qui a succédé comme ministre du Travail – est nuisible, car ils se sont alignés politiquement sur l'armée et ils collaborent pour créer dans les masses l'illusion que l'armée serait l'allié du peuple. Par exemple, le nouveau ministre du Travail a appelé à ne pas faire grève et à s'engager dans la production. Cela a généré à juste titre une indignation dans les secteurs du mouvement syndical et de la jeunesse, qui se prononcent contre le soutien de leurs dirigeants à ce gouvernement orchestré par les militaires et contre la participation dans celui-ci. Il est très important que les travailleurs et les jeunes exigent de ces dirigeants de renoncer à ces postes et de rompre avec ce gouvernement antipopulaire et au service du régime.
A l'heure actuelle, une tâche importante des révolutionnaires est donc d'expliquer patiemment à l'avant-garde et aux masses égyptiennes que ce gouvernement n'est pas le leur, qu'il fera partie du régime actuel et que nous devons rester mobilisés contre ses plans.
Nous devons expliquer qu'il est résultat d'un réarrangement trompeur pour que tout reste comme avant. Ce gouvernement représente une tentative de poursuivre les plans économiques de Morsi et les accords ruineux du FMI et les accords militaires qui soumettent le pays aux Etats-Unis.
A cet égard, il est essentiel de soulever un programme visant à poursuivre la lutte, à rester mobilisé. La grande tâche est de maintenir la mobilisation, sur la base de la grande conquête que signifie le renversement de Morsi, pour gagner des libertés démocratiques complètes, pour punir les crimes, non seulement de Moubarak, mais de l'ensemble des dirigeants militaires, de Morsi et du sommet des Frères musulmans, pour confisquer leurs fortunes et leurs biens et pour annuler tous les pactes qu'ils ont conclus avec l'impérialisme.
Le mouvement de masses doit exiger du nouveau gouvernement civico-militaire – qui déclare être le « gardien du peuple » – la réalisation immédiate d'une Assemblée constituante véritablement démocratique et souveraine, afin d'approuver un programme qui libère l'Egypte de la dépendance de l'impérialisme, qui rompt immédiatement le traité de Camp David, qui rompt avec toute la subordination politique et financière de l'armée par rapport à l'impérialisme et à Israël, qui établit le non-paiement de la dette extérieure et investit ces énormes ressources – 5 milliards de dollars en payement d'intérêts, seulement pour l'année en cours – dans un plan d'urgence qui comprend la réalisation de travaux publics, générateurs d'emplois, et l'attention des besoins de la santé et de l'éducation pour le peuple pauvre de l'Egypte.
En ce sens, la lutte doit s'opposer au nouvel endettement de 4,8 milliards de dollars auprès des banquiers de Washington, qui a commencé à être traité par Morsi et se maintient avec le nouveau gouvernement.
La liberté religieuse doit être intégrée dans la Constitution. Non aux tentatives d'imposer une constitution théocratique ! Les droits de tous les Egyptiens, qu'ils soient ou non adhérents aux diverses religions, doivent être respectés. Les musulmans, tout comme les coptes, les chiites et les personnes sans religion, doivent être libre d'exercer leur croyance ou non-croyance. On ne peut pas imposer à l'ensemble de la population les desseins d'une religion, dans ce cas la musulmane, par l'adoption de la charia comme base de la Constitution. On a déjà vu en Iran le résultat d'un tel régime de dictature théocratique.
Il faut rouvrir immédiatement la frontière de Gaza, il faut libérer les réfugiés syriens détenus et leur donner toutes les conditions pour leur permettre de vivre librement en Egypte. La révolution égyptienne fait partie de la révolution arabe, elle doit soutenir la juste lutte des Palestiniens contre les sionistes et des Syriens contre Assad
Il y a lieu aussi de lutter pour l'augmentation générale des salaires, pour un plan économique d'urgence et la réduction immédiate du temps de travail sans réduction de salaire, afin de garantir un emploi à tous, pour l'expropriation des grandes entreprises nationales et multinationales et du système financier !
Il faut une issue indépendante de la classe ouvrière et du peuple pour que la révolution réussisse, pour qu'il y ait un réel changement économique et social en Egypte. Qui plus est, l'organisation indépendante de la classe ouvrière et du peuple est la seule garantie de la continuité du processus révolutionnaire. Par conséquent, il est nécessaire de maintenir l'indépendance des organisations ouvrières et populaires et il faut avancer, dans le feu de la lutte, vers la construction d'un parti révolutionnaire et internationaliste qui peut conduire la mobilisation à la destruction du régime militaire, dans le sens d'avancer vers la seule vraie solution : un gouvernement ouvrier et populaire en Egypte.
Le 23 juillet 2013
Ligue Internationale des Travailleurs – Quatrième Internationale
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