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Ligue Communiste des Travailleurs

Section belge de la Ligue Internationale des Travailleurs -
Quatrième Internationale (LIT-QI)

« L'émancipation des travailleurs sera l'œuvre des travailleurs eux-mêmes. » K. Marx

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15 août 2013

L'armée n'attaque pas seulement les Frères musulmans réactionnaires, mais tout le peuple

Le peuple égyptien est protagoniste d'une puissante révolution depuis 2011. Dans un premier temps, la force du mouvement populaire a renversé le dictateur Moubarak. Cela n'a pas détruit le régime militaire, mais cela signifia une grande victoire pour le peuple et un coup dur pour le sommet de l'Armée, car c’est le gouvernement de ce dernier qui est tombé. C'était toutefois aussi un coup dur pour les Frères musulmans, qui, au moment même de l'explosion des mobilisations de masses, avaient un accord avec Moubarak lui-même pour la succession au pouvoir de son fils, Gamal, afin de maintenir la continuité du régime, dans lequel les Frères musulmans seraient une « opposition tolérée ».


     Lors de la chute de Moubarak, les militaires sont parvenus à manœuvrer pour éviter d'apparaître avec leur vrai visage contre-révolutionnaire. Car, plutôt que de réprimer les masses, ils se sont repositionnés en dernière minute et ont exigé la démission de Moubarak, une façon de remplacer un fusible sauté. Ils sont donc parvenus à sortir de la crise avec un grand prestige parmi le peuple. De leur côté, les Frères musulmans ont fait un geste similaire. Etant donnée la croissance colossale de la mobilisation populaire, cela n'avait pas beaucoup de sens, de prolonger les accords conclus avec Moubarak ; et ils ont rejoint les manifestations, également en dernière minute, de façon hypocrite. Cela leur a aussi donné du prestige auprès d'un secteur des masses, et ils en ont tiré profit par la suite, en remportant les élections et en assumant le gouvernement, avec, bien sûr, le consentement de l'Armée, il faut le dire, et après avoir conclu un accord pour préserver le régime militaire.
    Dans un deuxième temps de la révolution, les masses ont fait l'expérience avec le désastreux gouvernement néo-libéral, bonapartiste et théocratique des Frères musulmans, et elles se sont mobilisées et ont renversé Morsi, qu'ils appelaient d'ailleurs « le nouveau Moubarak » ou « le nouveau Pharaon ». Morsi a toutefois refusé de démissionner, contrairement à Moubarak, ce qui a conduit à l'Armée, forcée par la mobilisation des masses, à réaliser un putsch pour l'évincer. En dépit de cette contradiction, la chute de Mohamed Morsi est bel et bien une autre grande victoire des masses et un autre coup dur pour le régime, qui a perdu son deuxième gouvernement en deux ans et demi, suite à la mobilisation populaire.
    De là, les Frères musulmans sont descendus dans la rue, pour affronter les masses – dont l'action révolutionnaire avait renversé Morsi – et l'Armée, avec l'intention de rétablir Morsi au gouvernement. Cette mobilisation des Frères musulmans a un caractère tout à fait contre-révolutionnaire, comme nous l'avons déjà expliqué dans d'autres déclarations.
    L'armée, forte du grand prestige gagné auprès de la population – pour avoir renversé Morsi, et par la haine de cette population envers les Frères musulmans –, a commencé à déclencher une répression débridée et totalement disproportionnée contre les militants des Frères musulmans.
    En six semaines, à différents moments et dans différentes circonstances, l'Armée a tué au moins 300 militants des Frères musulmans. Et elle vient de mener la répression à son comble avec l'évacuation des camps de cette organisation au Caire, avec la mort de 638 personnes, selon le gouvernement intérimaire lui-même. Les Frères musulmans évaluent le nombre de morts à 4 500 et celui des blessés à 10 000.
    Apparemment, les partisans des Frères musulmans et de Morsi seraient les seuls destinataires de cette furie répressive de l'Armée égyptienne. Grosse erreur !
    Si la répression était dirigée uniquement contre les Frères musulmans, il n'aurait pas fallu un bain de sang comme celui perpétré par l'Armée. Il aurait suffi d'une arrestation en masse, ou au moins de tout le sommet, des Frères. Il n'aurait pas non plus été nécessaire de déclarer l'état de siège ni le couvre-feu. Il aurait suffi de déclarer l'illégalité des Frères musulmans. L'état de siège et le couvre-feu – ainsi que la réactivation du sinistre Département de la recherche de la subversion politique, du ministère de l'Intérieur ; le décret autorisant les militaires à arrêter des civils ; ou la persécution des Syriens et la fermeture « pour un temps indéterminé » de la frontière avec Gaza – sont la démonstration que la répression ne se limite pas aux Frères musulmans, mais affecte le mouvement de masses tout entier. Car l'état de siège affecte, par exemple, tous ceux qui veulent se mobiliser, y compris contre les Frères musulmans. Et cela se voit aussi dans la répression de la récente grève des travailleurs de Suez.
    L'Armée tente donc de profiter de son prestige gagné pour avoir donné le coup de grâce contre les Frères musulmans réactionnaires, pour faire passer un message à l'ensemble de la population : voilà ce qui vous attend, si vous remettez en question l'autorité de l'Armée.
    Autrement dit, après avoir usurpé le triomphe des masses, elle utilise la répression contre les Frères musulmans – ce qui n'est pas mal vu par la majorité des masses – pour faire avancer un plan contre-révolutionnaire qui consiste à regagner le terrain perdu, en termes d'acquis démocratiques, obtenus par le peuple, tout ce temps depuis la chute de Moubarak.
    Les Frères musulmans, pour leur part, utilisent également la répression pour aller à l'encontre du mouvement de masses. Tout d'abord, ils utilisent leurs disciples comme chair à canon, car, pour autant que l'on sache, aucun dirigeant majeur n'a trouvé la mort ou n'a été inquiété par la brutale répression militaire et policière. Ensuite, à partir de leur lutte contre-révolutionnaire pour le retour de Morsi au pouvoir, ils dirigent leurs forces contre les minorités comme les Coptes. Ces jours-ci, ils ont attaqué et brûlé plusieurs églises chrétiennes, avec leurs gangs fascistes ; et cela démontre, une fois de plus, le caractère réactionnaire, théocratique et confessionnel de leur projet politique.
    Dans cette confrontation, ni l'Armée ni les Frères musulmans ne méritent la moindre confiance ou soutien. Les deux sont deux faces d'une même stratégie : vaincre la révolution. Les deux sont des secteurs contre-révolutionnaires, qui orientent leurs forces contre le mouvement de masses et soutiennent un régime militaire qui règne depuis 1952.

La révolution a-t-elle été mise en échec ?

Face au putsch militaire et les massacres de l'Armée, de nombreux militants de gauche à l'intérieur et à l'extérieur de l'Egypte se demandent à juste titre si la révolution n'a été mise en échec.
    En tant que LIT-QI, nous ne voyons pas une défaite de la révolution, dans le processus actuel. Au contraire, nous sommes en présence d'une révolution formidable, sans aucun doute la plus puissante, connue dans l'histoire égyptienne. Bien sûr, dans cette révolution colossale, comme dans toute révolution, la contre-révolution ne reste pas les bras croisés. En ce sens, tant l'effort des Frères musulmans, pour reprendre le gouvernement, que les massacres et les mesures bonapartistes des militaires sont des tentatives pour vaincre la révolution.
    C'est la lutte de classes qui décidera si ces tentatives, encore dans leur phase initiale, seront victorieuses ou non. Ce seront les masses égyptiennes qui auront le dernier mot avec leur mobilisation. Ce sera à ce peuple – qui a renversé Moubarak et Morsi – de dire s'il donne, oui ou non, un « chèque en blanc » à l'Armée, de dire si, oui ou non, il accepte que l'Armée reprenne le terrain perdu et met à la poubelle les acquis démocratiques que les masses ont conquis jusqu'ici. Ce sera le peuple égyptien qui décidera si, oui ou non, il affrontera ce nouveau gouvernement contrôlé par l'Armée, quand ce gouvernement ne parviendra pas à répondre aux pressantes demandes économiques. Pour l'instant, il n'y a aucune raison de croire que le peuple restera les bras croisés. Il peut être vaincu, comme cela a été le cas plusieurs fois dans l'histoire, mais il est peu probable que ce sera sans avoir combattu.
    Les masses égyptiennes n'ont pas été vaincues, loin de là. Elles se sentent victorieuses, et l'Armée, les Frères musulmans et l'ensemble de la bourgeoisie et de l'impérialisme sont conscients de cela. Ils savent que, pour revenir à la situation d'avant la chute de Moubarak, ils devront infliger une lourde défaite au peuple égyptien. Et c'est ce qui reste à voir.

A bas le plan contre-révolutionnaire de l'Armée et des Frères musulmans !

En Egypte, la tâche principale et immédiate est de faire face aux mesures du nouveau gouvernement. Dans ce contexte, il est nécessaire d'avancer, comme mots d'ordre : Aucune confiance au nouveau gouvernement, marionnette de l'Armée et de l'impérialisme ! Fin immédiat de l'état de siège et du couvre-feu ! A bas les pleins pouvoirs du gouvernement et l'autorisation pour les militaires d'arrêter et de poursuivre des civils ! Pleines libertés démocratiques, d'expression et d'organisation ! A bas le régime militaire répressif et inféodé à l'impérialisme et à Israël ! Châtiment pour tous les crimes des militaires, de Moubarak et de Morsi ! Elections immédiates pour l'Assemblée constituante libre et souveraine, et sans participation des militaires ni des Frères musulmans !
    Nous condamnons les assassinats de l'Armée et toutes les mesures bonapartistes qu'elle prend en utilisant le prestige acquis pour avoir destitué Morsi, mais en même temps, il faut dire clairement : Non au retour de Morsi ! Non aux manifestations contre-révolutionnaires et confessionnelles des Frères musulmans ! Aucun droit démocratique, ni aucun droit d'expression pour les Frères musulmans et leurs dirigeants politiques, quand ils mobilisent pour le retour de Morsi ! Le plein respect et la liberté religieuse pour le peuple !
    Pour avancer avec ces tâches soulevées par le processus révolutionnaire, il est essentiel de continuer les manifestations de masse, l'occupation de places, les grèves, la réorganisation du mouvement ouvrier, la lutte en général. Mais cette lutte doit être totalement indépendante, aussi bien de l'Armée et de son nouveau gouvernement que des Frères musulmans ; elle doit être une lutte contre le gouvernement et contre l'ensemble du régime militaire. Et, à la chaleur de la bataille, il est de plus en plus urgent et nécessaire de construire et de forger une direction socialiste révolutionnaire, internationaliste et ouvrière, qui pourra canaliser toute l'immense énergie révolutionnaire des masses vers la prise du pouvoir de la classe ouvrière et du peuple égyptien et la construction du socialisme à l'échelle nationale et internationale.

A bas l'état de siège et toutes les mesures antidémocratiques !
    Non au retour de Morsi, non aux mobilisations des Frères musulmans !
    Aucune confiance dans le nouveau gouvernement !
    A bas le régime militaire et pro-impérialiste !
Elections immédiates pour l'Assemblée constituante libre et souveraine – sans participation des militaires ni des Frères musulmans – qui assume le pouvoir !

Secrétariat international de la LIT-QI
São Paulo, le 15 août 2013