États-Unis : 2021 s'annonce
La semaine fut très chargée pour la politique étasunienne. Le jour même où les résultats des élections en Géorgie ont confirmé que les Démocrates obtiendront une faible majorité au Sénat, des milliers de partisans de Trump se sont rassemblés aux alentours du Capitole, le siège du Congrès à Washington, certains d'entre eux entrant finalement dans le bâtiment, alors que des policiers se limitaient à les regarder. De cette façon, ils ont interrompu la procédure de ratification des résultats de l'élection présidentielle. Lundi dernier, Nancy Pelosi a été réélue à son poste de présidente de la Chambre des représentants, obtenant le soutien quasi unanime des démocrates, y compris des représentants soutenus par les Démocrates Socialistes d'Amérique (DSA) comme Alexandra Ocasio-Cortez, Rashida Tlaib et Ilhan Omar.
Voici une déclaration du Comité central de Workers’ Voice,
la section étasunienne de la LIT-QI.
Le 7 janvier 2021
Les Démocrates sont donc prêts à présider leur gouvernement, le plus puissant depuis qu'ils avaient perdu le contrôle de la Chambre des représentants en 2010. Il n'y a pas lieu pour autant de s'en réjouir, car les Démocrates, un parti tout à fait du capital, n'adopteront probablement pas la moindre réforme, et les parlementaires supposément dissidents n'ont pas réussi à lancer le moindre défi à la direction centre-droite du parti. Il y a cependant un côté positif : les Démocrates ne pourront plus se cacher derrière le veto des Républicains pour justifier le refus de leurs gouvernements d'adopter des réformes. Le temps est venu pour les travailleurs, les syndicats et les organisations antiracistes de passer à l'offensive, car soit nous réussirons à forcer la main des démocrates, soit nous mettrons en lumière leur conservatisme, ce qui élèvera la conscience des gens et amènera une plus grande partie de la classe ouvrière à lutter pour le socialisme.
Mercredi après-midi, une grande foule de partisans du président Trump a pris d'assaut le Capitole pendant que le Sénat débattait de la ratification des résultats de l'élection présidentielle de 2020, forçant l'évacuation des membres du Congrès et l'interruption des travaux. Contrairement à la répression brutale des manifestations de Black Lives Matter au printemps et à l'été derniers, les forces de police n'ont opposé que peu ou pas de résistance, alors qu'une foule d'extrême droite envahissait le Capitole. Cette réaction docile de la police ne fait que confirmer ce que nous avons vu tant de fois dans la rue : la police se tient prête et équipée pour terroriser les travailleurs, en particulier les communautés de Noirs, et pour écraser les contestations progressistes contre le capital et l'État, mais elle ignore (et protège parfois activement) les groupes d'extrême droite lorsqu'ils brisent « l'ordre public ».
Les événements du Capitole confirment également que la menace posée par les groupes proto-fascistes - qui ont été sans cesse loués et encouragés par Trump pendant ses quatre années au pouvoir - se poursuivra dans l'ère Biden, une menace désormais alimentée par les théories de conspiration du chef de ces groupes sur la fraude électorale. Cette menace d'extrême droite est antérieure à l'administration Trump et se compose d'un mélange alambiqué de groupes et de factions ayant un large éventail d'idées politiques - allant de la suprématie blanche, l'antimarxisme et le chauvinisme occidental aux conspirations QAnon, la négation anti-scientifique de la pandémie covid-19 et l'individualisme libertaire. Tous les manifestants pro-Trump ne font pas partie de groupes pro-fascistes, et ces groupes restent relativement petits, mais ils sont devenus plus importants et plus militants au cours des quatre dernières années. En témoignent la vague de protestations pour « l'ouverture de l'économie » aux dépens de vies humaines, ainsi que le meurtre des manifestants Anthony Huber et Joseph Rosenbaum aux mains d'un membre de la milice d'extrême droite lors d'une manifestation Black Lives Matter à Kenosha, dans le Wisconsin, en août dernier. Dans l'ensemble, la bourgeoisie se détourne du trumpisme et continue à soutenir la démocratie libérale. Ce fait et le projet de Biden de rétablir le statu-quo n’enlèvent rien à la menace réelle d'un mouvement fasciste naissant ayant des liens avec le parti républicain et la police.
Depuis les premiers jours de l'administration Trump, notre parti a été clair sur ce qui est nécessaire pour vaincre ces gangs néofascistes : ils doivent être confrontés, dépassés en nombre et écrasés par un mouvement de la classe ouvrière organisé et militant. Nous avons mis cette approche en pratique lors des manifestations antifascistes d'août 2017 dans la région de la baie de San Francisco. En réponse aux marches et provocations répétées de groupes néo-fascistes étrangers à la ville, Workers' Voice s'est jointe à d'autres groupes socialistes et de gauche pour créer la coalition Solidarity Against Fascism East Bay (SAFEBay), qui a mis sur pied sa propre opération de sécurité et a mobilisé des milliers de travailleurs, d'étudiants et de membres de la communauté dans une contre-manifestation qui a largement dépassé les fascistes en nombre et les a humiliés. Des mobilisations antifascistes similaires ont eu lieu à Charlottesville, à Boston et dans d'autres villes. Ensemble, ces actions ont conduit à une crise politique dans l'extrême droite, plusieurs groupes se désintégrant ou réduisant leur présence publique. Au cours de cette lutte, nous avons également confirmé que, face à un défi d'extrême droite, les dirigeants politiques libéraux nous demanderont d'ignorer les manifestations des suprématistes blancs, de respecter leur droit à la liberté d'expression et de faire confiance aux flics. La police, pour sa part, a réprimé les gens de gauche et a protégé les fascistes. Ni l'État, ni l'establishment libéral ne peuvent vaincre la menace d'une extrême droite croissante. Nous devons nous défendre par une stratégie d'actions de masses. Cela signifie organiser des comités anti-fascistes et de sécurité dans nos syndicats et sur nos lieux de travail, construire des coalitions démocratiques entre les groupes socialistes, ouvriers, anti-racistes et autres groupes de la classe ouvrière, et surpasser en nombre la menace fasciste dans la rue.
Bien que nous prenions très au sérieux la montée d'une extrême droite active, les événements d'aujourd'hui au Capitole ne sont pas un coup d'État, et les groupes néofascistes, à leur stade actuel, ne représentent aucune menace pour le régime démocratique bourgeois (la session du Sénat interrompue a repris plus tard dans la nuit). Au contraire, l'aile du parti républicain de Mitch McConnell et un chœur de groupes d'entreprises dénoncent ouvertement les efforts de Trump pour délégitimer l'élection, signe clair que, dans son ensemble, la bourgeoisie américaine reste attachée à la démocratie libérale. Ainsi, à court terme, nous prévoyons qu'au lieu de s'emparer du pouvoir d'État, les bandes fascistes menaceront directement les Noirs, les immigrants, les LGBTQ et les gens de gauche en général, tandis que la nouvelle administration démocrate utilisera probablement les milices d'extrême droite comme excuse pour renforcer la surveillance et l'appareil répressif de l'État. Nous ne devons jamais oublier que la montée de l'extrême-droite dans le monde est inextricablement liée aux crises capitalistes générées par la politique libérale et d'establishment défendue par Joe Biden. La seule façon de vaincre la menace fasciste est de combattre simultanément les groupes proto-fascistes et le régime néolibéral en place, par des actions de masses militantes sur nos lieux de travail et dans la rue.