Cet article a été écrit dans le cadre des discussions et activités du Comité Palestine Bruxelles en 2004.
Actuellement le Comité ne se réunit plus, mais les militants de la Ligue Communiste des Travailleurs
qui y ont participé reconnaissent le fruit et l’importance de son travail.
Dans ce sens, nous rediffusons cet article et vous invitons toutes et tous à en discuter.
Le conflit israélo-palestinien est souvent présenté comme beaucoup trop complexe pour en comprendre les enjeux réels ; nombreux sont ceux qui, dès lors, choisissent la neutralité.
Si les origines, les raisons du conflit sont si obscures, contradictoires, mieux vaut, disent-ils, se placer en observateur impartial. Nos médias relayent très bien cette idée : personne ne peut prétendre avoir la vérité, les deux parties se valent dans ce qui ressemble d’abord à un cercle vicieux et infernal de violence. Ici, nous ne prétendons pas « dire la vérité » mais tenter d’apporter un éclairage à partir d’un élément qui nous semble essentiel pour mieux comprendre le conflit israélo-palestinien : le sionisme. A l’heure où ceux qui combattent le sionisme sont traités d’antisémites ou de nazis, mieux cerner les racines et la nature de cette idéologie est devenu indispensable non seulement pour éviter les amalgames dangereux mais également pour dénoncer l’oppression du peuple palestinien et saisir la légitimité de sa résistance. Dans un monde où l’oppresseur, l’occupant prend de plus en plus la place de la victime, voire parvient à coloniser les consciences en se faisant apparaître comme le libérateur, l’unique héritier des plus hautes valeurs de l’humanité qu’il s’agit de propager ; où les médias se font chaque fois plus complices de l’ignorance et de l’indifférence; où on criminalise ceux qui résistent à l’ordre établi[1],…il y a de moins en moins d’espaces pour dénoncer et combattre le discours dominant.
Et parler du sionisme c’est, pour nous, lutter contre une idéologie dominante à caractère raciste et colonisatrice.
Cet article sera articulé autour de cinq thèses principales sur le sionisme :
- Le sionisme, contrairement aux mythes fondateurs idéalistes ou théologiques, constitue le programme, le projet politique de la grande bourgeoisie juive, né dans un contexte de décadence du capitalisme et de montée d’un antisémitisme moderne
- Le sionisme est une idéologie qui s’inscrit dans un projet colonisateur et pro-impérialiste
- Le sionisme est une idéologie raciste.
- Le sionisme se nourrit de l’antisémitisme
- L’antisionisme est fondamentalement différent de l’antisémitisme.
1. L’émergence du sionisme :
Comment comprendre l’émergence du sionisme dans la deuxième moitié du 19ième siècle ?
Dans la version idéaliste et théologique de l’histoire du peuple juif, le sionisme ne serait que l’aboutissement, l’expression politique d’une conscience millénaire d’unité nationale chez les juifs depuis la Diaspora. Malgré la dispersion des juifs dans le monde entier et l’assimilation d’une partie de ceux-ci aux sociétés nationales, le « retour en Palestine » serait resté tout au long de l’histoire le ciment et l’expression du maintien d’une « unité juive », du destin commun d’un « Peuple-Un ».
Pourquoi les juifs n’auraient-ils jamais tenté de retourner en Palestine pendant 2000 ans ? Le peuple juif aurait souffert en silence dans l’attente du messie. Car selon les théoriciens du sionisme, les juifs ont toujours souffert du rejet, d’une mise à l’écart par les sociétés nationales, d’un « antisémitisme éternel ».
« La personnalité des Juifs ne peut pas, ne veut pas et ne doit pas disparaître. Elle ne le peut pas, parce que des ennemis extérieurs la maintiennent. Elle ne le veut pas et elle l’a prouvé à travers deux mille ans de souffrances inouïes. (…) Tout au long de leur longue et tragique histoire, les Juifs n’ont cessé d’entretenir ce rêve royal : « l’an prochain à Jérusalem ». C’est là notre vieux proverbe. Il convient maintenant de montrer que le rêve peut devenir une réalité lumineuse. »[2]
Dans son ouvrage, « la conception matérialiste de la question juive », A. Léon tente de déconstruire ces mythes en montrant d’une part que ces justifications religieuses du sionisme renvoie à des intérêts sociaux, d’autre part que le sionisme n’est pas le produit d’un antisémitisme éternel mais bien d’un antisémitisme moderne dans un contexte de décadence du capitalisme. Pour comprendre d’un point de vue historique la construction et le maintien d’une identité juive, il se réfère à la notion de peuple-classe[3].
Dans les sociétés précapitalistes, les Juifs avaient un rôle social et économique particulier : en marge du mode de production féodal, les transactions en argent et le commerce représentaient une activité marginale exercée par les « étrangers », par les « peuples-commerçants » comme les Phéniciens, les Juifs, les Lombardiens. Les juifs représentaient donc une classe marchande et financière dans les sociétés précapitalistes. A ce rôle économique et social particulier correspondait une certaine superstructure institutionnelle et idéologique permettant une identification à une communauté culturelle commune malgré l’intégration de nombreux éléments culturels des sociétés dans lesquelles ils vivaient.
Le développement du capitalisme aurait entraîné, selon A. Léon, la perte de la base matérielle de l’existence du peuple juif comme peuple-classe. En Europe occidentale, le développement du capitalisme aurait ainsi entraîné une différenciation sociale au sein du « peuple-classe » et un processus d’assimilation des Juifs aux sociétés nationales avec la formation d’une grande bourgeoisie juive et d’un prolétariat juif.
Ce processus d’assimilation sera remis en cause non pas par la « force d’une identité nationale millénaire » chez les juifs ou d’un antisémitisme éternel mais bien par l’antisémitisme moderne. Celui-ci se développe dans un contexte de décadence du capitalisme à l’Ouest et d’effondrement du féodalisme à l’Est (notamment en Russie). « Les juifs, tant en Europe occidentale qu’orientale, affrontent alors une situation dramatique » »[4] La grave crise économique de la fin du 19ième siècle (1873-1895) a conduit à un mouvement accéléré de concentration technique et financière, à ce que Lénine a définit comme le stade impérialiste du capitalisme. C’est dans ce contexte de crise et de changement et d’augmentation de la compétition que l’assimilation des juifs se voit rejetée, notamment par la classe moyenne et commerçante « autochtone » des pays d’Europe occidentale. A l’Est, l’effondrement du féodalisme et la perte du rôle social et économique traditionnel des Juifs entraînent une prolétarisation des masses juives qui rejoignent, pour beaucoup, les luttes ouvrières et socialistes et subissent, de manière violente, les pogroms antisémites.
Face à cette détérioration des conditions de vie des Juifs dans le cadre d’une montée de l’antisémitisme, on assiste à l’émergence de deux mouvements idéologiques dominants mais profondément différents qui reflètent la différenciation en classe du peuple juif : le sionisme et le bundisme.
Ces deux mouvements, qui constituent une réaction, au niveau politique, à la montée de l’antisémitisme sont créés au même moment, en 1897. Le bundisme (issu du BUND, l’Union Générale des ouvriers juifs de Lituanie, Pologne et Russie) propose une lutte pour le socialisme mais dans laquelle les Juifs doivent s’organiser séparément des ouvriers « autochtones » en luttant également pour leurs droits en tant que minorité opprimée. Contrairement au sionisme, le BUND pense donc que l’émancipation des Juifs passe par la lutte révolutionnaire dans les pays « hôtes » et non par la création d’un Etat juif.
Si en Europe orientale les masses juives se joignent aux mouvements révolutionnaires soit par une lutte commune, soit par une organisation séparée sur base de l’identité juive, en Europe occidentale c’est le sionisme qui émerge, essentiellement comme réaction de la petite bourgeoisie juive au rejet croissant dont elle est victime. Aux ouvrages fondateurs de l’idéologie sioniste (avec « l’autoémancipation » de L. Plinsker et « L’Etat des juifs » de Th. Herzl) succède la création d’un instrument politique en 1897 (l’Organisation Sionisme Mondiale). Lors de ce premier congrès de fondation de l’OSM, quatre tâches principales y sont définies afin de créer un « foyer national juif garanti par la loi »[5]:
- - Coloniser la Palestine (grâce au travail agricole et aux industriels juifs).
- - Organiser/regrouper le judaïsme au niveau mondial
- - Renforcer le sentiment national des Juifs.
- - Adopter les mesures préliminaires afin d’obtenir l’appui des grandes puissances.
Selon R. Schoenman, si le sionisme émerge d’abord comme un mouvement politique issu de la petite bourgeoisie juive en réaction à l’antisémitisme, il deviendra le programme et le projet politique de la grande bourgeoisie juive. Contre l’idée que le sionisme serait d’abord un mouvement des juifs pauvres et opprimés (même si les premiers pionniers de la colonisation en Palestine sont, de fait, constitués de petits artisans, petits commerçants juifs appauvris) le sionisme s’intègre et rencontre selon lui les intérêts de la grande bourgeoisie juive « assimilée », à savoir :
- - Se libérer des masses ouvrières juives « dangereuses » (séparer les juifs pauvres de la lutte des classes en Europe)
- - Contribuer à affaiblir l’antisémitisme en favorisant une émigration massive des juifs.
- - Construire un Etat juif dans une région stratégique pour l’impérialisme (grande réserve de pétrole, accès à des voies maritimes stratégiques).
Th. Herzl, lui-même, ne cachait pas l’intérêt d’une émigration juive massive pour la bourgeoisie juive assimilée :
« Les assimilés tireront plus davantage du départ des juifs fidèles à leurs origines que les citoyens chrétiens eux-mêmes. En effet, les assimilés seront débarrassés de la concurrence du prolétariat juif, si inquiétante, si imprévisible, si inévitable ».[6]
Th. Herzl était également bien conscient des intérêts que pouvait signifier la création d’un Etat juif non seulement pour la grande bourgeoisie juive mais de manière générale pour la classe dominante occidentale : « Pour l’Europe, nous formerions là-bas un élément du mur contre l’Asie ainsi que l’avant-poste de la civilisation contre la barbarie » (…) Comme Etat neutre nous aurions des relations avec toute l’Europe qui garantirait notre existence.[7] (…). De plus, les Etats auraient ainsi l’avantage de voir leurs exportations croître, puisque dans leur nouvel Etat, les Juifs devraient compter longtemps encore sur les produits européens. (…). L’un des plus grands avantages serait certainement la détente sociale. Le mécontentement social pourrait être apaisé pour une certaine période… » [8].
Pour concrétiser ce projet de création d’un Etat juif, il s’agissait de trouver des alliés auprès des grandes puissances et d’insérer le sionisme dans le cadre de l’expansion coloniale impérialiste.
Eretz Israël de Theodore Herzl (1904) et Rabbi Fischmann (1947) |
Près de deux décennies après la création de l’Organisation Sioniste Mondiale, les dirigeants sionistes obtiendront un soutien de l’empire britannique avec la déclaration de Balfour (1917),
ministre des Affaires Etrangères britannique, affirmant « voir favorablement l’établissement en Palestine d’un foyer national pour le peuple juif et faire tout le possible pour faciliter la réalisation de cet objectif »[9].
Au moment de la déclaration de Balfour, les Juifs représentaient moins de 10% de la population et possédaient 2.5% des terres de palestine.
Pour coloniser le pays, la stratégie sioniste sera de trois ordres : la conquête de la terre ( par le Fonds National Juif), la conquête du travail (avec le boycott systématique des travailleurs arabes) et l’exclusivité des « produits juifs » (avec le boycott de la production arabe). « Malgré ces politiques et le soutien du gouvernement britannique (…), les sionistes ne seront capables d’augmenter la propriété foncière juive qu’à seulement 7% du territoire de la Palestine.(…). En effet, la majorité des juifs du monde entier ne montraient aucun intérêt à s’établir là-bas. Entre 1920 et 1932, seulement 118000 juifs émigreront en Palestine, moins de 1% du monde juif. »[10]
Néanmoins, la minorité juive aura très rapidement un pouvoir économique beaucoup plus grand que les Arabes. Ainsi, en 1939, 53% des entreprises sont des concessions étrangères et 40% sont des propriétés sionistes.
2. Le sionisme, une idéologie colonisatrice et pro-impérialiste :
Si Herzl reconnaissait ouvertement le caractère colonial du projet de création d’un Etat juif en Palestine, de nombreux sionistes ont, quant à eux, combattu cette idée à l’aide de plusieurs arguments classiques.
Ainsi, pour Dov Barnir[11], la création de l’Etat d’Israël aurait représenté un processus progressiste permettant une série d’avancées pour la classe ouvrière. Le Kibboutz en serait notamment l’expression au niveau local comme forme de socialisme de base.
Un autre argument souvent avancé, notamment par ce même auteur, est qu’Israël serait le seul pays où le sol et le sous-sol est nationalisé à 90% (le fait que cette propriété soit exclusivement juive et « nationalisée » afin de mieux en exclure les Arabes n’est bien sûr pas relevé). Dans un monde arabe encore largement soumis à des relations de type féodales et autoritaires, la création de l’Etat d’Israël ne pouvait qu’apporter du bien-être à la région.
Enfin, les différences entre le sionisme et le colonialisme sont mises en avant : contrairement au colonialisme européen « classique », il n’y aurait pas eu d’exploitation de la main-d’oeuvre autochtone ni de pillage (la terre aurait été achetée et non spoliée).
On ne pourrait pas non plus affirmer le caractère pro-impérialiste du sionisme : l’Etat d’Israël, loin d’être l’aboutissement d’une vague impérialiste, aurait, au contraire, lutté contre l’impérialisme britannique.
Affiche bilingue présentant un film sur la colonisation juive en Palestine, 1930s: |
Maxime Rodinson réfute ses arguments et tente de démontrer en quoi le mouvement sioniste ne pouvait qu’être associé à l’expansion coloniale et impérialiste européenne. S’il y voit un mouvement
idéologique très divers (les motivations des masses juives pour se rendre en Palestine n’étaient évidemment pas les mêmes que celles de la bourgeoisie juive), l’objectif poursuivi par le mouvement sioniste « créer un Etat purement juif ou à dominance juive dans la Palestine arabe, au XXème siècle, ne pouvait mener qu’à une situation de type colonial (…) avec développement d’un état d’esprit raciste(…)».[12]
Le processus de colonisation a été appuyé par les grandes puissances (le gouvernement britannique a ainsi encadré l’envoi de colons, empêché et maté la résistance palestinienne à cette colonisation - grandes grèves de 36’-39’) et, aux yeux des Arabes, la guerre en Palestine apparaissait comme une lutte contre un nouvel empiétement impérialiste.
D’autre part, Rodinson soutient que les arguments qui s’opposent à cette association sionisme-colonialisme se basent sur une vision stéréotypée de la relation coloniale (les premiers colons étaient des juifs pauvres et non une armée étrangère humiliant et exploitant des « indigènes » en haillons et affamés). Il n’y a pas, selon lui, de colonialisme ou d’impérialisme en soi définis par certains critères objectifs.
Néanmoins, certaines caractéristiques globales du sionisme s’inscrivent directement dans le cadre idéologique et politique du colonialisme européen. A la fin du 19ième siècle, dans un contexte européocentriste, le colonialisme était perçu comme un progrès, comme l’extension du bien être aux sociétés « barbares ». Herzl était, lui aussi, influencé par cette vision en affirmant que son projet permettrait d’ériger un « rempart de la civilisation contre la barbarie ». Le mythe d’une « terre sans peuple pour un peuple sans terre » ne signifiait pas que les fondateurs du sionisme ignoraient la présence d’une population en Palestine mais qu’ils considéraient ce «territoire vide, non pas forcément par l’absence réelle d’habitants, mais d’une sorte de vide culturel ».[13]
La mythologie sioniste entretient également l’idée selon laquelle l’Etat d’Israël se serait construit sur base du sacrifice des Juifs. Or, l’alliance avec les Britanniques a permis aux sionistes de recevoir un appui considérable à la conquête de la terre et de manière générale de l’économie palestinienne. Le poète palestinien et penseur marxiste Ghassan Kanafi montre ainsi comment cette alliance avec l’impérialisme britannique a entraîné la déstabilisation de l’économie « indigène » palestinienne : « Malgré qu’une grande partie du capital juif se destinait aux aires rurales, et malgré la présence de forces militaires impérialistes britanniques et l’immense pression exercée par la machinerie administrative en faveur des sionistes, ceux-ci ne sont parvenus qu’à des résultats minimes quant à la colonisation de la terre. Néanmoins, ils ont sérieusement nuis à la situation de la population arabe rurale. (…). La terre acquise (jusqu’en 1930) était insignifiante du point de vue d’une colonisation massive et de la solution du « problème juif ». Mais l’expropriation d’un million de dunums- presque un tiers de la terre cultivable - a conduit à un grave appauvrissement des paysans arabes et des Bédouins. En 1931, 20000 familles avaient été expulsées par les sionistes. En outre, dans un monde « sous-développé », et en particulier dans le monde arabe, la vie agricole n’était pas seulement un mode de production mais également une forme de vie sociale, religieuse, rituelle. Pour cela, la colonisation, au-delà du pillage de la terre, détruisait la société arabe traditionnelle». [14]L’impérialisme britannique, en attribuant de nombreuses concessions au capital juif et en instaurant des lois discriminatoires (les importations pour les industries sionistes étaient ainsi exemptes d’impôt) a permis un large contrôle sioniste sur l’infrastructure économique[15].
Mais c’est le 27 novembre 1947 que s’effectue, sous l’égide des grandes puissances, la légalisation de la colonisation de la Palestine au profit des sionistes. L’ONU vote ainsi le « partage » du territoire : l’Etat juif obtient 56% du territoire et les Palestiniens ne restent qu’avec 43%. A la veille de la « guerre de 48’ », les Juifs continuent à constituer une minorité en Palestine. Mais entre la résolution de l’Onu et la proclamation de l’Etat d’Israël (15 mai 1948), les sionistes parviendront à s’approprier près de 80% du territoire de la Palestine. Sur 1400000 Palestiniens en 1947, seuls 112000 demeureront en Israël, 423000 à Gaza et en Cisjordanie et 854000 seront déplacés dans des camps de réfugiés[16].
Alors que l’histoire officielle d’Israël a présenté ce « renversement démographique » comme la conséquence du départ volontaire des Palestiniens à l’appel des pays arabes, de nombreux « nouveaux historiens » israéliens (tels I. Pappé, T. Seguev, B. Morritz…) ont révélé les véritables motifs de l’ « exode » palestinien : expulsion massive et forcée, massacres et intimidations des Palestiniens par les milices sionistes,…
En appuyant et en reconnaissant la création d’un Etat juif, les grandes puissances ratifiaient non seulement un processus colonial (qu’importe le sort des populations autochtones chassées) mais également la formation d’un Etat basé sur des principes racistes, discriminatoires fondant ainsi un système d’apartheid à l’égard de la population arabe qui est restée à l’intérieur des frontières du nouvel Etat.
Aussi longtemps qu'en nos cœurs, HYMNE NATIONAL D’ISRAEL |
3. L’idéologie sioniste, une idéologie raciste – L’Etat d’Israël, un Etat fondé sur un système d’apartheid :
Le rapport de la mission d’enquête sur le statut des Arabes en Israël menée par la FIDH (Fédération Internationale des Ligues des Droits de l’homme) soutient que les discriminations perpétrées contre les Arabes sont étroitement liées à l’idéologie fondatrice de l’Etat d’Israël, le sionisme : « Ainsi que le rapport de la mission tentera de le montrer, ces discriminations sont liées à la définition même de l’Etat d’Israël, à partir du projet politique sioniste, comme Etat juif. »[17] Et le rapport de cette même mission d’enquête conclut par ces mots : « La mission tient à souligner que compte tenu de son objet – le statut des citoyens arabes israéliens – il ne lui appartient pas de porter un quelconque jugement ou à fortiori de remettre en cause le projet fondateur de l’Etat d’Israël, tout en constatant que ce projet politique – l’instauration d’un « Etat juif »- est porteur de discrimination à l’égard de la population non juive».[18]
Que cela soit au niveau des droits politiques, au point de vue culturel, religieux, de la situation économique…les Arabes israéliens sont soumis à une série de discriminations vis-à-vis de la population juive, que ces discriminations s’inscrivent dans les pratiques (des employeurs par exemple) ou qu’elles soient organisées par la loi. [19]
Ce système d’apartheid qui règne silencieusement en Israël ne fait pourtant l’objet d’aucune dénonciation de nos « démocraties ».
Pourtant, comme l’affirme Mazin Qumsiyeh, le fait de baser un Etat sur le « caractère juif » ne se distingue en rien d’un Etat fondé sur le caractère « blanc » ou « aryen ». [20] Et les gouvernements israéliens successifs n’ont fait qu’entretenir le rejet des Arabes auprès des citoyens juifs en les présentant comme la « menace principale ».
Dans un contexte où la croissance démographique d’une partie de la population est présentée ouvertement et publiquement comme un problème essentiel, un danger pour la société dans son ensemble, on peut se demander, à juste titre, dans quelles conditions vit cette partie de la population, bien plus menacée que menaçante. [21]
Le sionisme, dans sa version « extrémiste » en cherchant à atteindre l’objectif d’un Etat « purement juif », ou plus « raisonnable » en ne cherchant qu’à sauvegarder une majorité démographique juive, est une idéologie fondamentalement raciste. Ou, dans les mots de Warschawski, que l’on parle du « petit Israël » ou du « grand Israël », il y a, par définition, dans cette volonté d’Etat exclusivement juif ou d’Etat juif « autant que possible » le rejet de l’autre ».[22] Une idéologie qui est pourtant parvenue à faire « oublier » le système d’apartheid et le terrorisme étatique à l’égard des Palestiniens derrière une façade « d’Etat démocratique ».
Un Etat démocratique mais seulement pour les Juifs… Un paradoxe suffisamment explicite !
Comment pourrait-il en être autrement d’un Etat qui s’est édifié sur base de l’idéologie sioniste, elle-même fondée, comme le dit si bien Warschawski, sur « une conception qui suppose que normalité soit synonyme d’homogénéité culturelle, ethnique, nationale, que toute société plurielle (pluraliste) en termes d’existence nationale soit par définition problématique ».[23]
La question devient donc de comprendre comment cette idéologie, ce mouvement politique et un Etat fondé sur ces éléments sont parvenus et parviennent encore à éviter une critique radicale de la communauté internationale et un mouvement puissant d’opposition et de dénonciation, à l’instar de la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud.
Plusieurs éléments peuvent nous éclairer : d’une part, l’importance stratégique que représente l’alliance avec Israël pour les Etats-Unis mais également, dans une moindre mesure, pour l’Europe.
D’autre part, l’instrumentalisation constante de la mémoire de l’holocauste et l’assimilation de toute critique contre l’Etat d’Israël à une « nouvelle forme d’antisémitisme ».
Avant de développer ce dernier point qui concerne une époque récente, nous verrons dans un premier temps la manière dont le mouvement sioniste, dès ses débuts, s’est nourri de l’antisémitisme pour parvenir à ses objectifs.
4. Antisémitisme et sionisme:
Dire que le mouvement sioniste utilise et a utilisé la « haine des Juifs » pour se renforcer et parvenir à ses objectifs en fait certainement bondir plus d’un. Comment le sionisme peut-il à la fois prétendre lutter contre l’antisémitisme et se servir de ce dernier, voir collaborer avec ceux qui cultivent la « haine des Juifs », pour renforcer son hégémonie et mener à bien son projet ?
Avant de tenter d’éclaircir cette ambiguïté fondamentale du mouvement sioniste, un élément essentiel doit être présent sous peine de « fausser » le débat et de travestir l’histoire :
« C’est l’antisémitisme, sous sa forme contemporaine, c’est-à-dire le refus d’intégrer les Juifs comme des citoyens à part entière dans les sociétés européennes, qui a produit le sionisme, et non l’inverse (…). C’est l’antisémitisme, en tant que forme particulière du racisme européen, qui fonde le sionisme, à la fois en tant que forme particulière d’ultra-nationalisme ethniciste et en tant que forme particulière de racisme colonial» [24]
Comme nous l’avons retracé rapidement dans la première partie de cet article, l’émergence du sionisme est liée historiquement, et comme réaction politique d’un secteur social juif, à la montée d’un « antisémitisme moderne » tant en Europe occidentale qu’orientale.
L’idéologie sioniste s’est développée à partir d’un présupposé de base (l’intériorisation de la haine des Juifs comme norme insurmontable et phénomène « éternel »), dans le cadre d’un contexte idéologique spécifique (le colonialisme européen) et sur une conception spécifique de la judaïcité (doctrine du sang-sécularisation d’une identité religieuse aux contours ethnico-communautaires).
Le point de départ du sionisme est l’idée selon laquelle il est vain de vouloir combattre l’antisémitisme, que l’unique solution à la « question juive » se trouve dans la création d’un Etat propre, où les Juifs seraient majoritaires.
Entendons à ce propos une nouvelles fois le fondateur du sionisme, Th. Herzl : « Je suis parvenu à avoir une attitude plus libre en relation à l’antisémitisme, que je commence à comprendre historiquement et à pardonner. Avant tout, je reconnais l’inanité et la futilité à tenter de combattre l’antisémitisme.[25]
Pendant de nombreuses années, cette idée-force du mouvement sioniste d’une patrie purement juive comme unique alternative au rejet a été refusée par une grande majorité des Juifs dans le monde. Face à l’oppression et à l’humiliation dont ils faisaient l’objet, « certains choisissaient la lutte politique, voire révolutionnaire, dans le pays dont ils se sentaient citoyens, coude à coude avec les partisans non juifs de la même option, au sein d’un peuple dont ils voulaient faire partie. D’autres étaient poussés à une lutte semblable, mais par l’intermédiaire d’un regroupement entre Juifs, comme les Bundistes ».[26]
Jusqu’à la montée du nazisme, le sionisme a donc bel et bien été une position minoritaire parmi les Juifs.
La montée du nazisme, les persécutions puis la l’extermination planifiée et industrielle de millions de juifs d’Europe vont permettre au projet sioniste d’acquérir une certaine légitimité et recevabilité par une partie de la communauté internationale. Essentiellement pour les dirigeants européens pour lesquels cela représentait un moyen de se dégager de leur responsabilité directe ou de leur passivité face au génocide des juifs. Les dirigeants sionistes trouveront ainsi une opportunité pour concrétiser le projet de colonisation de la Palestine.
Loin de combattre la montée de l’antisémitisme et de chercher l’intervention des grandes puissances pour mettre un terme à l’extermination des juifs, certains dirigeants sionistes sauront, au contraire, collaborer avec « leurs ennemis ». Des « ennemis » avec lesquels ils partageaient l’idée que les juifs constituaient une race spécifique qui ne pouvait être intégrée aux sociétés européennes.
Ainsi, le 21 juin 1933, la Fédération Sioniste d’Allemagne envoyait un mémorandum d’appui au parti nazi et cette même année, le Congrès de l’Organisation Sioniste Mondiale rejetait par 240 votes contre 43 une résolution qui appelait à lutter contre le nazisme.[27]
Et, de fait, le Troisième Reich semblait soutenir le projet sioniste d’établissement d’un Etat juif. Dans l’introduction aux lois de Nuremberg du 15 septembre 1935, cette idée est exposée clairement : « Si les Juifs avaient leur propre Etat dans lequel la masse du peuple serait chez elle, la question juive pourrait déjà être considérée comme résolue aujourd’hui, également pour les Juifs eux-mêmes. Les fervents sionistes ont moins protesté aux idées de base des Lois de Nuremberg, parce qu’ils savent que ces lois sont l’unique solution correcte pour le peuple juif. »[28]
De nombreux exemples concernant la collaboration directe de dirigeants sionistes avec des leaders antisémites et nazis existent et sont relatés par plusieurs auteurs mais cette « histoire cachée du sionisme » semble encore difficile à dévoiler au grand jour. [29]
La passivité et la trahison des organisations sionistes à l’égard des Juifs d’Europe persécutés et exterminés a ainsi été dénoncée par un dirigeant juif slovaque, Rabbi Weissmandel, écrivant aux dirigeants sionistes en juillet 1944 : « Pourquoi n’avez-vous rien fait jusqu’à présent ? Qui est coupable de cette négligence effroyable ? N’êtes-vous pas coupables, vous nos frères juifs, vous qui avez la plus grande richesse du monde : la liberté ? (…)Voici le programme d’Auschwitz d’aujourd’hui jusqu’à la fin : 12000 juifs –hommes, femmes, enfants, vieillards, nourrissons, malades ou en bonne santé-, doivent être gazés chaque jour. Et vous, nos frères de Palestine, de tous les pays de liberté, et vous ministres de tous les royaumes, comment pouvez vous rester silencieux face à cet immense meurtre ? (…) Vous êtes des brutes et des assassins vous aussi, par ce silence plein de sang-froid avec lequel vous restez spectateurs (…) alors que vous pourriez arrêter ou retarder le meurtre des juifs en ce moment même. Vous, nos frères, fils d’Israël, êtes-vous devenus fous ? Ne connaissez-vous pas l’enfer qui nous entoure ? Pour qui épargnez-vous votre argent ? Assassins ! Insensés ! (…) » [30]
La réponse était claire pourtant en voyant ce que David Ben Gourion (futur premier ministre d’Israël), pourtant loin d’être considéré comme un sioniste extrémiste à l’instar de Jabotinsky, déclarait devant un rassemblement de sionistes ouvriers de Grande-Bretagne en 1938 : « Si je savais qu’il était possible de sauver tous les enfants actuellement en Allemagne en les faisant venir en Angleterre et seulement la moitié d’entre eux en les transportant en Eretz Israël, eh bien j’opterais pour la seconde solution ».[31]
La souffrance des juifs semblait donc avoir très peu d’importance pour ceux qui s’en proclamaient les meilleurs défenseurs ; et se servir de l’antisémitisme apparaissait légitime si cela permettait de mener à bien le projet de colonisation de la Palestine.
Après la création d’Israël, face à l’expulsion massive et aux massacres des populations arabes, les dirigeants sionistes continueront à instrumentaliser la mémoire de l’holocauste pour justifier les principes et les pratiques du nouvel Etat. L’utilisation de la force, l’occupation, la constitution d’un Etat gouverné par l’armée, l’oppression permanente des Palestiniens,…tout devenait légitime pour « prévenir un nouvel holocauste ».
Ainsi, un des « nouveaux historiens », B. Morritz, dans un article de Haaretz en janvier 2004, disait : « L’alternative est : détruire ou être détruit. En 1948, l’alternative était : l’épuration ethnique (des Palestiniens) ou le génocide, l’anéantissement de notre peuple. (…). Mais Ben Gourion a commis une erreur historique en 1948. Si Ben Gourion avait nettoyé le pays dans son entier, notre Etat aurait été consolidé pour plusieurs générations. Si l’histoire doit un jour mal finir pour les Juifs, ce sera à cause d’un Ben Gourion qui n’a pas parachevé le transfert en 1948 (…). »[32]
Cette instrumentalisation de l’holocauste et du sentiment d’insécurité des juifs israéliens a fait l’objet d’un article très intéressant par une historienne israélienne, Idith Zertal.[33]
Elle a, selon cette auteure, deux conséquences majeures. D’abord, « la dévalorisation du sens profond et complexe de la Shoah ». En brandissant l’éventualité permanente d’un nouvel holocauste, et en voyant dans tout événement politique présent « la prémisse d’une nouvelle extermination », les dirigeants israéliens ont ainsi brouillé la réalité historique et politique et ont fait d’Auschwitz un mythe et par là un événement presque anhistorique. Ce qui, selon l’auteure, comporte une dimension, tout aussi paradoxale que tragique, de négationnisme.
D’autre part, « la mémoire de l’holocauste investissait le conflit local d’une signification transcendantale, et l’extrayait de sa dimension politique et historique, précise et concrète (…)[34],
ce qui a permis à Israël de s’immuniser contre toute critique en se plaçant comme la victime en puissance d’un monde antisémite et hostile à jamais. « Dans cette imagerie coupée de la réalité, (…), où le sens est retourné et projeté sur les autres, l’occupant devient l’occupé, le persécuteur le persécuté et le malfaiteur la victime, et cet ordre inversé reçoit la suprême approbation, le sceau d’Auschwitz »[35].
Si ce pan particulièrement effroyable de l’histoire de l’humanité est à ce point incompréhensible qu’il semble échapper à toute explication historique ou rationnelle, la sacralisation dont il fait l’objet par Israël et sa transposition en un présent menaçant et une éventualité permanente, risque d’entraîner sa banalisation et une « sortie de l’histoire ». Le devoir de mémoire et de comprendre le processus qui a pu mener une société à planifier et à organiser industriellement l’extermination des populations juives, des Tsiganes, homosexuels, communistes,… est donc gravement menacé par la confiscation et sa convocation pour les intérêts politiques d’un Etat
5. La propagande sioniste et l’équation antisionisme = antisémitisme :
Aujourd’hui, cette instrumentalisation de l’holocauste et de l’antisémitisme par la propagande sioniste est devenue plus explicite, voire « officielle ».
Ainsi, lors du 34ième congrès de l’organisation Sioniste Mondiale qui s’est tenu en 2002, l’objectif principal qui a été défini est l’assimilation de toute critique d’Israël, de toute manifestation antisioniste à une forme d’antisémitisme (redéfini comme « néoantisémitisme »). Il s’agissait donc de créer dans tous les pays « des groupes de travail qui travailleront avec les législateurs pour faire adopter une législation qui mettra hors-la-loi l’antisémitisme, l’antisionisme et le déni de l’holocauste », de « créer des groupes d’experts qui travailleront avec les faiseurs d’opinion, les médias,…pour combattre les fléaux de l’antisémitisme et de l’antisionisme (…) et de promouvoir en permanence une image positive d’Israël ».[36]
Le raisonnement utilisé pour associer toute critique d’Israël à un acte antisémite est simple : critiquer Israël, c’est s’attaquer à l’Etat hébreu et par là à l’identité juive elle-même.
Israël s’auto-déclare de cette façon représentant de tous les juifs du monde et ceux-ci, en retour, deviennent responsables des actes d’Israël.
En créant ces amalgames, la propagande sioniste réussit, de fait, à produire certaines confusions chez ceux qui, mobilisés par les images quotidiennes de l’occupation en Palestine, n’ont pas les instruments suffisants pour échapper aux manipulations et aux amalgames véhiculés.
Mais tel est l’objectif des sionistes : favoriser l’augmentation des actes dirigés contre les Juifs, voir en « inventer » pour créer une psychose incitant à l’Aliyah (l’émigration vers Israël) des Juifs du monde entier, à un moment décisif pour L’Etat israélien. L’OSM l’annonce d’ailleurs clairement : « Ce qui se passe actuellement dans plusieurs pays nécessite de promouvoir l’immigration (…), le Congrès sioniste appelle les Juifs de la diaspora à faire leur Aliyah (…). Au moment où la colonisation juive affronte ses ennemis de l’intérieur et de l’extérieur, chaque juif qui émigre en Israël renforce considérablement ce sionisme sur la terre d’Israël ». [37]
Pour favoriser cette émigration et s’assurer du soutien des pays occidentaux envers Israël, le président du CRIF (Conseil Représentatif des Institutions juives de France), Roger Cukierman, n’a pas hésité à proposer à Sharon de créer un ministère de la propagande à l’image de celui de Goebbels : « Lorsque Sharon est venu en France je lui ai dit qu’il doit absolument mettre en place un ministère de la propagande comme Goebbels», confiait-il ainsi récemment au quotidien israélien Harretz.[38]
En France d’ailleurs, l’offensive ne relève plus seulement du discours et du médiatique mais a pris place également au niveau des poursuites judiciaires. Ainsi les procès ou des tentatives de procès à l’égard d’actes ou d’opinions antisionistes se multiplient. Ainsi, en 2002, un militant de la LCR (Ligue Communiste Révolutionnaire) était accusé « d’incitation à discrimination, haine et violence à l’égard du peuple israélien » pour avoir écrit « Sharon assassin » sur un mur de la ville. La plainte, déposée par la LICRA (Ligue Internationale Contre le Racisme et l’Antisémitisme), n’a pas abouti.[39]
Pour Warshawsky, les responsables de cette propagande sont trois fois criminels envers les communautés qu’ils prétendent représenter:[40]
- En provoquant et en incitant l’antisémitisme : « Dès lors que les porte-parole des institutions communautaires prétendent parler au nom des juifs en général, (…) et transforment les synagogues en annexes de l’ambassade, on peut en effet craindre qu’ils contribuent à transformer en judéophobie raciale la lutte politique contre l’occupation israélienne ».[41]
- En banalisant l’antisémitisme réel
- En instrumentalisant l’histoire à des fins de propagande (par exemple, en appelant la Feuille de Route, la Feuille de Route vers Auschwitz).[42]
Si aujourd’hui plus que jamais cette dangereuse propagande est passé à l’offensive, c’est aussi parce qu’Israël fait l’objet de critiques de plus en plus nombreuses et virulentes. Avec la deuxième Intifada en septembre 2000, la grande duperie que constituait le processus de paix pour les Palestiniens est devenue manifeste : la dégradation de la situation dans les Territoires Occupés, l’intensification des activités coloniales, la stratégie d’enfermement et d’asphyxie du peuple palestinien pour les contraindre une nouvelle fois à l’exode, les multiples promesses non tenues,…L’hypocrisie du gouvernement israélien et de ses alliés et l’écart entre les « discours de Paix » et la réalité de la vie quotidienne des Palestiniens sont ainsi devenus plus visibles avec l’éclatement de la résistance palestinienne. En Israël même, des mouvements d’oppositions se construisent, des brèches importantes apparaissent au sein de l’armée d’occupation (Tsahal) avec le mouvement Refuznik, certains intellectuels juifs israéliens se démarquent du sionisme et défendent l’idée d’un Etat binational[43], des mouvements de lycéens expriment leurs refus de servir dans les Territoires Occupés[44] et donc de servir Tsahal,…
En Europe et aux Etats-Unis, des Juifs s’organisent pour exprimer leur refus d’être associés aux pratiques de l’Etat israélien et aux organisations sionistes nationales qui défendent cette politique au nom de tous les Juifs du pays (comme le CRIF en France, le CCOJB en Belgique,…) et disent, comme l’exprime le nom d’une organisation juive américaine Not In Our Name : Pas en notre nom !
Si jusqu’en 67’, le sionisme était considéré par ses opposants comme la principale cause du conflit israélo-arabe (Israël était ainsi appelé « l’entité sioniste »), à partir de 67’ l’idéologie sioniste disparaît quasiment de l’analyse du conflit. Le problème n’est plus le sionisme mais l’occupation des territoires après 67’ par Israël.
Or, aujourd’hui, il semble que le sionisme soit à nouveau l’objet d’une attention particulière par
Photos du mur |
ceux qui cherchent à comprendre le conflit au proche-Orient. Les fondements même et les principes de cette idéologie sont questionnés ; en 2001, à la conférence de Durban contre le racisme en Afrique du Sud, de nombreuses organisations et ONG veulent faire reconnaître par l’ONU le sionisme comme forme de racisme et une condamnation de l’apartheid qui sévit en Israël à l’égard des populations arabes.
Cette résurgence d’une critique à l’égard du sionisme fait peur aux dirigeants israéliens : ce sont les fondements même de l’Etat israélien, comme Etat juif, qui sont mis en cause, à la fois de l’extérieur mais aussi et de plus en plus à l’intérieur même du pays.
L’assimilation de l’antisionisme à l’antisémitisme n’a donc pas d’autres objectifs que de faire taire ceux qui dénoncent le silence complice autour des pratiques et fondements de l’Etat israélien. De plus, en créant une véritable campagne souvent trompeuse et mensongère sur « la vague d’antisémitisme en Europe », les organisations sionistes parviennent à détourner l’attention des véritables enjeux du débat public mais aussi, comme le dit Warschawski, « de donner une rationalité nouvelle aux événements qui déchirent la Palestine/Israël et d’inverser les termes de l’équation victime-bourreau. »[45]
La question qui se pose de plus en plus est : « Peut-on parler du sionisme » ? Mais les difficultés à ouvrir un débat public sur ce thème ne peuvent nous décourager. Et s’opposer au sionisme ne peut se faire sans combattre en même temps l’antisémitisme et la confusion/fusion qui est faite entre sionistes et Juifs.
L’antisémitisme ou la judéophobie, entendu comme « haine/rejet des Juifs », est une forme de racisme contre laquelle il faut lutter autant que contre toutes les formes de racisme, ici, dans notre vie quotidienne. L’antisionisme, par contre, est une position politique qui consiste à s’opposer à une idéologie et à un mouvement politique et non à l’identité juive. S’opposer à cette idéologie c’est, pour nous, s’opposer à un Etat colonialiste, déshumanisant, qui méprise les droits fondamentaux des Palestiniens et des citoyens israéliens non-juifs. Un Etat militarisé fondé sur la peur et qui, pour se légitimer, doit à tous prix entretenir une insécurité existentielle chez ses « bons » citoyens. Et qui n’hésite pas, pour cela, à exploiter les souffrances passées.
Continuer à parler du sionisme et redonner aux mots leur sens réel est important non seulement pour éviter les amalgames dangereux mais également pour la résistance palestinienne car, comment nous solidariser avec les Palestiniens qui luttent pour leurs droits et leurs libertés, comment faire pression sur nos gouvernements si, ici, nous sommes bâillonnés ?
[1] Voir à ce propos les tentatives d’expulsion de l’Université d’Haïfa de Ilan Pappé, professeur d’université israélien et historien célèbre pour avoir été un des premiers à dénoncer les massacres et expulsion massive des Palestiniens en 1948. Une pétition de soutien circule actuellement sur le site : http://www.petitiononline.com/pappe.html
[2] TH. Herzl : « L’Etat des Juifs » (1ère éd. 1896), pp 27-29, Ed. La découverte, Paris, 1990
[3] Selon A. Léon, « les Juifs constituent dans l’histoire (dans les sociétés précapitalistes) avant tout un groupe social ayant une fonction économique déterminée. Leur fonction est majoritairement le commerce et l’usure. C’est parce qu’ils formèrent partout où ils s’implantaient des communautés principalement occupées par ces activités qu’ils forment dans leur ensemble une classe, ou mieux encore un « peuple-classe ». ( …) Ainsi, c’est parce que les Juifs se sont conservés en tant que classe sociale qu’ils ont aussi gardé certaines de leurs particularités religieuses, ethniques et linguistiques ». « La conception matérialiste de la question juive », A.Léon, p.22-23, édition EDI, Paris, 1992.
[4] C. Toledo : « Cinq décennies de pillage et de nettoyage ethnique », p 9 in R. Schoenman « Historia oculta del sionismo », 1988.
[5] « Sionisme et expansionnisme » Abdul Wahhab Kayyali, in « Le conflit israélo arabe », Revue Les temps Modernes, 1967.
[6] Th. Herzl, idem, p.28
[7] idem, p.44
[8] idem p.99
[9] Cité in R. Schoenman, « Historia oculta del sionismo », p.35
[10] « Zionism , antisemitism and the people of Palestine », N. Ignatiev, Mai 1994.
[11] Dov Barnir: “Les Juifs, le sionisme, le progress”, in « Le conflit israélo-arabe », Les temps Modernes n°253, 1967.
[12] Maxime Rodinson, “Israël, fait colonial?”, p. 68 in Les temps Modernes, opcit.
[13] Idem, p.28.
[14] Cité in R. Schoenman, p.42
[15] Idem, p.43
[16] « Les Palestiniens dans le siècle », E. Sanbar, p.61, Ed. Gallimard, Paris, 1994.
[17] Rapport de la FIDH, « Mission d’enquête sur le statut des citoyens arabes israéliens : des étrangers de l’intérieur : le statut de la minorité palestinienne d’Israël », Juillet 2001, p.4
[18] idem, p.29.
[19] Citons, par exemple, la Loi du Retour qui permet à tout juif du monde entier d’émigrer librement en Israël alors même que les organisations qui soutiendraient le droit au retour des palestiniens pourraient être condamnées (pour mettre en danger la « majorité démographique juive », élément fondamental de la définition de la judaïcité d’Israël). Un autre exemple est la loi qui confère un statut constitutionnel spécifique aux organisations juives (Agence juive, Fonds National Juif) leur permettant de gérer certaines fonctions de type gouvernementales (développement agricole, gestion de la propriété foncière « publique », logement, établissement de nouvelles colonies,…) en excluant totalement la population arabe.
[20] « Zionism, Racism and Anti-Semitism debate in South Africa », Dr. Mazin B. Qumsiyeh, 9 septembre 2001.
[21] Ainsi, le transfert des arabes israéliens en dehors du pays apparaît comme une solution défendue par une part de plus en plus significative des juifs israéliens. Si en 1991, 24% des Juifs israéliens étaient en faveur d’un transfert des Arabes israéliens, en 2002, 31% défendaient cette « option ». (Chiffres provenant d’une étude menée par le Jaffe Center of Strategic Studies, Haaretz, 12 mars 2002 : « More israeli favour transfer Palestinians from Israel and Occupied Territories »).
[22] Interview de M. Warschawski : « Quelle paix demain » paru dans Bandiera Rossa, le 26 février 2002
[23] idem, p.1
[24] « Encore une fois à propos du sionisme et de l’antisémitisme », Ilan Halevi, Paris, le 22 mai 2003
Ilan Halevi est juif et Palestinien. Il fut conseiller politique de Yasser Arafat pour les affaires européennes au ministère de la coopération internationale de l'Autorité palestinienne et représentant du Fatah (principale composante de l'OLP) à l'Internationale socialiste.
[25] “The diaries of Theodor Herzl”, p.6, Cité in R. Schoenman, p. 60, opcit.
[26] Maxime Rodinson, opcit, p.25
[27] R. Schoenman, opcit,p.62 et Tim Wise “Reflections on Zionisme from a dissident jew”, article Wednesday, September 5th, 2001, http://www.dissidentvoice.org/
[28] Cité in Tariq Ali: “To be intimidated is to be an accomplice”, article Sunday, March 7th, 2004, http://www.counterpunch.com/ Traduction propre
[29] Nous conseillons notamment la lecture des ouvrages de Lenni Brenner, The Iron Wall: Zionist Revisionism from Jabotinsky to shamir, Londres, 1984; R. Schoenman : « Historia oculta del sionismo »
[30] Cité in R. Schoenman, p.66.
[31] Cité in Tim Wise, opcit.
[32] B. Morritz est un des nouveaux historiens israéliens qui a l’encontre de l’histoire officielle israélienne a reconnu la responsabilité du nouvel Etat dans l’exode palestinien (même s’il déplore que l’épuration ethnique n’ait pas été achevée). Il se considère lui-même comme un sioniste de gauche…
[33] “Auschwitz à jamais présent”, I. Zertal, in Le nouvel Observateur, hors-série décembre/janvier 2004, « La mémoire de la Shoah ».
[34] Idem, p.40
[35] Idem, p.44
[36] Résolutions du 34ième Congrès de l’OSM, 17-21 juin 2002, résolutions 36.3 et 36.4.
[37] Souligné par nous, Idem.
[38] Haaretz, 26 septembre 2001.
[39] « Du chantage au harcèlement judiciaire », E. Hazan, p. 51 in « L’antisémitisme, l’intolérable chantage », ouvrage collectif, La Découverte, Paris, 2003
[40] “Le cynique, le paranoïaque et le provocateur », M. Warschawski, in « L’antisémitisme, l’intolérable chantage », opcit.
[41] D. Bensaïd, cité in Warschawski, opcit. P.74
[42] Idem, p.76
[43] Comme I. Pappé, M. Warschawski, J. Halper,…
[44] Voir, à ce propos, l’article paru dans le journal de l’UPJB: “Un nouveau groupe de Shministim exprime publiquement son refus de servir dans les Territoires palestiniens Occupés ».
[45] Warschawski, opcit. p.63.