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L'agression sioniste criminelle sur la bande de Gaza revient comme un boomerang sur les agresseurs en déclenchant une forte crise économique interne qui ne manquera pas de s'accentuer après l'agression sioniste sur le Liban et l'attaque de missiles par l'Iran... Quel peut être l'impact politique de cette crise ?

 

Par : Alejandro Iturbe, 18 octobre  2024

 

Selon le Bureau central israélien des statistiques, le PIB a chuté de 19,4% en glissement annuel au quatrième trimestre 2023 et "les résultats ont été bien pires que prévu"[1]. Cette dynamique négative de l'économie israélienne s'est poursuivie cette année. En juillet 2024, "la Banque d'Israël a abaissé ses prévisions de croissance de l'économie nationale pour 2024 à 1,5 % [ndr. en 2022, elle avait progressé de 6 %]... en raison du "haut niveau" d'incertitude géopolitique et d'une probabilité accrue d'une guerre régionale sur plusieurs fronts"[2].

En réalité, cette prévision est « inventée » et faussée. La baisse de la production de biens et de services est très importante (en particulier dans le secteur privé, qui est très fort). Un rapport datant de plusieurs mois analyse : "La consommation privée s'est contractée de 26,9 %, tandis que les investissements des entreprises ont chuté de 67,8 %. Les exportations ont chuté de 18,3 % et les importations de 42 %. Pendant ce temps, les dépenses publiques ont compensé une partie des pertes, avec une augmentation de 88,1%, principalement dans les dépenses de guerre"[3].

Dans ce cadre, la Banque d'Israël reconnaît qu'"il existe plusieurs risques d'accélération possible de l'inflation : les développements géopolitiques et leurs effets sur l'activité économique... et une dépréciation du shekel". Il est intéressant de rappeler qu'en 1985, l'Etat d'Israël a connu une hyperinflation de 500% par an, qu'il a maîtrisée par des mesures capitalistes classiques : ajustement fiscal, réduction des dépenses publiques, réduction des émissions et privatisation des entreprises d'Etat[4]. Une politique impossible à reproduire dans les conditions actuelles.

 

Cacher le problème

Dans l'analyse des causes et la recherche d'une sortie de crise, les réponses au sein de l'Etat sioniste sont diverses. Certains médias ont affirmé que la baisse d'activité était en partie due au « manque de travailleurs ». C'est tout à fait vrai pour l'agriculture : « Les récoltes pourrissent près de Gaza et du Liban. Les autorités font venir en urgence des travailleurs d'Inde, du Malawi et du Sri Lanka pour compenser le départ des Thaïlandais, le veto des Palestiniens et la conscription des Israéliens"[5]. En revanche, dans la production industrielle, la technologie et les services privés, branches dans lesquelles l'activité est en forte baisse, il n'y a guère de « pénurie de travailleurs ».

Début février, la célèbre et influente agence internationale Moody's a dégradé la note de confiance d'Israël en raison de « risques politiques et fiscaux ». En réponse, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a déclaré que « l'économie de son pays est forte ». Il a ajouté : "Nous sommes en guerre. La note remontera dès que nous aurons gagné la guerre, et nous la gagnerons.

M. Netanyahu a évité de mentionner l'impact de la « guerre » sur l'économie (à l'époque, l'invasion sanglante de la bande de Gaza), ce que la Banque d'Israël elle-même reconnaît. Dans le même temps, confronté à de grandes difficultés à Gaza, il a « monté les enchères » et régionalisé la guerre : il a attaqué le Liban et le Hezbollah, forçant ainsi une réponse du régime iranien (la récente attaque de missiles sur Tel-Aviv). En d'autres termes, il l'a transformée en une guerre « multi-fronts ».

En d'autres termes, il a répondu à une crise économique intérieure résultant de l'impact de « la guerre » par « plus de guerre ». La vérité est que, loin de « renforcer » l'économie israélienne, cette politique et ses conséquences ont approfondi sa crise.

Netanyahou s'appuie sur le fait que l'impérialisme, en particulier l'impérialisme étatsunien, maintient son soutien inconditionnel à son enclave par le biais d'une aide militaire et technologique (comme le renforcement du bouclier anti-missile face à l'attaque de l'Iran).

Un exode des entreprises

La preuve en est le départ du pays (à titre temporaire pour l'instant) de nombreuses entreprises étrangères qui y opéraient, soit par le biais de leurs propres filiales, soit en partenariat avec des entreprises israéliennes. D'autres envisagent de le faire.

Les médias internationaux ont reproduit un rapport de l'agence Reuters contenant une longue liste de compagnies aériennes internationales qui ont suspendu leurs vols vers Tel-Aviv, de banques, d'entreprises technologiques et de chaînes de magasins. Parmi ces dernières, « des dizaines de magasins de marques espagnoles comme Zara, Mango, Pull&Bear et Tous se sont joints à la mesure pour se protéger du conflit ».

Le cas de l'entreprise étatsunienne Nvidia, leader international dans la fabrication de puces pour l'intelligence artificielle, qui a réalisé l'an dernier d'importants investissements en Israël, est très significatif. Face à la situation à Gaza, Nvidia a annulé le sommet sur l'IA qui devait se tenir à Tel Aviv (auquel devaient participer ses représentants et des cadres dirigeants de Microsoft, Amazon Web Services, Snowflake et Lenovo[6]).

Mais surtout, ce processus se produit également parmi les entreprises israéliennes du secteur privé qui sont affectées dans leurs exportations par les résultats de la campagne BDS, ainsi que dans leur recherche d'investisseurs internationaux. Un rapport récent note que « de nombreuses entreprises dirigées par des Israéliens [...] sont déjà basées aux États-Unis et ont une filiale en Israël »[7].

Un « exode de citoyens ».

Ce qui se passe avec les entreprises israéliennes est l'expression d'un processus beaucoup plus profond, qui dure depuis plusieurs années. Il s'agit du nombre croissant de citoyens israéliens, dont beaucoup appartiennent à l'élite intellectuelle et professionnelle, qui quittent « silencieusement » le pays, à la recherche d'une « solution individuelle » en termes de travail et de carrière, et qui émigrent aux États-Unis ou en Europe (sans renoncer à leur citoyenneté israélienne).

Sur cette réalité, un média espagnol fait l'analyse suivante : « Les médecins et l'élite quittent Israël, car ils "sentent qu'ils n'y sont pas à leur place". Dans le cas des médecins, les départs ont été multipliés par dix, ce que les médias hébreux considèrent comme 'alarmant'"[8].

Cet exode de milliers de citoyens israéliens d'origine européenne (les Ashkénazes) a été couvert par l'immigration massive de Juifs d'origine russe qui sont devenus les colons occupant les terres nouvellement occupées de Jérusalem-Est et de Cisjordanie, avec de grands privilèges de la part de l'État. C'est pourquoi ils sont les plus agressifs dans la « défense d'Israël » contre les Palestiniens, avec des méthodes fascistes.

Changements et contradictions dans la société israélienne

À ce stade, il convient d'évoquer les profondes mutations économiques et sociales qu'a connues l'État d'Israël au cours des dernières décennies et la manière dont ces mutations ont engendré de profondes contradictions politiques au sein de la société israélienne. Nous avons consacré de nombreux articles à ce sujet sur cette page[9].

L'État sioniste a été créé comme une enclave militaire de l'impérialisme au Moyen-Orient. Il doit donc maintenir un état de « guerre permanente » contre les Palestiniens et les peuples arabes et musulmans. Pendant plusieurs décennies, l'économie de cette enclave impérialiste s'est développée, dirigée et contrôlée directement par l'État, financée par « l'aide étrangère » envoyée par l'impérialisme étatsunien à des fins militaires et collectée par le mouvement sioniste international.

Dans ce contexte, une industrie de l'armement s'est développée, qui a d'abord approvisionné l'armée israélienne, puis a commencé à exporter. Au fil du temps, elle s'est de plus en plus spécialisée dans le développement de technologies à des fins militaires, de logiciels et de systèmes de sécurité et de surveillance.

À partir de la fin des années 1980, cette économie d'État a commencé à être privatisée. Une partie de ces entreprises a été transformée en joint-ventures, tandis que d'autres ont été vendues purement et simplement. Sur cette base, de nouvelles entreprises privées ont commencé à se développer, en particulier dans le secteur des technologies de sécurité et des logiciels et systèmes en général. Dans une moindre mesure, dans d'autres domaines tels que les produits pharmaceutiques, l'alimentation et les boissons. En 2022, les exportations israéliennes ont atteint 165 milliards de dollars, soit 30 % du PIB du pays[10].

Une nouvelle bourgeoisie privée « classique » a ainsi émergé, qui a établi des liens avec les marchés internationaux par le biais des exportations, des investissements étrangers et des investissements des bourgeois israéliens à l'étranger. Un nouveau secteur de travailleurs spécialisés et professionnels est également apparu, dont le développement personnel et économique est lié à cette nouvelle économie.

Ces deux secteurs ont des frictions et des contradictions avec Netanyahou et sa politique de « guerre permanente », car elle nuit à leurs entreprises et à leurs carrières. Ils aspirent à vivre dans un « Israël moderne, développé et démocratique », à l'instar de certains pays impérialistes européens. Ils voudraient une sorte de « paix » pour développer tranquillement leurs affaires et leurs professions.

C'est ce qui les a amenés à faire de grandes mobilisations contre le gouvernement Netanyahou. Ce fut le cas de ceux qui se sont opposés à la « réforme judiciaire » promue par le Premier ministre. Quelques mois après le début de l'invasion de la bande de Gaza, ce secteur a soutenu et rejoint les manifestations organisées par les familles des otages israéliens à Gaza, qui exigeaient que le gouvernement signe un accord de « cessez-le-feu » prévoyant leur libération et leur retour[11].

Chaque fois que le gouvernement Netanyahou et "l'aile dure" sont confrontés à ces situations, ils répondent par une nouvelle avancée de la ” guerre permanente “ et appellent à ” l'unité “ de la société israélienne face à ” l'ennemi ». C'est ce qu'il a fait avec l'invasion de Gaza et maintenant avec l'attaque du Liban et la situation créée vis-à-vis de l'Iran.

Il a atteint une partie de son objectif. Pour les prochaines élections législatives, l'invasion du Liban a augmenté les intentions de vote des partis de la coalition au pouvoir et a devancé leur principal opposant, Yair Lapid. Cependant, les prévisions ne lui donnent pas la majorité à la Knesset (parlement) et il a donc ajouté un autre leader de l'opposition (Gideon Saar) à son cabinet, ce qui augmente ses chances de former un nouveau gouvernement[12].

Au-delà du résultat des élections, l'expérience récente de l'invasion de Gaza montre que Netanyahou a d'abord réussi à « resserrer les rangs » et à gagner du soutien, mais que les contradictions de la société israélienne se sont ensuite manifestées à nouveau par des mobilisations « contre la guerre ». La réalité montrera si cette situation se répète.

Les limites insurmontables des contradictions

Face à ces fortes contradictions et mobilisations, plusieurs organisations de la gauche mondiale ont renforcé leur proposition selon laquelle le principal moyen de vaincre l'État sioniste est la formation d'une alliance entre le peuple palestinien et la classe ouvrière israélienne contre « l'ennemi commun » (l'État et la bourgeoisie sionistes). Il s'agit d'une proposition erronée car une telle alliance est objectivement impossible à réaliser.

Ces contradictions ont une limite insurmontable : l'État d'Israël n'est pas un pays oppresseur/impérialiste « normal », mais une enclave politico-militaire de l'impérialisme. Il a été créé par les puissances impérialistes sur la base du vol et de l'usurpation du territoire palestinien, de l'expulsion violente du peuple palestinien de sa terre et de l'installation artificielle d'une population juive venue de l'étranger. Le sionisme a été l'outil utilisé par l'impérialisme pour créer cette enclave.

Sur ce territoire volé aux Palestiniens, une population étrangère (principalement des Juifs d'origine européenne, plus tard également d'autres pays) s'est installée et continue de s'installer, construisant sa vie sur les bases que nous avons décrites. Les maisons dans lesquelles vivent les travailleurs israéliens, les écoles où étudient leurs enfants, les usines et les champs dans lesquels ils travaillent ont été construits sur la terre qui a été volée au peuple palestinien et dont il a été expulsé. L'ensemble de la société israélienne (y compris la grande majorité de sa classe ouvrière) en est consciente et n'est pas disposée à rendre ces terres.

En d'autres termes, ils défendent également le caractère enclavé d'Israël (« ce qui a été volé aux Palestiniens est déjà à nous ») et, dans leur écrasante majorité, ils n'abandonneront jamais cette position, même s'ils ont des contradictions occasionnelles avec Netanyahou et se mobilisent contre lui.

C'est pourquoi l'« unité nationale » dans la défense de l'enclave l'emporte toujours sur les contradictions internes de classe. Pour la classe ouvrière israélienne, la bourgeoisie israélienne n'est pas un « ennemi commun » qu'elle aurait avec le peuple palestinien, mais son alliée dans la défense de la " patrie juive d'Israël " contre " l'ennemi palestinien ".

L'État sioniste dispose d'une supériorité militaire écrasante sur le peuple palestinien. D'autant plus qu'il bénéficie de l'aide technologique et logistique de l'impérialisme étatsunien. Malgré cela, dans ces conditions très dures, il a déjà montré qu'il maintenait et intensifiait sa résistance héroïque. Pour remporter la victoire qui lui permettra de retrouver son territoire national historique, cette résistance doit être une « étincelle » qui déclenche la lutte révolutionnaire et militaire commune des peuples arabes et musulmans contre l'État d'Israël.

Cet article a été publié à l’origine sur www.litci.org le 8 octobre 2024

[1] https://www.bbc.com/mundo/articles/c3gkel91581o

[2] https://www.swissinfo.ch/spa/banco-de-israel-rebaja-previsiones-de-crecimiento-de-2024-y-2025-por-riesgo-de-m%C3%A1s-guerras/83140225#:~:text=%2D%20El%20Banco%20de%20Israel%20rebaj%C3%B3,guerra%20regional%20en%20varios%20frentes .

[3] https://es.euronews.com/business/2024/02/20/la-guerra-entre-israel-y-hamas-pasa-factura-a-la-economia-israeli#:~:text=La%20producci%C3%B3n%20econ%C3%B3mica%20de%20Israel,7%20de%20octubre%20de%202023

[4] https://bolsamza.com.ar/como-salio-israel-de-la-hiperinflacion-y-como-argentina-fracaso-en-sus-intentos/#:~:text=Baj%C3%B3%20el%20gasto%20p%C3%BAblico%20%2Dbajando,algunos%20productos%20de%20consumo%20masivo .

[5] https://elpais.com/internacional/2024-04-02/la-guerra-sume-a-la-agricultura-israeli-en-la-mayor-crisis-de-su-historia.html

[6] https://www.bolsamania.com/noticias/empresas/nvidia-cancela-evento-ia-tel-aviv-tras-ataque-hamas-israel–14909980.html

[7] https://harris-sliwoski.com/blog/

[8] https://www.hispantv.com/noticias/economia/599729/iinflacion-subida-precios-exodo-israel

[9] Una crisis política creciente del Estado de Israel y del sionismo – Liga Internacional de los Trabajadores (litci.org)

[10] Exportaciones de Israel podrían alcanzar los $165 mil millones (israelnoticias.com)

[11] https://litci.org/es/el-movimiento-israeli-contra-la-guerra-crece-a-pesar-de-su-falta-de-vision/?utm_source=copylink&utm_medium=browser

[12] https://www.bbc.com/mundo/articles/c3wp575x55do