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Ligue Communiste des Travailleurs

Section belge de la Ligue Internationale des Travailleurs -
Quatrième Internationale (LIT-QI)

« L'émancipation des travailleurs sera l'œuvre des travailleurs eux-mêmes. » K. Marx

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Une situation indescriptible et inacceptable

Début avril 2010, une délégation de Conlutas a visité Haïti pour y apporter sa solidarité. Conlutas a déjà réuni plus de 100 000 US$ d'aide, donnée à Bataye Ouvriye.
   Voici une interview avec Zé María, après le retour de la délégation au Brésil. Zé María est membre de la direction de Conlutas, ainsi que de la direction du PSTU(B), et est actuellement candidat aux élections présidentielles en octobre au Brésil.
   Vous pouvez aussi voir une vidéo de Zé Maria sur le thème.

Zé Maria - Trois mois après le séisme, la situation des gens en Haïti est indescriptible et inacceptable.
  Elle est indescriptible parce qu'ils vivent une situation complètement inhumaine. Ils campent dans les rues ou dans la cour de leur propre logement, au milieu des décombres et des égouts, sans repas, sans eau, avec rien du tout. Il n'y a pas la moindre trace, de la part l'Etat, du gouvernement haïtien ou des fameuses troupes d'occupation, qui pourrait montrer ne fut-ce qu'un indice de reconstruction des maisons et du pays. A part quelques rares opérations de distribution d'aliments par l'un ou l'autre contingent de l'ONU, totalement aléatoires, les personnes essayent de survivre avec leurs propres ressources et avec beaucoup de solidarité entre eux. Ils vivent toujours dans les mêmes conditions dans lesquelles le séisme les a laissés. En outre, maintenant, au mois d'avril, commence l'époque des pluies dans la région de Port-au-Prince.
  Elle est inacceptable, parce que tout cela met à nu la farce complète de la politique, non seulement du gouvernement haïtien mais aussi des gouvernements brésilien et étasunien qui, avec leurs troupes, disent qu'ils viennent en aide au peuple pour reconstruire le pays. Nous avons parcouru les rues de Port-au-Prince pendant presque une semaine et nous avons rarement vu un soldat. Les gens que nous avons vus en train d'essayer de reconstruire leur maison, ou plutôt, de retirer les décombres, faisaient cela avec leurs mains nues, sans l'aide d'aucun soldat ! Le seul poste un peu plus visible des troupes de la Minustah est celui installé à l'entrée de la Zone Franche, pour protéger les entreprises qui y sont installées. Qu'en est-il des millions de dollars que le gouvernement brésilien dit avoir donné à Haïti ? Ils sont destinés à la manutention des soldats là-bas et n'arrivent nullement au peuple de Haïti. C'est pareil pour les ressources annoncées par plusieurs gouvernements. Le plan de reconstruction, discuté actuellement à l'ONU, essaye en réalité de décider comment distribuer les ressources qui devraient être dirigés à Haïti, entre les grandes entreprises de construction. Le peuple, lui, ne voit rien de tout cela.
   Et il y a un dernier aspect qu'il est important de souligner. On parle beaucoup de la violence et des pillages, pour justifier la présence des troupes. C'est un grand mensonge. Ce que l'on voit dans les rues de Port-au-Prince, c'est une démonstration de solidarité entre les gens, un climat de paix et de tranquillité qui, vu les conditions dans lesquelles ils vivent, devrait être montrée au monde comme exemple de coexistence entre êtres humains. La violence, c'est celle qui est pratiquée contre tout le peuple de Haïti, par la situation imposée par son gouvernement, par le gouvernement brésilien, par celui des Etats-Unis, par les troupes étrangères qui s'y trouvent.

Comment la délégation de Conlutas a-t-elle été reçue ?

Zé Maria - Nous avons été reçus d'une façon très fraternelle et affectueuse, non seulement par les camarades de Batay Ouvriye, mais aussi par tous les gens, très nombreux, avec lesquels nous avons parlé dans les campements que nous avons visités, et par les organisations avec lequel nous avons conversé. Outre l'affection, il y a aussi une grande curiosité pour la situation au Brésil, avec tout ce que nous avons raconté sur le véritable rôle du gouvernement de Lula. Nous avons montré aux camarades haïtiens que l'envoi de troupes par Lula en Haïti, ainsi que de celles des Etats-Unis, pour défendre les intérêts économiques des entreprises et des banques, n'a rien d'un cas isolé. Au Brésil aussi, Lula défend ces mêmes intérêts des entreprises, des banques et de l'impérialisme avec sa politique.
   Nous avons parlé beaucoup de la nécessité de renforcer nos liens de solidarité, de soutenir mutuellement les luttes, parce que nous vivons dans un monde où nos pays pourraient assurer une vie digne pour tous. Pour cela, il faut toutefois mettre un terme à l'empire des banques et des grandes entreprises. Et pour cela, les travailleurs ont besoin de gouverner et de changer la société, de mettre un terme au capitalisme et de construire une société socialiste. Nous avons signalé que cette lutte est la nôtre au Brésil et celle des travailleurs en Haïti, une même lutte. La réaction des gens à cette discussion a toujours été très bonne, ce qui montre qu'il y a des bases réelles pour développer la solidarité de classe entre les travailleurs.

Quelle a été la répercussion de la visite ?

Zé Maria - Elle a été assez bien. Outre les diverses réunions que nous avons eues avec les camarades de Batay Ouvriye, avec plusieurs coordinations de campements, avec des travailleurs licenciés des entreprises étatiques haïtiennes, avec plusieurs organisations du mouvement populaire, nous avons aussi donné des entrevues avec trois radios et à la télévision. Dans ces entrevues, nous avons divulgué plus largement les raisons de notre visite et l'opinion que nous avons sur la présence des troupes en Haïti. Nous en avons profité pour dénoncer publiquement des choses comme la répression violente par la Minustah contre des travailleurs licenciés des entreprises étatiques, qui combattaient seulement pour que l'Etat paye ce qui leur était dû et honore les accords signés avec les travailleurs.

Vous avez été témoin de l'activité de la Minustah. Que pouvez-vous dire sur ce que font les troupes ?

Zé Maria - Comme j'ai déjà dit, il a été difficile de voir des soldats faisant quelque chose. La distribution d'aliments, quand elle a lieu, se fait de manière irrespectueuse, sans y incorporer les organisations du peuple haïtien lui-même, comme on jette à manger aux animaux. De l'aide à la reconstruction ? Quelle reconstruction ?
   En réalité, les troupes sont là parce que le gouvernement haïtien, ainsi que le brésilien et l'étasunien, et les propriétaires des entreprises, savent que le peuple haïtien ne va pas supporter encore longtemps tant de misère, tant d'abus et de manque de respect. Ils savent que le peuple va se soulever à un certain moment et va essayer d'invertir l'état de choses dans lequel se trouve le pays. Ils savent que cette rébellion va heurter directement les intérêts des entreprises qui y sont installées, va faire face aux intérêts géopolitiques des Etats-Unis. Les troupes sont là pour cela, pour protéger les intérêts des capitalistes de Haïti et des étrangers qui y ont des intérêts.
   Ce n'est pas par hasard que les troupes ont déjà réprimé les étudiants, et par la suite les travailleurs, quand ceux-ci sont allés se battre pour essayer d'obliger les entreprises à payer un salaire minimal moins misérable pour leurs salariés. Ce n'est pas par hasard que les troupes ont durement réprimé les travailleurs des entreprises étatiques (les compagnies de télécommunications, les ports, le ramassage d'ordures), licenciés sans forme de procès par le gouvernement de Préval, qui prépare ces entreprises pour la privatisation, c'est-à-dire, pour les brader au capital privé, essentiellement étranger.

Qu'est-ce que le peuple pense de la dénommée " aide humanitaire " ? Que pense-t-il de la campagne de solidarité de Conlutas ?

Zé Maria - Il y a un mécontentement latent, perceptible chez les gens, avec toute cette histoire. On parle beaucoup d'" aide humanitaire ", mais celle-ci n'arrive jamais pour soulager la vie des personnes qui sont dans les campements, qui sont au chômage, qui ont perdu leurs parents et amis, qui ont tout perdu. Il y a un mécontentement de plus en plus grand avec le gouvernement de Préval, dont l'incompétence et le blocage pour faire face à la situation dépassent toutes les bornes.
   Cela ne s'est pas encore transformé en mobilisation, en lutte concrète. Mais c'est la perspective dans le futur. A l'heure actuelle, les efforts se dirigent vers le soutien aux diverses initiatives de lutte, vers la recherche de les unifier dans un même processus, et donc avec davantage de force. Peut-être y aura-t-il une certaine expression de cela lors du prochain Premier Mai.
   Pour aider et soutenir ces efforts, Conlutas développe aussi sa campagne de solidarité au Brésil. Nous voulons aider les gens à dépasser les conséquences du séisme. Mais nous voulons aussi contribuer avec notre soutien pour que se développent les organisations et la lutte du peuple haïtien, pour qu'il puisse se libérer du pillage économique dans son propre pays par l'action des multinationales et de l'impérialisme.
   A l'heure actuelle, l'intensification des dénonciations sur le véritable rôle des troupes de la Minustah et des Etats-Unis prend de l'ampleur, en exigeant leur retrait et leur substitution par des médecins, des infirmiers, des ingénieurs, des machines pour la reconstruction des maisons et du pays. A l'heure actuelle se développent aussi les actions de solidarité avec les luttes qui se mènent en Haïti, comme celle des travailleurs des entreprises étatiques licenciés.
   Je pense que c'est précisément par ce rôle accompli par la campagne de solidarité, développée par Conlutas, que les gens là-bas ont manifesté tant de satisfaction. Les gens avec lesquelles nous avons parlé sont sincèrement reconnaissants pour l'effort que nous faisons ici. Et ils espèrent que les liens que nous commençons à construire, se développent et donnent des fruits, dans le sens de la libération de nos peuples de toute forme d'exploitation et d'oppression causées par le capitalisme.