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Ligue Communiste des Travailleurs

Section belge de la Ligue Internationale des Travailleurs -
Quatrième Internationale (LIT-QI)

« L'émancipation des travailleurs sera l'œuvre des travailleurs eux-mêmes. » K. Marx

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ChineLe modèle chinois est mis a mal par la crise et la montée ouvrière

Il y a un peu plus trente ans, la bureaucratie de ce qu'était alors l'Etat ouvrier chinois commença la mise en œuvre du « capitalisme à caractéristiques chinoises ». Deng Xiaoping y instaura « les quatre modernisations », après une lutte interne acharnée contre l'aile de la bureaucratie connue péjorativement sous le nom de « Ganga des Quatre ». Ce dernier se revendiquait alors comme héritière des idéaux maoïstes et de la continuité de la Révolution Culturelle.

Ce fut le signal de l'ouverture aux capitaux étrangers, de la privatisation des entreprises d'Etat et de l'introduction des mécanismes du marché dans l'économie. En d'autres termes, ce fut la restauration capitaliste dans un Etat ouvrier qui avait rendu possible des avancées incroyables, malgré les politiques désastreuses imposées par Mao, pour une population largement paysanne en état de misère constante, ainsi que pour la classe ouvrière.

D'autre part, il n'y eut aucun changement dans le maintien draconien d'une dictature, aujourd'hui bourgeoise, basée sur l'Armée du Peuple et le système de parti unique, le Parti Communiste Chinois (PCC). Ainsi, en 1989, un processus révolutionnaire qui exigeait des libertés démocratiques, la fin de la corruption et des syndicats libres, termina dans un bain de sang sur la place Tian'anmen.

C'est une honte pour tous les révolutionnaires que cette dictature au service du capital continue à s'appeler « communiste », dirigeant un « socialisme de marché », foulant aux pieds notre bannière socialiste.

Le modèle chinois et la crise économique

Ce modèle a fait de la Chine une « usine du monde » dans les années 90 ; et a été crucial pour l'expansion économique du capitalisme dans les années 2000. La dictature assurait des taux de profit élevés pour la bourgeoisie, à partir d'une surexploitation de la classe ouvrière et de l'installation des multinationales en vue de la production de produits destinés à l'exportation. Durant ce processus, la population chinoise a vu son niveau de vie baisser de plus en plus, en contradiction avec la richesse générée par le pays, et ce à tel point que la consommation des ménages n'atteignait que 36% du PIB, alors que des secteurs de la bureaucratie de l'Etat, de l'armée et d'une « nouvelle classe moyenne » en bénéficiaient.

La Chine joua également un rôle clef dans l'atténuation la crise économique initiée en 2006 aux Etats-Unis, crise qui eut des répercussions mondiales suite l'éclatement de la « bulle immobilière » en 2007. Le gouvernement chinois injecta 586 milliards de dollars dans l'économie en 2008/09, auxquels il faut ajouter 1 500 milliards de dollars de crédits de banques d'Etat, dans le but d'éviter un effondrement mondial, et de conserver l'emploi de quelque 150 millions de migrants – des travailleurs sans droits et misérablement rémunérés - afin d'éviter que les révoltes populaires n'embrasent le pays.

Toutefois, si la crise a pu être atténuée, elle n'a pas pu être éliminée. Elle s'est maintenue aux Etats-Unis, dans une situation de faible croissance économique, et elle s'est approfondie en Europe, le principal marché d'exportation pour les produits chinois. Ainsi le modèle d'exportation financé par le gouvernement commence à montrer des signes d'épuisement. Mais en dépit d'un niveau de croissance supérieur à la moyenne mondiale, cette politique a ses jours comptés. En cause : le niveau élevé de liquidité monétaire, qui provoque des pressions inflationnistes et une difficulté majeure pour contrôler le taux de change ; les dettes impayables des gouvernements régionaux (près de 11% du PIB) ; la surproduction dans différents secteurs issus du crédit facile et des incitations fiscales, surtout dans le marché du logement et de l'acier ; et les augmentations salaires qui résultent de la lutte sans relâche d'une classe ouvrière totalement précarisée, dans le secteur privé.

En réalité, le PIB a augmenté de 9,2% en 2011 (contre 10,4% en 2010), mais le troisième trimestre de cette année n'affichait qu'une croissance de 9,1% annuel, et le dernier seulement de 8,9%. On s'attend à ce que le premier trimestre de 2012 présente une baisse encore plus importante, entre autres en raison des vacances de 15 jours du Nouvel An chinois. Les mois de janvier et février montrent une réduction de l'activité dans les industries primaires (matières premières) et dans celles des appareils électrodomestiques : industrie pétrolière -1,1% ; minerai de fer 16,3%, avec des indications claires de surproduction ; ciment 4,8% ; acier 2,2% ; métallurgie 4,6% ; machines à laver -5,7% ; réfrigérateurs -2,9% ; climatiseurs -4,8%. D'autre part, les indices sont stables pour la production de machines-outils et d'engins agricoles, et pour les produits électroniques destinés à l'exportation (ordinateurs, téléphones cellulaires). Les données montrent une réduction draconienne des investissements de l'Etat (industries primaires), ce qui conduira à une réaction en chaîne à l'avenir, si cette tendance se poursuit.

Atterrissage en douceur ?

Avec des signes de plus en plus clairs d'un ralentissement de l'économie, que le gouvernement n'a pas pu éviter moyennant des mesures purement fiscales (baisse du taux d'intérêt et du crédit compulsif des banques, contrôle des changes, contrôle accru sur les prêts bancaires), la dictature chinoise admet déjà une prévision à la baisse de la croissance économique dans les années à venir. Lors de l'ouverture de la session annuelle de l'Assemblée nationale populaire (ANP - le parlement chinois, entièrement contrôlé par le PCC), le Premier ministre Wen Jiabao a annoncé une prévision de croissance du PIB de 7,5% pour 2012 et un objectif de 7% en moyenne jusqu'en 2015. C'est ce qu'on appelle « l'atterrissage en douceur » de l'économie, ce qui donnerait suffisamment de temps pour faire la transition d'un modèle d'exportation vers un modèle basé sur la consommation intérieure.

Cette transition est exigée depuis des années par la Banque mondiale et est également incluse dans les plans quinquennaux du pays, mais jusqu'ici sans succès. Le problème est qu'un nouveau modèle de production affecte le cœur de l'économie d'exportation et les intérêts d'un secteur important de la bourgeoisie chinoise, basé à Hong Kong, propriétaire d'usines de biens d'exportation et employeuse d'un important contingent de travailleurs migrants. En ce sens, Wang Yang, gouverneur de l'Etat de Guangdong, a déclaré qu'une région comme Dongguan, un des centres d'exportation de l'Etat, pourrait devenir « la Grèce du Guangdong », car « Dongguan est un modèle traditionnel de développement, mais en raison de l'appréciation de la monnaie et la hausse des prix des matières premières, il est difficile d'assurer la continuité de nombreuses entreprises ».

Wang Yang omet toutefois le problème des problèmes : les augmentations salariales, obtenues grâce à la montée des luttes de la classe ouvrière (il y a eu 180 000 conflits en 2010), qui forcent le gouvernement à accorder des ajustements bien supérieurs à l'inflation dans les salaires minimums régionaux, ce qui, à son tour, érode la survaleur obtenue par ce secteur de la bourgeoisie et affecte donc le taux de profit de toute l'économie. Cette réduction du taux de profit pousse la bourgeoisie dans trois directions : déplacer leurs usines vers l'intérieur, où les salaires minimums régionaux sont plus faibles ; déplacer leurs usines vers des pays voisins, où les salaires sont encore plus bas (par exemple, au Vietnam ) ou, pour certaines multinationales américaines telle Caterpillar, rapatrier la production aux Etats-Unis lorsque les coûts s'avèrent compétitifs.

Cela peut créer une réduction du niveau de l'emploi dans les régions exportatrices de l'Est et provoquer un « tsunami ouvrier », conduisant à une situation que la dictature veut éviter à tout prix : la possibilité de la transformation de milliers de luttes économiques et démocratiques – comme au Tibet ou dans la région autonome ouïghoure du Xinjiang, ou à Wukan où les habitants rebelles ont occupé les installations du gouvernement municipal et ont obligé ce dernier à négocier – dans un mouvement unifié contre le gouvernement et la bourgeoisie, c'est-à-dire le début d'une révolution dans le pays.

C'est pourquoi la dictature entend intensifier la répression sélective contre les dirigeants de la lutte, tout en adoptant des mesures économiques prudentes visant à prévenir le soulèvement. A cet effet, elle augmente le budget de l'armée et elle propose une réforme du Code pénal, avec la légalisation des enlèvements de personnes « soupçonnées de subversion », pour « enquête », jusqu'à six mois.

Même un « atterrissage en douceur » de l'économie peut donc donner lieu à des conséquences politiques imprévisibles dans la lutte de classes, tendant vers un stade supérieur dans les mobilisations.

Les différends au sein de la bourgeoisie

Jusqu'à présent, la dictature a démontré une unité totale dans la mise en œuvre de sa politique. Toutefois, un différend a explosé en pleine séance de l'Assemblée nationale populaire (ANP), entre deux ailes de la bourgeoisie représentées dans la direction du PCC.

Le dernier jour de l'ANP, le 14 mars, le Premier ministre lança une attaque cinglante : « Le Comité municipal actuel et le gouvernement de Chongqing doivent réfléchir sérieusement sur l'incident de Wang Lijun et en tirer les leçons appropriées. » Wen Jiabao faisait référence à la fuite, sans cause connue, du vice-maire de Chongqing, Wang Lijun, pour un consulat des Etats-Unis, survenue le mois précédent. Wang avait passé la nuit au consulat et avait ensuite été remis aux autorités chinoises et démis de ses fonctions « pour un traitement médical ». Quelques heures après la déclaration de Wen, Bo Xilai, le chef du Parti à Chongqing, fut démis de toutes les fonctions qu'il occupait au sein de la ville, mais il reste toujours membre du Comité Central du parti.

Cette décision a conduit à des mesures de sécurité préventives à Pékin et à Chongqing, y compris la censure habituelle de la presse et d'internet et, probablement, des détentions préventives.
Bo Xilai était une étoile montante dans le PCC et sa nomination pour le Comité Permanent (CP), l'organe tout-puissant de neuf membres du Parti, était acquise. Sa renommée provenait de l'application du dénommé « Modèle Chongqing » : la promotion d'une coutume de chanter de vieilles chansons révolutionnaires de l'époque de Mao dans les lieux publics et le développement de programmes de logements pour la population à faible revenu. En outre, une campagne, intitulée Da Wei, était mise en œuvre. Elle visait à traquer la mafia de la ville, qui touchait évidemment de nombreuses entreprises. Le juge de Chongqing lui-même, Wen Qiang, fut condamné à mort, accusé d'avoir enterré dans un jardin 3 millions de dollars provenant de la corruption.

La politique de Bo attirait le secteur « néo-maoïste », qui défendait la maintenance du pouvoir d'Etat dans l'économie, mais sans attaquer le « socialisme de marché » prêché par la direction. Il est donc considéré par les analystes étrangers comme un gauchiste, défenseur des entreprises de l'Etat et de l'égalité sociale.
Son origine sociale et sa pratique politique démentent toutefois cette caractérisation. Bo est un « prince » du parti, un de ces enfants des dirigeants de la révolution de 1949 qui ont gravi les échelons du pouvoir sur la base de privilèges acquis par héritage. Par son style populiste autoritaire, il ressemble davantage à un Hugo Chavez chinois ou, dans une comparaison plus européenne, un Vladimir Poutine, qu'à un chef de file de la gauche. A Chongqing, une ville de 30 millions d'habitants, la participation du capital privé dans le PIB municipal a augmenté de 25% à 60% en 2007. En outre, le programme de maisons populaires se résume à la construction de dortoirs pour des travailleurs migrants, afin d'encourager l'installation d'industries privées dans la région. Les neo-maoïstes eux-mêmes ont pu savourer le « style Bo » quand ils organisèrent une conférence dans la ville : ils furent arrêtés sur ordre de leur idole.

C'est l'impérialisme qui commande

Le châtiment de Bo fut soutenu par le président Hu Jintao, le Premier ministre Wen Jiabao, le vice-président Xi Jinping (un autre « prince ») et même des alliés tels que Zhou Yongkang, le chef de la sécurité intérieure, faisant preuve d'une unité de façade au sommet.

Un autre événement, apparemment sans rapport, permet de clarifier ce différend. Quelques semaines avant l'installation de l'ANP, un copieux rapport de la Banque mondiale préconisait la mise en œuvre « de réformes structurelles pour renforcer les fondements d'une économie de marché, moyennant la définition du rôle du gouvernement, la réforme et la restructuration des entreprises et des banques de l'Etat, le développement du secteur privé, la promotion de la concurrence et l'approfondissement de la réforme agraire, du travail et du marcher financier ».

Le rapport de 470 pages prévoit la réduction de la participation de l'Etat dans l'économie de la Chine à hauteur de 10% pour 2030 et l'ouverture immédiate du marché financier.

Cette recette néo-libérale est défendue par la Banque mondiale (c.-à-d. l'impérialisme) depuis des années. La nouveauté est que cette fois, ce rapport a comme coauteur le Centre de Recherche et Développement, une agence du Conseil d'Etat de la Chine.

Lors de l'ouverture de l'ANP, le Premier ministre, en symbiose totale avec le rapport, promettait de « casser les monopoles » et « d'attirer l'investissement privé pour le transport ferroviaire, les services publics (eau et égouts), les finances, l'énergie, les télécommunications, l'éducation et les soins médicaux » : tous secteurs sous contrôle étatique. Bo, quant à lui, n'a fait aucune déclaration contraire.

Cette attaque frontale sur les entreprises d'Etat et le système financier, ainsi que l'ouverture de la terre au secteur privé, sont nécessaire pour donner un débouché aux capitaux spéculatifs, désireux d'investissements lucratifs. Mais elles représentent un risque énorme pour la dictature, à cause de l'importante montée ouvrière et populaire en Chine, à laquelle peuvent se joindre les luttes du secteur plus traditionnel de la classe ouvrière, les travailleurs des entreprises nationalisées après la révolution de 1949.

Le 18e Congrès du PCC et l'évolution du différend

Dans ce contexte complexe, deux ailes de la bourgeoisie s'affrontent au sommet du PCC, où se concentrent les rênes du pouvoir. Une aile majoritaire, consciente des problèmes sociaux soulevés par l'évolution de l'économie, cherche un chemin de négociation avec le mouvement de masses, sans abandonner le contrôle dictatorial du pays. L'aile minoritaire de Bo entend appliquer le même plan économique dicté par l'impérialisme, mais moyennant une politique populiste et plus répressive. Pour cela, face aux luttes à venir du mouvement de masse, elle veut construire un grand « Bonaparte », Bo lui-même, comme médiation dans les affrontements entre le prolétariat et la bourgeoisie, en maintenant l'appareil de l'Etat intact.

C'est bien cela le sens de l'affirmation de Wen Jiabao quand il annonça le châtiment des dirigeants de Chongqing : « Sans le succès de la réforme politique structurelle [...], une tragédie historique semblable à la Révolution Culturelle pourrait arriver de nouveau. » Et c'est également le sens de la motion pour le Comité Permanent, de Wang Yang, gouverneur du Guangdong, qui négocia avec les habitants rebelles de Wukan la destitution des dirigeants locaux du PCC et l'élection d'un nouveau conseil municipal, évitant ainsi un bain de sang dans le village.

Ce différend au sein de la bourgeoise devrait avoir un dénouement dans les coulisses du 18e Congrès du PCC en octobre, mais la fuite de Wang Lijun pour le consulat des Etats-Unis a précipité les événements, et de ce fait la destitution de Bo Xilai.

Si se vérifient les élections annoncées de l'actuel vice-président Xi Jinping, un néo-libéral, au poste de président, et de Li Kepiang, un homme de confiance de Hu Jintao, au poste de Premier ministre, ce sera une victoire de l'aile majoritaire. Et l'élection probable de Liang Wengen – le président de Sany Heavy Industries, considéré comme la personne la plus riche du pays, avec une fortune de 11 milliards de dollars – sera un geste symbolique de l'implication directe du grand capital dans l'appareil de l'Etat.

Cependant, la proclamation de « l'unité » et l'élection unanime de nouveaux organes de direction du parti et du pays, qui auront certainement lieu, ne seront pas en mesure de masquer la crise. La lutte de pouvoir entre une aile, qui est à la recherche d'ouvertures contrôlées pour mettre en œuvre les plans impérialistes, et l'autre, qui a l'intention de maintenir la répression à travers un « Bonaparte » pour appliquer les mêmes plans, sera toujours maintenu sous la pression de la montée du mouvement de masse, qui n'est représenté par aucune des deux.