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Ligue Communiste des Travailleurs

Section belge de la Ligue Internationale des Travailleurs -
Quatrième Internationale (LIT-QI)

« L'émancipation des travailleurs sera l'œuvre des travailleurs eux-mêmes. » K. Marx

Newsletter

12 décembre 2014

A propos de la restauration des relations diplomatiques entre Cuba et les Etats-Unis

Ces derniers jours, l'annonce de la reprise des relations diplomatiques entre les Etats-Unis et Cuba a fait la Une dans la presse politique mondiale. Les présidents Barack Obama et Raul Castro se sont mis d'accord pour mettre fin à une rupture qui datait du début des années 1960. Raul Castro a également exigé la fin du blocus commercial et d'investissement, imposé par les Etats-Unis lors de cette rupture. Et Obama s'est engagé à demander l'abrogation de cette loi au Congrès.
   Le soutien à cette initiative est presque unanime partout dans le monde. Les principaux gouvernements impérialistes, dont l'Union européenne, la soutiennent. Lors de la réunion du Mercosur, par exemple, tous les gouvernements soi-disant plus à « gauche » – Dilma Rousseff (Brésil), José Mujica (Uruguay), Nicolas Maduro (Venezuela) et Cristina Kirchner (Argentine) –, comme ceux plus à droite – tels que celui de Juan Manuel Santos (Colombie) –, ont soutenu la mesure avec enthousiasme. Maduro a félicité Obama pour son « courage ». Cristina Kirchner a salué « la dignité du peuple cubain qui a su défendre ses idéaux, malgré des décennies d'embargo économique imposé par les Etats-Unis ». Dilma Rousseff a déclaré : « Nous, les militants sociaux, nous n'imaginions pas qu'un jour nous allions être témoins de ce moment. »
   Le rôle du pape François dans cet accord, un rôle reconnu par Obama et Castro, a été largement rapporté par la presse. Il ne s'agit pas d'une relation récente entre le gouvernement cubain et le Vatican. Le rapprochement a commencé avec Jean-Paul II, à partir de 1990, s'est approfondi avec Benoît XVI, et culmine avec François, le grand promoteur de cet accord.
    Il s'agit en fait de gouvernements bourgeois qui continuent à se déguiser en « militants sociaux » pour mettre en œuvre des plans économiques néolibéraux. Et cette convergence de points de vue presque totale s’étend à une grande partie de la gauche. De nombreux courants affirment que cela représente « un triomphe de Cuba », un pays qu'ils considèrent comme « le dernier bastion du socialisme » et qui aurait finalement réussi à « mettre à genou l'empire du Nord ». Le Parti ouvrier d' Argentine affirme que cette « victoire » est le résultat de décennies de lutte contre le blocus. Le « Nouveau MAS » de ce pays se félicite de l'accord, bien qu'en disant qu'il comporte « un piège ».
   Nous sommes en désaccord avec cette analyse. Pour nous, ce qui est arrivé ces jours-ci a une explication complètement différente : cela signifie essentiellement la prédominance, parmi les différents secteurs de l'impérialisme américain, de ceux qui ne veulent pas perdre les excellentes occasions de faire des affaires avec Cuba après la restauration du capitalisme dans l'île, au détriment des secteurs liés à la bourgeoisie cubaine anticastriste de Miami.
   Avant de justifier notre position, nous considérons qu'il est nécessaire de souligner que nous défendons le droit de Cuba, en tant qu'Etat souverain, de maintenir des relations diplomatiques et commerciales avec tous les pays du monde. Tout comme nous avons toujours défendu la fin de l'embargo commercial étasunien contre Cuba. Ce n'est pas de cela que nous discutons, mais du contenu réel de l'accord récent.

Les origines de la rupture et de l'embargo

En 1959, l'armée de guérilla du Mouvement 26 juillet, dirigée par Fidel Castro, renverse le président Fulgencio Batista et prend le pouvoir à Cuba. Ce mouvement avait un programme démocratique dans le cadre du système capitaliste, mais dans la mesure où il commença à mettre en œuvre des mesures contre la bourgeoisie cubaine (tels que la réforme agraire), ainsi que des mesures qui affectaient les entreprises étasuniennes, le gouvernement des Etats-Unis commença à avoir une politique plus agressive contre Cuba – d'abord sous le président Dwight D. Eisenhower, puis avec John F. Kennedy – et tenta de renverser le gouvernement de Fidel Castro. Parmi ses actions, on peut citer la tentative d'invasion de la baie des Cochons en avril 1961, qui a échoué.
   En réponse à ces attaques, le gouvernement de Castro commença un processus d'expropriation des entreprises impérialistes et de la bourgeoisie cubaine, qui a alors fui en masse à Miami.
   Cuba devint ainsi le premier Etat ouvrier en Amérique latine, au sein de la chasse gardée de l'impérialisme étasunien. Comme résultat de cela (et de la mise en œuvre de l'économie planifiée), Cuba cessa d'être une semi-colonie, et le peuple cubain obtint en outre des acquis très importants, tels que l'élimination de la faim et de la pauvreté et d'immenses progrès dans le domaine de la santé et de l'éducation. C'est à ce moment, en 1962, que le gouvernement étasunien rompit les relations diplomatiques avec Cuba et lui imposa un embargo commercial et d'investissement.
   Il y a lieu de préciser que la direction cubaine a construit un Etat bureaucratique, sans véritable démocratie pour les travailleurs et les masses, selon le modèle stalinien. Les travailleurs cubains n'ont jamais gouverné Cuba.
   En outre, la direction castriste œuvrait sous le critère du socialisme « dans un seul pays » proposé par le stalinisme depuis la seconde moitié des années 1920, contre la révolution socialiste internationale proposée par le marxisme depuis le 19e siècle. Ce modèle a fini par échouer et a conduit à la restauration du capitalisme en URSS, en Europe de l'Est, en Chine et à Cuba, comme l'avait prévu Léon Trotsky,
   Dans la structure économique de Cuba, les relations commerciales avec l'URSS commençaient à avoir une importance centrale. Ce pays lui fournissait du pétrole bon marché et de la technologie, et lui achetait sa production de sucre, une culture qui est restée l'axe de l'économie cubaine.
   En politique étrangère, une menace initiale d'étendre la révolution par le biais de la promotion du mouvement de guérilla a vite été suivie par un alignement sans réserve avec la politique étrangère de l'URSS, ce pour quoi Cuba a joué un rôle très négatif en freinant une possible avancée vers la construction de nouveaux Etats ouvriers, dans des processus similaires à celui de Cuba. Cela fut le cas au Nicaragua en 1979, après la prise du pouvoir par le FSLN, quand Fidel Castro, considéré par les sandinistes comme leur direction, conseilla à ces derniers à ne pas avancer vers la construction d'un « nouveau Cuba au Nicaragua ». Fidel a ainsi contribué à renforcer son isolement au sein des Amériques.

A Cuba aussi, la restauration capitaliste a eu lieu

La restauration du capitalisme et l'effondrement de l'URSS (à la fin des années 1980 et au début des années 1990) furent un coup dur pour l'économie cubaine ; la dénommée « période spéciale » a alors commencé, pleine de difficultés pour les masses. Et la direction castriste décida alors d'avancer vers la restauration du capitalisme dans le pays.
   La définition du caractère de classe actuel de l'Etat cubain a fait l'objet d'âpres controverses au sein de la gauche au cours des deux dernières décennies. Pour le courant castro-chaviste, Cuba est toujours « le dernier bastion du socialisme ». D'autres courants, dont un grand nombre issu du trotskysme, analysent qu'il y a un processus de restauration en cours – auquel ils s'opposent –, mais qu'il n'y a pas encore eu un « saut qualitatif » et que Cuba est donc toujours un « Etat ouvrier bureaucratisé ».
Pour la LIT et quelques rares autres courants, la restauration capitaliste a déjà eu lieu et a été menée par la direction même des frères Castro. Les principales étapes de la restauration étaient les suivants :
  • La loi sur les investissements étrangers de 1995 qui a créé les « entreprises mixtes », administrées par le capital étranger. Les investissements se sont faits surtout dans le tourisme et les branches annexes, mais se sont par la suite amplifiés à d’autres secteurs, les produits pharmaceutiques puis le pétrole.
  • Le monopole du commerce extérieur par l’Etat fut supprimé, alors qu’il était jusque-là dirigé par le Ministère du Commerce extérieur : tant les entreprises publiques que les entreprises mixtes peuvent négocier librement leurs exportations et importations.
  • Le dollar est devenu, de fait, la monnaie effective de Cuba, qui coexiste avec deux monnaies nationales, une « convertible » en dollars et une autre « non convertible ».
  • La production et la commercialisation de la canne à sucre ont été privatisées de fait, via les « unités de base de production coopérative » (80 % de la superficie cultivée). Leurs membres n’ont pas la propriété juridique de la terre, mais se répartissent les bénéfices obtenus. En 1994, les « marchés agricoles libres », où les prix sont déterminés par le marché, ont commencé à fonctionner.
   A partir de ces mesures, l’économie cubaine a cessé de fonctionner selon la planification économique de l’Etat et elle en est venue à fonctionner, bien que de façon détournée, selon les lois des bénéfices et du marché.
   Cuba a cessé d’être un Etat ouvrier et est devenu un pays capitaliste en rapide processus de semi-colonisation. De nombreuses entreprises étrangères fonctionnent dans le pays, surtout espagnoles, italiennes et canadiennes, et elles contrôlent des secteurs très importants de l’économie.
   Dans ce cadre, les dirigeants castristes sont devenus des partenaires des capitaux étrangers, leur garantissant leurs négoces et s’enrichissant en même temps, avec eux, via les entreprises de l’Etat et via leur participation dans les entreprises mixtes.

La récente Loi sur les investissements étrangers le confirme

L’approbation par l’Assemblée nationale de Cuba, cette année, d’une législation qui ouvre la voie à l’entrée de capitaux étrangers et leur donne d’énormes facilités fiscales et des garanties légales, confirme cette caractérisation.
   La loi présentée par le gouvernement de Raul Castro ouvre tous les secteurs de l’économie à l’investissement étranger, sauf la santé, l’éducation et la presse. Parmi les avantages offerts par cette nouvelle législation, on peut citer :
  • Les entreprises étrangères ne doivent pas payer d’impôt sur les bénéfices pendant 8 ans. Puis, elles commenceront à payer une taxe de 15 %, mais elles seront exemptes de ce payement si elles réinvestissent leurs bénéfices dans l’Ile.
  • La loi garantit « la pleine protection et sécurité à l’investisseur, qui ne pourra pas être exproprié, sauf pour motifs d’utilité publique ou d’intérêt social ». Dans ce dernier cas, il sera indemnisé.
   Il s’agit donc clairement d’une législation qui ne peut exister que dans un cadre capitaliste. Qui plus est, le gouvernement de Raul Castro est en train d’ouvrir une énorme « zone franche » dans le port de Mariel. Ce port, financé par le gouvernement brésilien, est super-moderne et peut abriter des navires de grand coffrage. Il a coûté un milliard de dollars et fait partie du défi cubain d'être un partenaire dans le transport maritime entre l'Asie et les Etats-Unis.
   Il y a en même temps, comme une autre facette de ce plan, un processus de détérioration de plus en plus important des acquis de la révolution dans des domaines clés tels que la santé, l’éducation et la garantie de l’emploi, avec l'abolition du livret de produits de première nécessité et le licenciement de centaines de milliers de fonctionnaires publics, condamnés à survivre comme « indépendants ». Entre-temps, les travailleurs gagnent en moyenne un salaire mensuel de 18 dollars.

Un débat au sein de la bourgeoisie impérialiste

Depuis la restauration du capitalisme à Cuba, un débat est toujours en cours au sein de la bourgeoisie impérialiste des Etats-Unis. D’une part, il y a la bourgeoisie « gusana » anticastriste résidente à Miami, lié au parti républicain avec un poids considérable, qui prétend maintenir l’isolement de l’Ile jusqu’à la chute du régime castriste et veut la garantie de la récupération de ses propriétés, expropriées lors de la révolution.
   D’autre part, divers secteurs, surtout liés aux démocrates, mais avec aussi une certaine représentation parmi les républicains, voient leur échapper d’excellentes possibilités de négoces avec un pays géographiquement si proche, dans des secteurs comme le tourisme, les finances, la production agraire, la vente de produits industriels, etc.
   Ils voient aussi à quel point ces opportunités sont mises à profit par des pays européens (spécialement l’Espagne). De fait, certains enfreignaient déjà la législation en vigueur aux Etats-Unis (l'embargo) et faisaient des affaires camouflées sous le couvert d’entreprises canadiennes.
Ce débat a aujourd’hui une issue et les portes s’ouvrent pour une libéralisation des investissements et du commerce. Il est même possible qu’Obama ait fait un accord avec des secteurs de poids de cette bourgeoisie anticastriste.
   Obama lui-même s’est engagé à présenter au Congrès la demande de dérogation à la loi sur l'embargo. Et pour preuve qu’il peut compter sur l’appui d’une aile de l’opposition, Marco Rubio, sénateur républicain pour la Floride, d’origine cubaine, a expliqué que l’accord inclut la normalisation des relations bancaires et commerciales entre les deux pays.
   L’insistance de Raul Castro d'en finir avec l'embargo ne signifie pas un « triomphe de Cuba socialiste », mais au contraire, la recherche d’une vague d’investissements impérialistes des Etats-Unis, lesquels approfondiront encore plus le processus de semi-colonisation dans le pays depuis que le capitalisme fut restauré. Les mesures annoncées maintenant font également partie d’une intégration coloniale de Cuba à la « globalisation ».
   Les courants de gauche qui saluent ces mesures comme « une victoire » contribuent, de fait, au déguisement d'une politique qui aura de sévères conséquences pour le peuple cubain. La LIT-QI ne se joint pas à cette chorale : nous pensons que, malheureusement, ce ne sont pas les décennies de lutte du peuple cubain qui ont pu en finir avec cet embargo, mais bien la restauration du capitalisme à Cuba. Cet accord profite à l’impérialisme et à la nouvelle bourgeoisie cubaine qui s’est formée à partir du gouvernement castriste.
   Dans le cadre de cette réalité, pour la LIT-QI, l’enjeu à Cuba est la nécessité d’une nouvelle révolution sociale pour reconstruire l’Etat ouvrier cubain et ses conquêtes et changer le régime castriste en un régime basé sur une large démocratie ouvrière.
   Nous appelons les travailleurs et le peuple cubain à ne pas se laisser impressionner par ce nouvel accord et à résister à l’actuelle route prise par les Castro, une route de dépendance croissante, et à refuser la soumission de Cuba aux Etats-Unis. Nous appelons les travailleurs du monde entier à défendre leurs frères cubains, qui gagnent des salaires de misère et voient leurs emplois menacés par les plans de l’impérialisme et du gouvernement cubain.
   Nous appelons tous les travailleurs et la jeunesse à lutter contre la dictature cubaine qui donne toute liberté à la bourgeoisie internationale dans l’Ile, mais n’admet pas le droit d’expression, d’organisation et de protestation pour les travailleurs, ni des élections libres, la liberté syndicale ou la liberté de constituer des partis.

Secrétariat International de la LIT-QI
São Paulo, 19/12/2014