L'isolement de la Révolution syrienne,
et ses responsables.
Deux ans après le début de la révolution en Syrie, celle-ci est toujours isolée, sans trouver chez les travailleurs et les peuples du monde entier le soutien dont elle a besoin. Il n'y a pas que l'impérialisme et ses porte-parole qui ont collaboré à cet isolement, mais aussi – ce qui est pire – de nombreuses personnes et organisations qui se disent de gauche.
Pour les gouvernements des Etats-Unis et de l'Europe, la priorité a toujours été de faire tout le possible pour maintenir la stabilité de la région afin de sauvegarder leur allié, Israël. Le régime du parti Baath, qui gouverne le pays depuis 1963 sous l'état d'urgence, n'a jamais cherché à récupérer le plateau du Golan, occupé par Israël depuis la guerre de 1973. C'est à partir de cette guerre que l'Egypte a commencé à être un allié loyal des Etats-Unis et que la Syrie est devenue, après l'Egypte, le garant secondaire des frontières et de l'existence d'Israël. Hafez al-Assad a gouverné la Syrie depuis le coup d'Etat de 1970 jusqu'à sa mort en 2000, et son « héritier » fut alors son fils, le bourreau actuel, Bachar al-Assad. Ce président d'un régime dictatorial a maintenu l'état d'urgence et les structures politiques héritées de son père. D'une part, Bachar lui-même exerce un contrôle militaire serré du pays en tant que Commandant en chef, ayant son frère – décédé, avec d'autres membres du sommet militaire, lors d'un attentat – comme ministre de la Défense. D'autre part, le régime politique assure un contrôle total des institutions, y compris par la collaboration de plusieurs partis soi-disant communistes et socialistes, qui ont accepté d'être des partenaires à vie du parti Baath et de siéger dans un gouvernement et un « parlement » toujours dirigés par les personnages nommés par la dictature.
La Syrie est un pays capitaliste
C'est ce que nous explique Yassin Swehat : « La tyrannie de Hafez al-Assad a imposé en Syrie une structure d'Etat sclérosée et corrompue, où l'emploi public était l'instrument pour accomplir les tâches sociales de l'Etat grandement mises à mal par la corruption et la mauvaise gestion. L'ère de Bachar al-Assad était clairement le moment où les enfants ramassent ce que les parents avaient semé. Des dizaines d'enfants de hauts gradés sont ainsi apparus pour jouer au grand jour le rôle de ''jeunes entrepreneurs'' se remplissant les poches, et l'Etat devenait tout simplement le législateur de monopoles de fait qui se répartissaient le butin. Le cas le plus flagrant est celui de Rami Makhlouf, un cousin de l'actuel président et fils d'un officier très gâté par la famille présidentielle en son temps. Makhlouf s'est vanté à plusieurs reprises de contrôler, directement ou indirectement, 60 % de l'économie nationale. Tout cela dans un Etat qui se définissait toujours cyniquement comme ''socialiste''.Cette ouverture économique – où proliféraient les privatisations déguisées, faites à mesure pour les clans du régime – ne se limitait pas à l'effort de mettre fin à la fonction sociale de l'Etat, déjà fort dégradée, moyennant la suppression des subventions pour les produits de base ou la fermeture accélérée de l'accès à emploi public. Elle appauvrissait encore plus la population, et le taux de chômage (surtout chez les jeunes) ainsi que le nombre de personnes sous le seuil de pauvreté montaient en flèche de plus en plus chaque année. Les bidonvilles en Syrie ont augmenté de 220 % en seulement une décennie, au point que plus de la moitié des Syriens vivent dans des quartiers ''illégaux'', dans les ceintures de misère des grandes villes. »[1]
Le gouvernement de Bachar a appliqué toutes les prescriptions du FMI et il était en train de faire des progrès concernant un Accord d'association avec l'UE. Il a également reçu un financement de la Banque mondiale – à travers sa branche privée, l'IFC, pour les projets de concours en matière d'énergie – et de la Banque européenne d'investissement. « L'Union européenne intervient dans le cadre des dénommés ''Documents de stratégie pays 2007-2013'' et d'un Programme indicatif 2007-2010, pour lequel 130 millions d'euros ont été alloués avec trois objectifs : soutien à la réforme politique et administrative, soutien aux réformes économiques et soutien à la réforme sociale. Les opérations de la Banque européenne d'investissement, bloquées depuis 1992, ont été libérées en décembre 2000, quand la Syrie et l'Allemagne sont parvenues à un accord sur la dette bilatérale de l'ancienne RDA. Depuis lors, la BEI a commencé à financer des projets d'infrastructure en Syrie. En 2009, l'Union européenne fut le principal partenaire commercial de la République arabe syrienne, payant une facture de 4,2 milliards de dollars et fournissant des biens d'une valeur 3,2 milliards. »[2]
Notons également que les syndicats sont contrôlés par le parti du régime et qu'il n'y a pas de droit de grève.
L'impérialisme et les soutiens au régime de Bachar
Dans ces circonstances, il est normal que l'impérialisme n'eût aucun intérêt à soutenir un processus révolutionnaire dans le pays, car le régime lui-même était la meilleure garantie pour ses intérêts. Aux yeux des Etats-Unis, la Syrie était toujours un pays qui soutenait le « terrorisme », à cause de ses relations avec l'Iran et le Hezbollah, mais nous avons vu que cela n'a pas empêché le FMI, la Banque mondiale et l'Union européenne de négocier avec ce pays.La Syrie a également trouvé d'autres alliés, la Russie et la Chine, des pays qui depuis des décennies sont des pays capitalistes où foisonnent les millionnaires. Ces pays, ainsi que l'Iran, lui fournissent des armes, alors que les révolutionnaires sont soumis à l'embargo sur les armes.
La « gauche » qui soutient des dictatures et les doutes qu'elle sème.
Un autre problème est le rôle néfaste d'une grande partie de la gauche, qui soutient le régime dictatorial de Bachar. Beaucoup se sont rangés du côté des messages de Fidel Castro et de Chavez du Venezuela, maintenant décédé. Les deux se sont déclarés amis de Bachar et de son régime. Ils l'ont appelé humaniste et même socialiste. Le gouvernement vénézuélien envoie du pétrole raffiné comme carburant de l'aviation pour bombarder la population syrienne. L'excuse qu'ils donnent est que Bachar a fait des déclarations contre l'Etat d'Israël, qu'il se déclare anti-impérialiste et qu'il accuse la révolution d'être un complot impérialiste pour le renverser. Le soutien fourni par le Qatar et l'Arabie saoudite à leurs disciples en Syrie serait la preuve de cela. L'entrée massive des milices du Hezbollah en faveur du régime syrien serait aussi une preuve que Bachar est antisioniste.D'autres soutiennent que Bachar est bien un dictateur, mais que nous ne savons pas ce qui peut arriver si les rebelles gagnent. Ils disent qu'un régime pire, un régime islamiste radical, une dictature religieuse pourrait s'installer. Cet argument est soulevé par le régime de Bachar lui-même, qui veut faire croire qu'il s'agit d'une conspiration internationale de l'impérialisme ou qu'il s'agit en outre d'une guerre civile de factions religieuses qui veulent mettre fin à l'état laïc.
Bachar : Laïque, démocratique et propalestinien ?
En fait, le régime syrien n'est pas précisément un Etat laïque, où la religion que l'on professe, ou non, n'a pas d'importance. Les chefs religieux jouent un grand rôle dans le régime syrien. Le régime a également fomenté la division et s'est appuyé sur une des factions musulmanes, les Alaouites (10 % de la population), pour contrôler l'armée et les institutions de l'Etat. Le mariage civil est interdit, ce qui fait que ne peuvent se marier entre eux que ceux qui viennent de la même religion. Les Kurdes syriens ont été massacrés et discriminés pendant des décennies, et ce n'est qu'après le début de la révolution qu'on leur a accordé la citoyenneté afin d'essayer de neutraliser ce secteur. Le fait que Bashar obtient le soutien du Hezbollah, la milice chiite libanaise, et de la dictature des ayatollahs d'Iran, ne pose-t-il pas des questions pour ceux qui parlent de la laïcité du régime syrien ?Les Palestiniens en Syrie (provenant des réfugiés de l'an 1948) n'ont pas non plus été ménagés par Bachar. Tous ses discours en faveur de la Palestine ont définitivement disparu dans les poubelles de l'histoire quand il a commencé les bombardements sur le camp de Yarmouk, où vivent plus de 150 000 personnes, Palestiniens et Syriens. Les Palestiniens en Syrie font partie de la révolution parce que l'ensemble de la population syrienne subit la même misère et le même manque de libertés.
Un processus révolutionnaire en cours
Il y a ceux qui ne soutiennent pas la révolution syrienne parce qu'on ne sait pas bien qui la dirige, parce qu'il y a des secteurs « pro-occidentaux » dans les rangs de l'opposition ou parce qu'il y a les milices d'Al-Nashra, liées à Al-Qaïda.La bourgeoisie intervient au milieu de ce processus révolutionnaire, comme c'est le cas dans tous les processus antérieurs dans le monde. Elle tente d'apporter de l'eau à son moulin et elle change de tactique quand elle se rend compte que celle utilisée ne fonctionne pas. Ce qui est honteux, c'est que dans la gauche, il y en a qui lui emboîtent le pas et facilitent ainsi le travail de l'impérialisme et du régime syrien.
Les révolutions suivent leur chemin et ne s'alignent pas sur tel ou tel modèle. Il faut les observer objectivement, comme elles se développent. Les masses syriennes se sont soulevées d'abord pacifiquement, mais face à la répression et les assassinats, elles ont pris les armes pour se défendre et mettre fin au régime. Le peuple syrien n'a pas pu se construire une direction révolutionnaire au goût d'un tel ou d'un tel autre. Il doit avancer dans la construction de cette direction au milieu des bombardements du gouvernement et dans un scénario où il y a beaucoup d'intérêts en jeu. Et au milieu de tout cela, il est en train de construire ses propres organismes de pouvoir : les comités locaux, son Armée syrienne libre, ses organisations d'Etudiants libres, etc., avec toutes leurs faiblesses et leurs forces. Il s'agit d'un processus vivant qui doit être connu et soutenu par tous les travailleurs et tous les peuples du monde.
Cet article, écrit par Solidaridad Global,
a été publié le 15 juin 2013 par Corriente Roja, la section espagnole de la LIT-QI