En février dernier, une cinquantaine d’organisations sociales et politiques ont répondu à l’appel du Comité pour l’Annulation de la dette du Tiers Monde (CADTM) et ont lancé ensemble un collectif pour un audit citoyen de la dette publique en Belgique. La LCT adhère à cette initiative. Voyons pourquoi.
On entend partout dans les médias dire que « nous » nous sommes endettés parce que « nous » avons vécu au-dessus de nos moyens, que « nous » devons « tous » nous serrer la ceinture, que les frais de la sécurité sociale deviendront impayables et qu’il nous faut donc accepter les plans d’austérité des gouvernements de l’Union européenne, en premier lieu pour pouvoir « payer la dette », avant qu'elle nous fasse sombrer dans « la crise » comme la Grèce, le Portugal, l'Espagne et d'autres pays de l'Europe. Qu’en est-il vraiment ?
D’où vient la crise de la dette publique ?
Les grandes entreprises continuent à produire des marchandises que les gens ne peuvent plus acheter faute de revenu décent. Aux Etats-Unis, elles ont par exemple continué de construire des maisons vendues avec des prêts hypothécaires organisés par les grandes banques. En Espagne, de même. Mais il arrive un moment où de plus en plus de gens ne peuvent plus payer leur prêt. C'est « la crise », de surproduction. Et en 2008, tout cela a finalement éclaté, provoquant un séisme sur les marchés financiers. La bulle spéculative a explosé et des milliards de dollars et d'euros se sont envolés en fumée. Des usines ont fermé et le chômage a atteint des records.
Et alors... ? Il fallait à tout prix « sauver les banques », sauver cette machine infernale du capitalisme qui s'était enrayée. Les gouvernements ont décidé, depuis lors, de prendre en charge cette dette des banques, une dette à payer « solidairement par tous, pour sortir de la crise ». La dette privée des banques devient dette publique. Ceux qui se sont enrichis avec cette spéculation de casino, qui ont amassé du fric avec une production effrénée réalisée par nous, les travailleurs, sans se soucier de nos vrais besoins, en nous exploitant au maximum, mettent en place toutes sortes de mécanismes financiers pour « se sauver ». Ainsi, les Etats vont émettre des obligations, avec une garantie de payement des intérêts – la « dette » – que ces mêmes banques vont acheter avec de l'argent emprunté à la Banque centrale européenne à des taux d'intérêt trois fois inférieurs, et le tour est joué.
Il ne reste plus qu'à convaincre les citoyens que cette « dette », il faut tous la payer, avec des mesures d'austérité « regrettables », bien sûr, mais « nécessaires » pour « sauver le pays ». En fait, il s’agit de sauver les bénéfices des grands capitalistes, et en dernière instance, de sauver le système capitaliste lui-même. C’est un moyen pour transférer la richesse produite par les travailleurs vers une petite minorité qui, encore aujourd'hui, ne souffre pas de la crise. En Belgique, 1 % de la population, la plus riche, détient autant que les 60 % les plus pauvres.
En Belgique, que sepasse-t-il avec la dette publique ?
Après des années de politiques néolibérales et d’assainissement des finances publiques, la dette publique avait fortement baissé, mais elle est brutalement remontée à partir de 2007, de 84 % à 100% du PIB (voir encadré 1). L’augmentation récente de la dette est due principalement à trois facteurs :
a) le sauvetage des banques (Fortis, KBC, Ethias et DEXIA) par l’Etat (26 milliards d'euros) ;
b) des politiques fiscales injustes (très peu de taxes et d’impôts aux entreprises et aux grosses fortunes, et de nombreux cadeaux fiscaux, intérêts notionnels et autres, qui représentent 20 milliards d'euros de manque à gagner pour l’Etat chaque année (CADTM, chiffres de 2010) ;
c) la crise économique (diminutions des recettes et augmentations des frais publics, dont les intérêts de la dette).
Du jour au lendemain, l’Etat a accepté de prendre en charge les dettes de ces banques privées. En un weekend, le gouvernement en affaires courantes a débloqué 4 milliards pour Dexia ! Et cela s’est fait sans questionnement ni conditions aux banques et à leurs pratiques douteuses... et sur le dos de la population, qui n’a pas été consultée. Cependant, les responsables de la crise demeurent impunis et en sortent même renforcés.
La dette, prétextepour les plans d’austérité
Pour contrer la crise de la dette, les gouvernements lancent des plans d’austérité pour réduire les budgets sociaux et les services publics, contre les populations déjà précarisées par la crise. Ils le font grâce au diktat des institutions européennes, toujours promptes à renforcer les mécanismes de l’Europe du Capital au bénéfice des transnationales et des marchés financiers. Ce processus renvoie toute l’économie dans une récession généralisée. La dette, c’est un choix politique. Sous fond de crise économique, elle sert de prétexte à l’installation des plans d’austérité pour en finir avec les droits conquis par les travailleurs et la population à travers le modèle d’Etat-providence : des droits acquis de haute lutte après la Deuxième Guerre mondiale. Depuis la création de l’Union européenne, ces droits furent peu à peu rabotés, diminués.
Nous dénonçons les conséquences catastrophiques de cette politique, en particulier pour les secteurs plus précaires : les femmes et les jeunes, qui doivent assumer davantage le soin aux personnes âgées ou dépendantes, vu le recul des services sociaux, et qui restent les premières victimes du chômage. La réforme des allocations de chômage va exclure 27.000 personnes à partir du 1er janvier 2015, pour une économie budgétaire de 51 millions d'euros...
La spirale de la dette
Pour faire face à l’augmentation de la dette publique, l’Etat a décidé de faire plus d’emprunts et a donc plus d’intérêts à payer. Ceci entraîne encore plus d’emprunts pour payer le service de la dette (intérêts et capital), parfois à ces mêmes banques qui ont été sauvées. Quand le pays fragilisé ploie sous le poids de la dette, les intérêts deviennent encore plus élevés, et les nouveaux créanciers (UE, FMI) conditionnent les crédits à des plans de privatisations et de restructurations des finances publiques (plans d’austérité). L’endettement se transforme donc en une spirale vers le bas, pour les économies plus faibles, au bénéfice du grand capital qui s’enrichit sur le dos des populations locales. Il faut donc stopper ce système, et pour cela, collectivement refuser le paiement de la dette et des intérêts.
Les propositions
Il est faux de dire que la sécurité sociale et le chômage ont provoqué l’augmentation catastrophique de la dette publique, vu que le coût des dépenses publiques est resté stable depuis 30 ans (43% du PIB). Ce n’est pas de la responsabilité de la classe travailleuse et de la population pauvre. La dette n’a pas servi à l’ensemble de la collectivité ni à améliorer nos conditions de vie. Par conséquent, nous n’avons pas à la payer ! C’est la dette des banques et des financiers, c’est à eux de se responsabiliser !
Le CADTM propose de réaliser un audit de la dette publique, c'est-à-dire « une enquête approfondie, transparente et démocratique, pour faire la lumière sur l’endettement de la Belgique et distinguer la part que la population doit réellement rembourser ». Leur objectif est de voir quelle est la part légitime et illégitime de la dette, quelle part correspond aux sauvetages des banques et autres avantages fiscaux offerts aux gros capitaux… Pour nous, il ne s’agit ni d’une discussion intellectuelle basée sur l’analyse des documents européens ou juridiques, ni d’une discussion d’experts et de comptables qui vont calculer ce qui conviendrait ou pas de payer. Il ne s’agit pas d’un problème moral (« il faut payer ses dettes !»), mais bien d’un problème de classe : qui est responsable de la dette, qui a profité de la dette, qui s’est enrichi grâce à la dette ? C’est la classe au pouvoir, la bourgeoisie et le grand capital ! On ne peut faire peser le poids de la dette sur l’ensemble de la population qui, elle, n’en a pas profité, mais en subi tous les jours les conséquences.
Par ailleurs, il est clair que le service de la dette (intérêts + refinancement), cette gigantesque machine à redistribuer à l’envers (des pauvres vers les riches), n’est pas tenable. La dette ne sera pas diminuée sans une solution politique. Pour nous, cette solution est de refuser de payer la dette publique, socialement injuste et illégitime. De manière immédiate, il faut suspendre tout paiement de la dette, pour répondre aux besoins les plus urgents de la population. Si l’Etat arrêtait de payer la dette et les intérêts (annuellement de 40 à 45 milliards d’euros), il pourrait dégager de l’argent à court terme pour répondre à l'urgence sociale : augmenter les pensions, avoir des fonds pour la sécurité sociale, une politique d’emplois qui permettent de stopper le chômage, reconstruire une société de chemins de fer unique, développer une sidérurgie intégrée 100 % publique, etc.
Pas de recyclage des dettes des pays du Sud !
Comme le mentionne l’appel du CADTM, il s'agira de ne pas oublier les créances de la Belgique vis-à-vis des pays du Sud et d’obtenir l’application du point de l'accord gouvernemental de 2011 qui stipule : « concernant les créances à l’égard de pays du Sud, le Gouvernement réalisera l’audit des dettes et annulera en priorité les dettes contractées au détriment des populations ». Mais il faut aller plus loin : comme pays créancier, la Belgique doit annuler unilatéralement les dettes extérieures des pays du Sud et ne pas les renégocier sous le couvert trompeur de programmes de « conversion de dettes » ou autres.