Novembre 2013
On ne cesse de nous répéter que l'économie belge va mal, voire, est en danger, parce que nos salaires seraient trop élevés. Il faudrait donc une « modération salariale ». Mais l'économie de qui ? Des patrons ? Ce n'est pas à nous de payer pour la crise, quoi qu'en disent le gouvernement et les partis au parlement.
Une loi contre les travailleurs
Comme résultat de la grande grève insurrectionnelle de l'hiver 1960/61, les travailleurs avaient obtenu la négociation interprofessionnelle des salaires et des conditions de travail. Tous les deux ans, un Accord interprofessionnel (AIP) était négocié entre organisations patronales et syndicales pour le secteur privé. Même si cette négociation n'était pas toujours appuyée suffisamment avec la force de la mobilisation, de la part de nos directions syndicales, c'était un droit acquis, que les patrons et le gouvernement vont essayer par la suite de museler.
Déjà la Loi du 26 juillet 1996 « relative à la promotion de l'emploi et à la sauvegarde préventive de la compétitivité » a limité « la marge maximale pour l'évolution du coût salarial », lors des discussions de l'AIP, à l'évolution de ce coût salarial attendue dans les pays voisins, l'Allemagne, la France et les Pays-Bas. En 2008, on durcit le ton, la limitation devenant obligatoire, et non plus une « marge de référence », même si, en réalité, aucune sanction n'est encore prévue explicitement. Et le 22 mars 2013 la ministre De Coninck (SP.a) présente un projet de loi, remanié le 13 mai, pour raboter encore notre acquis des AIP. On y trouve essentiellement trois nouveautés :[1]
Il s'agit de rattraper le retard par rapport aux pays voisins, non seulement depuis les deux dernières années, mais depuis 1996.
Des « mécanismes de correction » sont introduits qui rabaissent automatiquement nos salaires l'année suivante, s'ils sont plus élevés que ceux de nos voisins. Toute négociation devient donc de fait impossible. Le gouvernement décide. C'est le blocage des salaires, par loi.
Des pénalisations sont introduites explicitement, y compris pour chaque patron individuellement, de 600 à 6000 € par travailleur, ainsi que des cadeaux pour les patrons qui observent bien la norme, 600 millions étant réservés déjà pour la première année.
Et finalement, dans cette logique, le gouvernement a, de toute façon, déjà décidé par arrêté royal du 28 avril 2013, que la marge salariale se réduit à 0% pour les années 2013-2014, dans chaque entreprise. La décision du blocage des salaires est prise. Reste à trouver la façon de l'imposer aux travailleurs en maintenant une apparence de « ne pas toucher à l'index ».
Diviser les travailleurs
Pour appliquer ces nouvelles mesures d'austérité, le gouvernement et les patrons doivent tout mettre en œuvre pour briser notre résistance. Et le moyen essentiel pour cela consiste à diviser le monde du travail pour mieux régner, face à cette politique unitaire bien orchestrée d'une oligarchie financière européenne qui applique partout les mêmes recettes.
Les patrons et le gouvernement veulent détricoter graduellement tout l'acquit de la concertation sociale. Pour les prochaines « négociations » de l'accord interprofessionnel, il n'y aurait plus rien à « négocier ». Le gouvernement imposerait le salaire voulu par les patrons, sous peine d'amende. Les travailleurs d'une branche, ou même d'une seule usine, ne pourraient plus prétendre négocier collectivement leur salaire face au patron. Ce qui donnerait à la bureaucratie syndicale un argument de plus pour ne pas organiser une mobilisation collective. On en revient à mettre chaque travailleur individuellement face à son patron. C'est un retour en arrière au-delà de la Loi Chapelier de 1791, qui interdisait aux travailleurs de s'organiser pour négocier leur salaire avec les patrons, une loi que la lutte avait abolie en 1884.
Le dessous des cartes.
Pour justifier cette politique d'austérité salariale, le gouvernement avance des chiffres concernant l'écart salarial qu'on aurait accumulé au fil des années, depuis 1996, par rapport au salaire moyen des pays voisins. Mais la polémique sur les chiffres n'est pas le fond de la question. Nous regrettons que la direction des syndicats ne remette même pas en question le principe lui-même de blocage des salaires. Dans notre société capitaliste, où le but même de toute l'activité économique n'est pas le bien-être de la grande majorité, mais le bénéfice d'une minorité de plus en plus réduite, le salaire est l'enjeu même de la lutte de classes : quelle partie de la richesse (produite par les travailleurs), le capitaliste doit-il céder à ces travailleurs, et quelle partie parvient-il à s'approprier ? Tout le monde est d'accord que la « productivité » du travailleur belge – la quantité de richesse produite par heure de travail – est excellente, et ne cesse d'augmenter. Mais dans notre système capitaliste, c'est toujours le patron, le propriétaire des outils de travail, qui doit en profiter. Pourquoi pas nous, les travailleurs ? C'est notre salaire qui devrait augmenter au fur et à mesure que nous produisons davantage dans une journée de travail.
Ce qu'il nous faut, c'est « la constitution d'une société sans classes et la disparition du salariat [...] une transformation totale de la société », comme dit la Déclaration de principes de la FGTB, de 1945.
Comment sortir de cette logique d'exploitation ?
D'aucuns soulèvent qu'il s'agit essentiellement d'améliorer un peu la distribution des richesses produites, de compenser un peu les inégalités, par exemple, par une « taxe des millionnaires »[2]. Nous sommes, bien sûr, d'accord de taxer davantage les plus riches. Mais est-ce que cela suffit pour créer de l'emploi, pour améliorer nos conditions de travail et de vie ? Pour nous, la création d'emplois passe par la réduction du temps de travail sans perte de salaire, et la redistribution de l'emploi disponible entre tous. Elle passe par l'amélioration des prestations dans les écoles, les hôpitaux, les CPAS, et la mise en oeuvre de travaux publics tellement nécessaires, en puisant dans les immenses ressources disponibles quand on cesse de payer les cadeaux patronaux et surtout la dette frauduleuse aux banques. Et elle passe aussi par ne plus laisser cet enjeu aux mains des Lakshmi Mittal et autres riches, comme disent les métallos de Liège en exigeant la nationalisation de leur outil – sous contrôle ouvrier, ajoutons-nous.
En dernière instance, comme dit la Déclaration de principes de la FGTB, de 1945, il s'agit de « la lutte des classes [...] de l'ensemble des producteurs [les travailleurs] contre une oligarchie bancaire et monopoliste, devenue maîtresse souveraine de tout l'appareil de production ». Et en 2012, la FGTB de Charleroi insiste : « A un monde patronal qui encaisse bon an mal an 15 milliards d'aide publique et ne nous restitue aucun emploi, [...] nous opposons un message clair et fort : débarrassez le plancher ! »[3]
Comment y arriver ?
Le « groupe des dix » – où siègent nos « représentants syndicaux » avec les patrons, sous la présidence de ces derniers – discute en cachette comment appliquer ces mesures d'austérité, sans mettre en question le blocage même des salaires. Le sommet syndical va « exercer la pression maximale »... en déposant une plainte auprès de l'OIT, qui aura l'effet « d'être publié ».[4] Ce n'est pas cela qui va faire changer d'avis les patrons.
Il y a des luttes, un peu partout, mais dispersées. Le 26 septembre, une mobilisation contre le gel des salaires, à l'initiative des Comités Action contre l'austérité en Europe, qui ont eu le soutien de la CNE, la CGSP-ALR et la CSC Bruxelles-Halle-Vilvorde, a rassemblé 200 personnes, où se mêlaient les couleurs rouge et vert. C'est une très bonne initiative, mais les organisations syndicales participantes elles-mêmes se sont « excusé du peu »[5]. Pour le moment, le gouvernement hésite et le projet de révision de la loi de 1996, qui prétend garantir le blocage salarial bien au delà de 2014 – dans la pratique, indéfiniment – a été évacué dans un « groupe de travail ». Mais il n'y a pas lieu de baisser la garde. L'objectif immédiat doit être que la nouvelle loi ne passe pas.
Nous devons exiger des syndicats d'organiser la lutte sur les lieux de travail, par la mobilisation, pour construire un réel rapport de forces dans cette lutte de classes, contre le gel des salaires et contre la mise hors jeu des AIP.
Et nous devons lutter pour que ce soient les travailleurs mêmes, à la base, dans les lieux de travail, qui ont le dernier mot, moyennant la démocratie ouvrière, celle de notre classe. C'est une nécessité pour pouvoir défendre, maintenant, l'essentiel même de nos intérêts : le salaire. C'est une nécessité pour que la crise soit payée par ceux qui en sont responsable, les capitalistes. Et c'est une nécessité pour avancer vers « la constitution d'une société sans classes ».
NON à la révision de la loi de 1996 ! NON au gel des salaires !
Augmentation des salaires selon l'augmentation du coût de la vie !
NON au payement de la dette frauduleuse :
que les capitalistes payent pour la crise, pas les travailleurs !
Réduction du temps de travail sans perte de salaire,
et distribution du travail disponible entre tous !
Pour des AIP libres sans contraintes, et soutenus par la mobilisation.
Vive l'organisation de notre classe,
où la base a le dernier mot, grâce à la démocratie ouvrière,
pour unifier la mobilisation contre le capital et son gouvernement.
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NOTES:
[1] - Voir une note du Service d'étude du PTB, du 28 mai 2013
[2] - Dans le livre Comment osent-ils de Peter Mertens, du PTB, dans le Préface de Dimitri Verhulst, on peut lire : « Je n'ai rien contre les multimilionnaires : j'aimerais moi-même en être un. Mais [...] le fait que les super-nantis ne souhaitent pas contribuer financièrement en proportion de leur fortune [...] est tout bonnement – je pèse mes mots – crapuleux ! » (p. 10). Et Peter Mertens lui-même confirme : « La fiscalité équitable est un des core business de notre parti. » (p.24)
[3] - Discours du premier mai 2012.
[4] - Site de la CSC, 23.9.2013, et Marc Leemans dans Le Soir, 14.09.2013
[5] - Compte rendu dans l'AG des CAE du 9.10.2013