A l'automne, le groupe Louis Delhaize (concurrent de Delhaize avec l'emblème du Lion) a annoncé un plan social d’ampleur, avec la décision de se débarrasser de l’ensemble de ses magasins Match et Smatch en Belgique. Cela fait suite à l'annonce par Delhaize de sa volonté de franchiser nombre de ses magasins en ce début d’année, qui a provoqué une résistance acharnée des travailleurs du groupe. Le groupe Intermarché également, depuis 2022 propriétaire de Mestdagh (qui avait déjà sous franchise Carrefour Market et Carrefour Express en Wallonie et à Bruxelles) avait franchisé beaucoup de ses points de vente.
Les travailleurs de Delhaize, ceux qui produisent sa richesse, se sont mobilisés pendant des mois, de manière héroïque, bloquant les magasins, les dépôts, faisant face aux huissiers et à la justice. Un plan de lutte des directions syndicales à la hauteur de l'enjeu aurait alors pu facilement étendre leur colère à d'autres secteurs.
Le refus obstiné de Delhaize de dialoguer avec les travailleurs a remis sur le devant de la scène sociale et politique un secteur en plein changement, dans ce qui restait encore un bastion privilégié dans le paysage de la grande distribution. Ses dirigeants se sont assis sur les promesses du dernier plan social. Et leur cynisme a sans doute aidé au rejet massif de leur projet.
Une coordination nationale des piquets, des manifestations massives, des tractages, une extension de la lutte au reste du secteur de la distribution auraient pu renforcer le mouvement. Mais faute de cela, la lutte a fini par s'essouffler, ce qui a peut-être aussi donné un signal favorable au patronat, tenté de s'engouffrer dans pareille aventure.
L'offensive patronale se concentre maintenant chez Match.
À première vue, chez Match la situation est comparable, mais ici il n'y a pas cette réaction héroïque des travailleurs.
L'annonce de fermeture et la mise sous plan Renault ligote en quelque sorte les délégués. Une restructuration avait déjà eu lieu en 2019, avec la perte de 210 emplois et la fermeture de 17 magasins. Le groupe fait face depuis lors à un management erratique, la direction changeant d’année en année -3 fois depuis 2020. Il y a un manque d’investissement, en particulier dans l’entrepôt de Wangenies (Fleurus) qui se fait vétuste, et une politique commerciale à la logique défaillante. Tout cela fait qu’en interne les travailleurs savaient que le groupe allait dans le mur.
Le groupe Colruyt, propriétaire déjà des magasins Okay, Spar et BioPlanet, annonce la reprise de 57 magasins des 77 Match et Smatch, mais tout cela doit encore être acté. En attendant, les négociations pour la procédure Renault sont en cours. Les travailleurs, certains avec une ancienneté de dizaines d'années, y ont bien souvent laissé leur santé. Les préparateurs de commandes doivent déplacer jour après jour des tonnes de marchandises et les problèmes de dos sont récurrents. Et pour eux, la pilule est amère.
Il y a un espoir pour une partie du personnel des magasins de passer sous la bannière Colruyt. Mais celui-ci a déjà un énorme dépôt à Hal, et l'entrepôt de Match à Wangenies va bel et bien fermer, laissant 139 ouvriers sur le carreau. À cela s’ajoutent les employés et les travailleurs du siège, soit 390 personnes, ainsi que les travailleurs des magasins qui ne seront sans doute pas repris, soit 690 personnes au total.
Au-delà des pertes d'emplois, c'est aussi le renforcement d'un modèle d'exploitation plus intense, d'un management exigeant plus de flexibilité. Le modèle Colruyt représente un recul dans les conditions de travail. C'est donc directement une attaque sur nos conditions de travail, comme le sont les tentatives de franchisation, ou la généralisation du modèle de hard discount.
Le groupe Louis Delhaize, propriétaires des Match et Cora, est détenu par la famille Bouriez, qui emploie 30 000 salariés en Europe et est largement bénéficiaire (8 milliards de bénéfices en 2022). Au mois de juillet dernier, le groupe s’était déjà séparé de ses magasins français, roumains et luxembourgeois, au bénéfice de Carrefour et E. Leclerc. Et la nouvelle direction, reprise en main en février par les enfants de la famille Bouriez, est qualifiée en interne de fossoyeuse. Elle n'a donc pas traîné pour appliquer ses plans de liquidation.
Du côté syndical, c’est le calme plat, alors que 700 personnes s’apprêtent à rejoindre les bureaux de chômage. Cela contraste fortement avec la tempête menée par les Delhaiziens en début d’année.
Pour expliquer l’absence de réaction, on évoque parfois les négociations du plan Renault, qui doivent trouver de quoi recaser une partie du personnel, voire augmenter les préavis de départ et les primes extralégales. Les travailleurs devraient donc attendre de savoir à quelle sauce ils seront mangés avant de protester. Mais il est aussi question de primes à la tranquillité, des montants mensuels qui ont été proposés en échange de la paix sociale et pour prévenir toute agitation.
L’ambiance délétère dans les magasins, cette certitude que tout va mal, la pression psychologique continuelle de la direction pour stigmatiser les travailleurs et pour casser les plus combatifs ont sans doute aussi joué un rôle dans l’apathie apparente. Mais le syndicat négocie maintenant à guichet fermé, sans avoir pu profiter du choc de l’annonce du plan social pour mobiliser et imposer un rapport de force dans la négociation.
Le patronat suit sa logique de classe : le but est d'assurer le bénéfice des actionnaires. Pour y arriver, il faut créer la division entre travailleurs. C'est le but ultime de la franchisation. Aux travailleurs, à notre classe, de s'organiser pour résister et pour ouvrir le chemin vers une autre société, où le but est le bien-être de l'ensemble des humains. Mais déjà dans le cas de Delhaize, la bureaucratie de nos syndicats n'a rien fait pour étendre le mouvement, malgré l’intensité de la pression des travailleurs. Et on se demande comment les travailleurs de Match vont pouvoir faire entendre leur voix.
Non à la franchisation !
Pour une organisation de l'ensemble des travailleurs du secteur de la grande distribution !