De la libéralisation à la lutte des postiers
En 2003, l’Union européenne décidait de lancer une grande offensive de libéralisation des services publics. Parmi les différents services menacés, la poste est certainement le secteur où ce processus est le plus avancé. Depuis maintenant 4 ans, le gouvernement belge a travaillé d’arrache pied pour respecter les critères et échéances de libéralisation des services postaux. La Poste devait être capable d’affronter le libre marché en 2011.
Le processus de libéralisation
Pour ce faire, il fallait surtout tailler dans les coûts et augmenter la productivité. Pour cela, la direction de La Poste présente un "Plan stratégique", qui a comme principal objectif : centraliser le réseau des bureaux de poste et des centres de distribution et implanter Géoroute (un programme censé rationaliser les tournées des facteurs).
Il y a eu déjà une augmentation de l’automatisation avec l'implantation de nouveaux centres de tri. On prévoit la suppression de 730 bureaux de poste et, progressivement, de boîtes postales. Avec l'application progressive de Géoroute, les trajets de distribution se sont allongés et la cadence de travail augmente.
Pour Piet Van Speybroeck, le porte-parole de La Poste, « Géoroute fait partie d'un plan global, qui a débuté il y a 6 ans, et qui s'achèvera en 2011, date butoir pour la libéralisation du secteur postal », et il ajoute, « La Poste ne peut pas se permettre de ralentir ou de suspendre la mise en oeuvre de ce programme absolument nécessaire pour faire face à un marché libéralisé. »[1]
Parallèlement, La Poste vendait, il y a trois ans, 50 % de ses actions à deux partenaires privés (Post Danemark et CVC, un fonds privé britannique) pour 300 millions d’euros. Il y a peu, Post Danemark revendait ses parts à CVC pour 373 millions, soit un bénéfice de presque 150% ! Pendant que les travailleurs de La Poste sont de plus en plus exploités, certains se font des millions de bénéfices.
Et pour les travailleurs ?
Concrètement, cela signifie réduire le personnel (les salaires sont effectivement le coût le plus important) et augmenter la cadence de travail des employés restants. Comme nous disait un intérimaire de La Poste : « On nous avance une quantité de chiffres pour nous montrer le "succès de l’opération" : environ 10.000 équivalents temps plein liquidés et une productivité qui a augmenté de près de 50 %. Mais à aucun moment, on nous explique les conséquences de ces fameux chiffres sur les travailleurs de La Poste. » La diminution des équivalents temps plein, par exemple, ne signifie pas que le personnel a diminué.
La Poste fait maintenant appel à des sociétés d’intérim (dont une des principales est Start People) pour remplir les postes laissés vacants. Ainsi, au centre de tri de Bruxelles X, on comptait 180 intérimaires pour à peu près 400 employés « fixes » (pour l'année 2008). Outre l’avantage évident de flexibilité (on engage les intérimaires quand on en a besoin !), l’appel à du personnel « extérieur » permet également une plus grande division des travailleurs. Les fermetures de bureaux de poste ont, quant à elles, obligé le patronat à recaser les statutaires et contractuels (qu’ils ne peuvent licencier) dans d’autres secteurs, notamment les grands centres de tri, obligeant du personnel parfois proche de la retraite à se reformer et entraînant une réorganisation pour le moins stressante.
Dans le même ordre d’idée, dans la 'phase 3' de l'application du plan Géoroute, il est prévu de faire appel à des étudiants, des pensionnés, des chômeurs, des mères de famille, etc., prêts à travailler 2 ou 3 heures par jour de manière irrégulière pour distribuer le courrier.
La mobilisation
Début mars, une manifestation syndicale, en front commun, réunissait 4.000 travailleurs deLa Poste dans les rues de Bruxelles pour protester contre les conditions de travail de cette catégorie de "sous facteurs", pour lesquels est prévu un contrat de quelques heures par jour, avec un salaire brut de 8,65 euros l'heure.
Les manifestants dénonçaient également le fait que l'Etat vende les parts les plus rentables de La Poste. Les « grands émetteurs de facture » (énergie, téléphone, assurances, banques) représentent 35.000 clients déjà sélectionnés, les plus rentables. D'autre part, les « petits émetteurs » représentent 4.200.000 ménages, le service le plus cher, parce que ce service implique la petite distribution de courrier, et donc plus de personnel pour réaliser le travail. Cette « partie de La Poste » n'est pas le butin des capitaux privés et reste à charge de l'Etat, donc des travailleurs, des contribuables. Cette « charge » est de 29 millions d'euros par an, que payeront les travailleurs, alors que le privé garde tous les profits.[2]
La manifestation a été suivie par une série d'actions et de grèves dans différents points du pays, que ce soit dans les bureaux de poste, la distribution, ou même les centres de tri.
Toutefois, malgré la réussite de cette manifestation et de toute la semaine d'action, les directions syndicales n'ont pas organisé la continuité de la lutte... et la libéralisation du service avance.
Face à tout cela, les syndicats ne pouvaient pas ne pas réagir, le malaise parmi les travailleurs étant trop perceptible. Pourtant, on comprend mal comment la réaction des bureaucraties syndicales n’a pas été plus conséquente.
Comment se fait-il que les syndicats aient accepté que des chefs soient nommés délégués, entraînant par cela un certain verrouillage syndical des grandes centrales notamment ?
1 www.7sur7.be
2 Le Soir, 02/03/2009
Présentation de Géoroute, selon son concepteur « Géoroute est un logiciel de gestion et confection de tournées, conçu pour adresser les besoins diversifiés et parfois complexes des sociétés œuvrant dans le domaine postal. |
Dans la presse : De 2004 à 2006, le travail intérimaire à La Poste a augmenté de 116 %. Le Soir, 02/03/09 |