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Ligue Communiste des Travailleurs

Section belge de la Ligue Internationale des Travailleurs -
Quatrième Internationale (LIT-QI)

« L'émancipation des travailleurs sera l'œuvre des travailleurs eux-mêmes. » K. Marx

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Un entretien avec Martin Willems, permanent licencié du SETCa-BHV secteur Industrie (26 octobre 2010)

Presse Internationale : Les cinq permanents du secteur Industrie du SETCa-BHV ont été licenciés « pour faute grave ». Vos licenciements ont-ils un caractère politique, et si oui, dans quelle mesure ?

 Martin Willems: Très certainement. Il n’y a aucun doute possible là-dessus. Les faits qui nous sont reprochés sont uniquement des faits d’opinion et de communication de ces opinions au sein de l’organisation. C’est pour nos opinions et pour les avoir fait connaître, que nous avons été licenciés. C’est donc bien politique. Nous n'avons pas été licenciés pour un méfait quelconque, que ce soit malversation financière, violence, injure envers des personnes ou autre. Tous sont d'accord sur cela. Nous avons été licenciés pour nos opinions, et pour les avoir communiquées.
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   D’après la lettre de licenciement, nous sommes licenciés « pour faute grave », pour s’être exprimés sur un projet immobilier d’une manière qui ne suivait pas la ligne promue par le SETCa fédéral. Cela peut vous étonner, et cela m’étonne aussi, qu’on puisse licencier quelqu'un pour des réserves relatives à des questions de gestion interne.
    Il se fait que nous défendions une position différente sur ce projet, à un stade où aucune décision définitive n’avait été prise. Que ce soit bien clair ! On dit souvent que nous ne nous sommes pas pliés aux décisions. Mais aucune décision n'avait été prise, certainement pas par l’instance démocratique qui doit prendre ce genre de décision relativement importante (on parle de plus de trois millions d’euros), c'est-à-dire le Comité exécutif régional de BHV. Dans ce Comité, il n’y a pas que des permanents. Il comprend plus de 100 militants d’entreprise en plus des permanents et se réunit tous les mois. A la FGTB, et dans d’autres syndicats, on essaye de faire en sorte que les décisions ne soient pas prises uniquement par des gens salariés de l’organisation. On a à cœur de répéter que le pouvoir vient de la base. Le Comité exécutif est donc composé de militants des entreprises, élus pour gérer la Section pendant quatre ans, en tout cas pour prendre les décisions clefs ayant des conséquences financières importantes.
    Aucune décision n’avait été prise non plus dans le secrétariat. Nous avions formulé des réserves et demandé, c’est le point principal, que le débat se fasse dans le Comité exécutif sur base d’alternatives, c’est-à-dire un projet avec des possibilités différentes, notamment la comparaison avec une version plus « light », plus raisonnable, du projet de rénovation, afin que nous puissions la financer sans devoir conclure un engagement de long terme avec un promoteur immobilier.
    Tout l’argumentaire de la « faute grave » tient au fait d’avoir envoyé un e-mail, le premier septembre, avec ces fameuses réserves. Un e-mail a en effet été envoyé par notre responsable de secteur, mais jusqu’à preuve du contraire, ce n’est pas une faute grave d’envoyer un e-mail, et encore moins une faute qu’on peut imputer collectivement à tout les permanents d’un secteur. Cet e-mail ne contenait aucune injure, et était adressé à des responsables du comité exécutif fédéral du SETCa amenés à discuter du dossier deux jours après. Il y a un large consensus, que ce soit chez des observateurs extérieurs ou dans le syndicat, sur le fait que ce n’est évidement pas une faute grave.
    Le but est donc de nous écarter, peut-être à un moindre coût, mais je ne pense même pas que ce soit la raison. Le but, c’est de nous écarter, vite fait bien fait, et de provoquer un tel séisme dans l’organisation que ça passe, tellement c’est gros. Plus c’est gros et plus ça passe : c’est un peu la théorie du choc.
    Pour comprendre que c’est vraiment politique, il faut voir ce qui a suivi nos licenciements. Ces licenciements ne sont qu’une étape dans un enchaînement d’évènements qui, ensemble, démontrent le dessein des dirigeants du SETCa fédéral.
    Voyons la tutelle statuaire sur la Section. La Section BHV était déjà sous tutelle, une tutelle dite volontariste, c’est-à-dire librement consentie. Mais le Comité exécutif fédéral, où siègent les présidents des autres sections régionales du SETCa, a sollicité, à la demande du président, et donc du fédéral, de placer formellement notre Régionale sous tutelle statutaire. Le lendemain matin, nous avons été licenciés pour faute grave. Quelques jours après, toutes les instances démocratiques de la Section, pour lesquelles des réunions étaient justement prévues, ont été suspendues. C’est très important parce que la Section régionale devait justement tenir un Congrès le 24 septembre, un Congrès qui devait absolument se tenir avant les 21 et 22 octobre puisqu’il devait se tenir avant le Congrès fédéral du SETCa. Ce Congrès régional était prévu, il était organisé, tout était prêt. Il devait, et c’était prévu également, être précédé par des assemblées professionnelles. Ces assemblées sont essentielles parce que c’est le seul endroit où des militants, c’est-à-dire tous les gens qui détiennent ou ont détenu un mandat des travailleurs au sein de leur entreprise, peuvent se réunir. Quand on dit qu’à la FGTB, tout part de la base, que toutes les décisions sont prises par la base, par délégations successives, il faut bien qu’à un moment, la base puisse s’exprimer directement. Et bien, cela se fait au sein de ces assemblées professionnelles où la base se réunit, prend position sur les sujets importants pour les quatre ans à venir et mandate ses représentants à la fois au Comité exécutif régional mais aussi aux différents Congrès qui doivent se tenir par après, notamment le congrès fédéral amené à renouveler l’équipe dirigeante du SETCa.
    Toutes ces assemblées professionnelles, ainsi que le Congrès de BHV lui-même, ont donc été annulées du jour au lendemain. De ce fait, le Comité exécutif régional n’a plus beaucoup de légitimité, puisque normalement les mandats devaient être renouvelés au Congrès BHV. C’est comme si nous disions : « nous ne faisons plus d’élections et les parlementaires actuels continuent leur mandat indéfiniment ». Et effectivement, on a dit à ce Comité exécutif, « vous ne devez plus prendre de décisions, vous n’avez plus qu’un rôle d’information et on va vous convoquer quand on a envie de vous informer ». Il semblerait qu’ils soient revenus de cette position-là, mais bon. Cela montre simplement que nos licenciements font partie d'une prise en main très claire, très ferme, très autoritaire, de la Section BHV par le SETCa fédéral. La Section BHV, c’est 23% de tout le SETCa fédéral. C’est donc très important : contrôler BHV permet de contrôler beaucoup plus facilement l’ensemble du SETCa. Et ce coup de force cadre pour moi avec un renversement total des valeurs et des principes fondamentaux de la FGTB selon lesquels notre organisation est démocratique et tout émane de la base. A partir du moment où tout est contrôlé par le SETCa fédéral, à partir du moment où il décrète que, vu la tutelle, toutes les instances démocratiques sont suspendues, il n’y a plus de démocratie ! Et donc une partie extrêmement importante du SETCa, 23%, n’est plus contrôlée par sa base.
    Pourquoi nos licenciements ? Sans doute suite à certains combats que nous avons menés (quand je dis « combats », c’est dans le respect du débat démocratique), et suite à certaines causes que nous avons défendues dans les années précédentes, qui allaient justement dans le sens de renforcer la démocratie et l’autonomie de la Section.
    Si un Congrès était prévu pour le 24 septembre, c’est parce que nous avions insisté, à la fin de l’année dernière et au début de cette année, pour qu’il soit organisé. Finalement, nous avons obtenu gain de cause. L’un d’entre nous, Hendrik Vermeersch, était candidat pour devenir président de la Section et donc pour que la Section reprenne son autonomie, dans le sens de revenir à un fonctionnement démocratique normal. Il est donc assez évident qu’un tel coup de force aurait été combattu si nous avions été présents ; notre licenciement est sûrement d’une étape préparatoire pour faciliter les choses par après. En effet, c’est un évènement tellement assourdissant qu’après, les militants sont paralysés, ou qu’en tout cas personne n’ose lever la tête.
    Donc c’est politique oui. Ce n’est pas un sujet de politique syndicale très précis mais je pense que c’est dire en gros « ce n’est plus la base qui décide, c’est le top qui décide. Il faut l’accepter et ceux qui ne l’acceptent pas sont écartés. » Plus politique que cela, c’est difficile !

PI : Peux-tu préciser les principes liés aux statuts et à la démocratie interne que le SETCa fédéral n’a pas respectés ?
    MW  : L'important, c'est que nous tenons notre mandat de la base. Les permanents ne peuvent pas être des gens parachutés, ils doivent être mandatés par leur base. Sinon, ce n’est plus la base qui fait la politique syndicale. Les cinq licenciés ont tous été élus par une assemblée professionnelle. Cette élection est, par la suite, confirmée et ratifiée, à la fois par le Comité Exécutif et le Congrès. Ce sont donc bien les militants de notre secteur qui choisissent leurs permanents. Moi, j'ai été élu il y a deux ans. Il y avait 2 candidats, et les militants ont fait leur choix.
    C'est par cette élection que la base nous mandate. C'est ainsi que nous pouvons dire que nous représentons les travailleurs du secteur et que nous estimons avoir le droit de signer les conventions d'entreprise ou de s'exprimer au nom du secteur. Les Sections d'entreprises gardent leur autonomie bien sûr. C'est elles qui négocient en premier lieu les CCT (conventions collectives d’entreprise). Par la suite, le permanent signe la convention pour leur donner force obligatoire, mais sur la base de son mandat et de la demande de la section d’entreprise.
   Nos licenciements ont été décidés par les dirigeants fédéraux sans jamais consulter la base, certainement pas l'assemblée industrie, qui pourtant nous a élus et en plus subit les conséquences de notre écartement. Les délégués du secteur « industrie » n'ont plus de permanent, si ce n'est des permanents de remplacement, qui évidement ne connaissent pas les dossiers, qui travaillent aussi pour d'autres secteurs et sont moins disponibles.
   Cette base a un intérêt évident à avoir son mot à dire, parce qu'elle nous a élus, parce qu'elle a besoin de nous. Et bien, elle n'a jamais été consultée, ni d'ailleurs l'assemblée industrie, ni le Comité exécutif qui a juste été informé, le 9 septembre, des raisons de nos licenciements, sans pouvoir donner son avis. En tout cas, ils n’ont pas pu entendre un autre son de cloche puisqu'à aucun moment on nous a permis de nous exprimer devant une quelconque assemblée.
   Il y a donc le licenciement de permanents sans consulter la base, et par la suite, la nomination des nouveaux permanents, toujours sans consulter la base.
   Cette nomination des nouveaux permanents est le corollaire. Mais c'est très grave, parce qu'il y a maintenant dans les entreprises des permanents qui agissent sans aucun mandat de la base. Nous avons même, dans certains entreprises, des militants et des délégations qui nous donnent catégoriquement leur soutien, et qui disent clairement : « Ce n'est que mon permanent que j'ai élu qui viendra dans l'entreprise pour nous soutenir et, le cas échéant, négocier avec nous ; nous ne voulons personne d'autre. » Malgré cela, il y a des permanents de remplacement qui vont dans les entreprises et qui parfois négocient avec la direction de l'entreprise sans la délégation, et sans même son accord. Là, on dépasse toutes les bornes. C'est absurde, et en contradiction avec tout le travail syndical. Bientôt on demandera à Agoria d’aller s’arranger avec Rudy De Leeuw, avec le top de la FGTB, et on n'aura plus besoin de délégués dans les entreprises.
   Qui plus est, la nomination des nouveaux permanents sans consulter la base, s'est faite via les directions d’entreprises et Agoria. Dans nos entreprises, les délégués ont souvent appris par leur direction - qui avait reçu un courrier du SETCa via les fédérations patronales - qui était leurs nouveaux permanents. Ce sont aussi aux directions d’entreprises qu’on demande d’inviter les permanents, alors que c'est normalement aux délégations de le faire. C’est un renversement total des valeurs !
   Outre cet aspect, il y a l'annulation des instances démocratiques. Les assemblées et le Congrès qui étaient prévus ont tous été annulés. Ce n'est même pas refuser d’organiser un Congrès, c'est annuler celui qui était prévu. C'est impardonnable. Puis il y a le Comité exécutif qui est réduit à un rôle d'information. Voilà essentiellement les entraves qui sont faites au fonctionnement normal de la Section et au respect du statut et de la démocratie.
   Ce qu'il faut dire aussi, c'est que licencier cinq permanents pour faute grave, c'est tellement gros que cela a instauré un régime de terreur. Et tout le monde sait bien qu'il ne peut y avoir aucune démocratie dans un régime de terreur. Il est évident que, pour l'instant, personne n'ose dire quoi que ce soit, tant les autres permanents du secrétariat BHV que les autres membres du Comité exécutif. Il y a des exemples concrets de cette terreur. Nos délégués qui nous soutiennent nous disent qu'ils sont intimidés. Ils reçoivent des lettres leur disant que soutenir et travailler avec les permanents licenciés n'est pas sans risque ; qu’ils peuvent être attaqués juridiquement. On a menacé certains, oralement, de ne pas reconnaître une éventuelle grève dans l'entreprise et de ne pas payer les indemnités de grève s'ils ne travaillaient pas avec ces nouveaux permanents. Des indemnités pour la grève du 29 septembre n'ont pas été payées parce que la carte de présence était signée par un permanent licencié. La majorité des candidats du secteur industrie pour le congrès fédéral du SETCa ont été écartés. Il y a ainsi plusieurs exemples de rétorsion et d'intimidation.

PI : J'avais cru comprendre qu'il y avait eu un vote dans une assemblée de délégués, fin septembre, pour se prononcer pour ou contre vos licenciements. Est-ce exact ?
   MW : Non, c’est faux, il n’y a jamais eu un tel vote. Et si nous voulons licencier un permanent - pour faute grave ou pas – quelle est la procédure normale ?
   Ils auraient dû réunir d'abord le Comité exécutif. Ils auraient dû formuler les griefs, donc mettre clairement par écrit ce qu'ils nous reprochent. Ensuite, la délégation du Comité exécutif aurait dû organiser une assemblée industrie, donc une assemblée de tous les militants du secteur où le permanent a été licencié, présenter ces reproches et demander à l'assemblée de se prononcer par vote. Si l'assemblée du secteur approuve les licenciements, il doit y avoir un nouveau vote au Comité exécutif à la majorité des deux tiers, et il faut organiser un Congrès extraordinaire de la section régionale. Il faut donc organiser un Congrès de toute la Section régionale pour licencier un secrétaire permanent, ce qui est normal puisque le mandat de secrétaire est donné par le Congrès.
   Dans le cas présent, il n’était même pas possible de prendre excuse de difficultés matérielles ou de manque de temps pour organiser ces assemblées, puisqu’elles étaient justement prévues.
   Une assemblée industrie était prévue le 17 septembre et il n'était vraiment pas trop tard pour la consulter. Un Comité exécutif était prévu le 9 septembre, le 23 septembre, le 24 septembre et encore le 28 octobre. Il y en avait donc suffisamment. Et il y avait même un Congrès régional prévu le 24 septembre ! Ils auraient donc pu respecter facilement les statuts et poser la question de notre « faute » directement à ce Congrès, et un éventuel problème aurait été réglé selon les formes. Mais tout a été annulé. Ils ne peuvent pas invoquer des difficultés matérielles car ils ont sciemment tout fait pour contourner cette procédure.
   Jusqu’à ce jour, il n'y a aucune assemblée qui s'est prononcée par le vote sur une ratification quelconque de nos licenciements, si ce n'est, me semble-t-il car je n’y étais pas, le Comité exécutif fédéral. Contrairement aux Sections régionales, le Comité exécutif fédéral du SETCa ne comprend aucun militant d’entreprise. Ce sont uniquement les 10 membres du secrétariat, qui dirigent le SETCa fédéral, et les 21 présidents et secrétaires généraux de chacune des Sections régionales. Tous ces gens sont des salariés du SETCa fédéral, y compris les présidents des Régionales. Nous ne pouvons donc pas dire que se sont des militants totalement indépendants des dirigeants du SETCa fédéral.

PI : Comment s’est déroulé le Congrès fédéral ce 21-22 octobre ?
   MW : Il y a un problème très important, qui dépasse largement nos situations personnelles, à savoir le respect de la démocratie syndicale dans la Section BHV. Un autre exemple du non-respect de la démocratie par le SETCa fédéral a été le fait qu'ils ont désigné eux-mêmes, via le secrétariat de BHV, qui pourrait représenter la section de BHV au Congrès fédéral.
   De nouveau c'est absurde. C’est comme si le gouvernement belge décidait de désigner lui-même qui pourrait siéger au parlement, en vue de renouveler le gouvernement. C’est bien le secrétariat fédéral, qui devait être réélu au Congrès fédéral, qui a d’autorité désigné, avec les secrétaires BHV, c’est à dire bien toujours des salariés du SETCa, les Congressistes de BHV, du moins pour le secteur Industrie. C’est contraire à tous les principes : les gens qui représentent le secteur Industrie au Congrès doivent être désignés par l’assemblée professionnelle de leur secteur. De nouveau c’est normal que ce soit la base qui délègue ses représentants. Les parlementaires sont élus par le peuple. Les Congressistes, les représentants du secteur Industrie au Congrès fédéral sont nommés par l’assemblée professionnelle, par les militants de base.
   Nous ne pouvons même pas dire qu’ils ont fait cette désignation en bon père de famille puisque le résultat a été que 25 des 28 membres Industrie du Comité exécutif BHV qui, eux, ont un mandat de la base, et en l’absence d’assemblée professionnelle sont quand même ceux qui devraient en priorité aller au Congrès, ont été exclus du Congrès fédéral. Nous nous sommes donc présentés à ce Congrès avec les membres du Comité exécutif régional qui en étaient exclus, en interpellant les Congressistes en disant : « Pourquoi sommes-nous exclus ? », « Que se passe-t-il dans la Section BHV, trouvez-vous cela normal ? ». D’où le tract que nous avons distribué qui s’intitule « si nous sommes dehors, c’est parce qu’on nous interdit d’être dedans… ».

PI : Peux-tu expliquer votre intervention lors de ce Congrès ?
   MW : Nous étions entre 40 et 50. Nous avons été extrêmement mal reçus. Au lieu de nous proposer de distribuer gentiment nos tracts et de tenir un petit stand dans le hall, le SETCa avait fortifié complètement le lieu du Congrès. Toutes les issues étaient fermées sauf l’entrée principale, à laquelle il y avait un barrage. Nous avons distribué nos tracts devant ce barrage. Et ce barrage empêchait qui que ce soit d’entrer dans le bâtiment, si ce n’est les gens qui avaient une carte de Congressistes. Ce barrage était organisé par des gens du SETCa, par des gens d’une firme privée de sécurité, par les responsables de l’hôtel et par la police. La police était là depuis le début, et très vite ils ont même dû demander des renforts. Il y avait une vingtaine de policiers, en civil et en uniforme, avec des chiens. Ils ont vraiment formé un piquet devant le Congrès pour nous empêcher de rentrer dans les locaux. Je crois que c’est une grande première, nous avons eu un Congrès du SETCa fédéral sous haute surveillance policière. Je pense que tous les Congressistes qui ont vu cela ont du être extrêmement honteux de cette situation, que la police doive protéger leur Congrès. Ceci montre très bien l’institutionnalisation des choses au SETCa. Cela n’émeut plus vraiment que des syndicalistes, qui en plus ne respectent pas les règles démocratiques, se fassent protéger par la police pour asseoir leur autorité.

PI : Avez-vous eu un soutien de certains Congressistes ?
   MW : Oui, en effet, mais de manière très discrète. Quand je dis qu’il y a un climat de terreur dans le SETCa, c’est réel, et palpable. Certains sont venus discuter avec nous. Certains ne comprenaient pas du tout comment on en était arrivé là. Nous avons pu voir à travers ces discussions tous les mensonges et les fausses excuses qu’on donnait pour expliquer nos licenciements. D’un autre côté, il y avait aussi des gens qui ne voulaient pas prendre nos tracts parce qu’ils avaient peur. Nous avions presque l’impression d’avoir la peste.
   Lors du Congrès, à l’intérieur, il y a au moins une personne qui est intervenue en notre faveur, et cette intervention a été très largement applaudie, beaucoup plus que la normale. L’intervention terminait en disant « nous devrions pouvoir trouver une solution ensemble à l’intérieur du SETCa ».

PI : Avez-vous eu le soutien d’autres Régionales du SETCa ?
   MW : J’ai crû comprendre que la Régionale d’Anvers avait mené un débat et avait critiqué notre licenciement. Il faut savoir aussi que toutes nos demandes pour être entendus dans les Comités exécutifs des autres Régionales n’ont pas eu de suite. Par contre le SETCa fédéral a fait la tournée de tous les Comités exécutifs de toutes les Régionales pour expliquer son point de vue et pour demander de ne pas se prononcer. Aucun militant n’a donc pu avoir un autre son de cloche. Bien sûr n’importe qu’elle Régionale aurait pu d’initiative faire une motion ou nous inviter pour nous entendre, mais à ma connaissance cela n’a pas été le cas.
   Par contre dans les autres Centrales de la FGTB qui se sentent, j’ose espérer peut-être plus libre, en tous cas pas contraintes par le SETCa fédéral, il y a beaucoup de discussions, et il y a par exemple la position officielle des métallos. A la fois les métallos de Bruxelles mais aussi la Centrale métallo Wallonie Bruxelles, qui demandait de revenir sur les licenciements, par un courrier au SETCa et aux dirigeants de la FGTB.
   Il y a eu aussi une prise de position des jeunes en lutte pour l’emploi du Brabant Wallon. La FGTB et d’autres organisations ont organisé des marches pour l’emploi, et il y avait notamment au Brabant Wallon un rassemblement de jeunes à l’occasion de ces actions pour l’emploi, qui a pris position. Il y a eu ensuite des pressions. Ils n'ont pas retiré la position, mais ils ont dû très vite préciser que l’animateur Jeune de la FGTB Centre n’y était pour rien.
   On m’a parlé de discussions et de projets de motion dans la section bruxelloise de la centrale de l’alimentation et à la CGSP de Bruxelles.
   Il y a aussi, bien entendu, les très nombreuses positions des Sections d’entreprises de notre secteur.

PI : Quelles sont les perspectives actuellement pour le Comité Reintegration Now ?
   MW : Notre stratégie c’est d’être présents tout le temps et de montrer que nous n’abandonnerons pas, que les licenciements ne vont pas s’oublier. Tant qu’il n’y aura pas de solution le problème perdurera. Cela se traduit par des interventions dans la plupart des assemblées des militants de la FGTB.

PI : Quelles sont les prochaines dates prévues ?
   MW : Nous serons au Comité exécutif jeudi 28 octobre à 17 heures. Il y aura un rassemblement de militants de sympathisants le plus large possible, devant la salle du Comité. Place de Dinant, à 1000 Bruxelles.

PI : Avez-vous prévu une mobilisation en votre soutien ?
   MW : Nous n’en avons pas de nouvelles qui sont envisagées pour l’instant. Nous en avons fait une le 17 septembre. Et aussi lors de la manifestation européenne le 29 septembre. Par ailleurs nos délégués dans nos entreprises à titre individuel ou à titre de délégation ont écrit en nombre au secrétariat fédéral du SETCa mais aussi au top de la FGTB.

PI : Y a-t-il autre chose que tu voudrais ajouter ?
   MW : Je pense que ce qui se passe est extrêmement grave, que cela dépasse le cadre de nos simples licenciements. Le SETCa - et donc, par ricochet, la FGTB, même si les autres Centrales ne l’ont pas cherché - montre qu’elle avalise ces pratiques. Il y a déjà le fait même de licencier pour faute grave. Tous nos délégués se battent dans les entreprises pour éviter d’utiliser le dispositif de « faute grave », qui est une menace particulièrement grande pour les travailleurs, qui est une sanction particulièrement lourde, et ici, c’est le syndicat qui licencie « pour faute grave », en sachant bien que le seul « délit » est un délit d’opinion.
   Puis on foule aussi au pied la liberté d’expression : non seulement la liberté d’expression mais aussi le fait de prendre ses responsabilités. Alors que tous les membres du secrétariat - nous étions tous les cinq membres du secrétariat - ont une compétence de gestion dans la Section, dire que ces gens ne doivent pas prendre comme position d'avancer des réserves par rapport à un projet qui est conduit d’en haut… Ce travail d’être critique par rapport à un projet et de penser au bien des travailleurs, des affiliés, c’est le travail que nous demandons à tous les délégués de faire, dans toutes les entreprises. Si cela peut-être considéré comme faute grave, alors demain, tous les patrons d’entreprise peuvent licencier tous leurs délégués qui auraient des réserves, qui seraient un peu critiques par rapport aux projets de la direction, qui viendraient avec des contre-arguments, avec des contre-propositions. C’est absurde, c’est vraiment nier ce pourquoi nous existons.
   Nous avons vu que cela s’inscrivait dans une négation totale de la démocratie syndicale. Là aussi, pour moi, c’est la base de la FGTB. Si demain on dit crûment aux gens : vous cotisez mais vous n’avez rien à dire dans l’organisation, alors, de mon point de vue, ce n’est plus un syndicat et les gens en tireront sans doute leur conclusion. C’est le risque d’aller vers un syndicat qui serait un syndicat « de service » complètement déconnecté des travailleurs, qui serait une sorte de syndicat comme on imagine qu’il est en Chine - je ne sais pas, je ne suis pas allé vérifier sur place - ou ailleurs. C'est le risque d'aller vers un syndicat qui est là, qui est une institution que les travailleurs ne contrôlent pas du tout et qui essaierait de limiter à la marge les dégâts du système économique, mais qui n’est plus une organisation créée et composée par les travailleurs, mue par les travailleurs.
   Les Sections syndicales d’entreprise sont autonomes : si elles décident de revendiquer une chose, personne dans l’organisation syndicale ne peut les empêcher de le faire; ce sont elles qui le décident. Si elles décident de faire grève, de nouveau, c'est à elles de le décider. Nous demandons du bon sens et le respect de certaines règles pour ne pas se précipiter directement vers la grève, et le permanent sert un petit peu à cela. C’est-à-dire qu’il vient toujours en soutien, il n’est pas là pour décider à la place des délégations d’entreprise. Parfois il va aider à expliquer les tenants et aboutissants, proposer une autre manière de faire, éviter qu’il y ait des malentendus, qu’il y ait un conflit inutile alors qu’une discussion est possible, ou au contraire remotiver les travailleurs découragés et leur donner plus de moyens d’action. C’est peut-être ce que nous pouvons apporter, mais ce n’est pas à nous de décider à la place des travailleurs ce qu’il faut revendiquer ou s’il faut se battre, oui ou non, et comment, pour une cause donnée. A partir du moment où on vient avec le principe que la base ne peut plus s’exprimer et que les permanents sont désignés par le top, il n’y a plus d’autonomie des Sections d’entreprise non plus, car c’est in fine le top qui mandate ceux qui signent les accords ou les préavis de grève et donc qui décidera de la politique syndicale.

PI : C’est un principe d’autonomie qui est valable pour l’ensemble de la FGTB. Avec cela, penses-tu qu’il est encore possible aujourd’hui de travailler dans le syndicat ? Envisagerais-tu encore personnellement de travailler dans le syndicat ?
   MW : Oui, moi je suis prêt à recommencer dès demain. Ce ne sera peut-être pas simple, mais je pense que dans une organisation aussi importante, la tentation non démocratique, la tentation autoritaire, telle qu’elle se manifeste aujourd’hui, est toujours présente. Toute personne qui analyse les organisations fait vite le constat qu’il y a une sorte de conflit un peu permanent entre « la démocratie », et d'autre part, contrairement à ça, une certaine forme d’efficacité ou d’organisation qui impose quand même qu’il y ait une structure forte. C’est le conflit permanent entre la base et la structure, entre la base et l’appareil. Les deux sont indispensables : la base seule pourrait difficilement s’organiser de manière efficace. Et donc cet équilibre est très difficile à trouver, et toutes les organisations le connaissaient, toutes les organisations qui se veulent démocratiques, que ce soit l’organisation politique du pays, que ce soit l’organisation au sein des partis, que ce soit l’organisation au sein des syndicats ou dans toute autre organisation qui se veut démocratique. Cette tentation, pour l’appareil, de prendre un peu tous les pouvoirs et de nier la base, elle existe. Evidemment c’est la base qui doit régulièrement, chaque jour, à chaque réunion, aller contre cela. Aujourd’hui, nous voyons vraiment une poussée de fièvre de la tentation autoritaire, et c’est encore à la base de la repousser, sachant que ce n’est pas facile. Je suis prêt, dès demain, à retravailler de l’intérieur, à l’intérieur du syndicat, pour qu’il reprenne son fonctionnement normal, et qu’il s’améliore même, parce que je ne peux pas dire que le fonctionnement d’avant nos licenciements était le fonctionnement optimal. C’est une lutte permanente et toute personne qui milite, qui travaille dans une organisation « politique » - dans le sens d’une organisation composée de membres qui ont un avis à donner, et où il faut trouver un équilibre des pouvoirs - sait que c’est un travail permanent. Ce n’est jamais facile, il faut avoir le courage de le faire. Sinon, il reste quoi, à créer un syndicat de l’extérieur ? Mais bon, c’est tellement immense comme tâche, et puis aussi, si chaque fois qu’il y avait une tentation autoritaire quelque part nous créions un nouveau syndicat, nous en serions vite à des centaines de syndicats dans le pays.

PI : Une question qui sort peut-être un peu du cadre de l’interview : Penses-tu que ce qui s’est passé avec vous au SETCa BHV a un lien avec le débat communautaire pour le moment, avec une scission éventuelle, une régionalisation de tout ce qui peut l’être ?
   MW : Quand tu m’as demandé si nos licenciements étaient politiques, j’ai dit très clairement : oui. Maintenant, nous pouvons nous poser la question : est-ce que la seule raison, pour notre écartement, était notre position très claire pour la démocratie syndicale et pour l’autonomie de la Section, qui gênait, ou y avait-il peut-être autre chose. Nous pouvons avoir nos idées sur cela. Nous n’avons aucun élément concret pour pouvoir rattacher nos licenciements, ou cette prise en main de la Section, à quelque chose d'autre qui viendrait, mais nous savons qu’il y a des choses qui vont venir. Peut-être que le choix du moment a été dicté par le fait que certains imaginent des changements importants au sein du syndicat, qui seront difficiles à faire passer auprès de la base. Au plus on peut affirmer son autorité sur la base, plus ce sera facile de faire avaler ces changements-là. Il y a beaucoup d’éléments, et notamment l’évolution du pays.
   C’est vrai que nous cinq, nous avons été en pointe sur l’unité de la sécurité sociale, du droit du travail et de la concertation sociale. Ce n’est pas un combat privé, toute la FGTB est en pointe là-dessus, mais le SETCa reconnaît lui-même que nous sommes à l’origine de la motion du congrès FGTB, en juin dernier, sur le sujet. Le SETCa l’a rappelé dans le communiqué annonçant notre licenciement. Or nous constatons maintenant qu’il pourrait y avoir une scission partielle de ces différentes choses : en termes du droit du travail et de la négociation collective, et même de la sécurité sociale avec les allocations familiales, cela a été, semble-t-il, accepté au niveau politique. C’est clair qu’il y aurait eu un combat (un débat) au sein du SETCa, un combat fort pour essayer de combattre cette évolution politique.
   Quant à la scission de BHV, il se fait que la régionale BHV du SETCa est la seule Section régionale de toute la FGTB à encore « être BHV ». Là aussi, on dit : cette scission politique est inévitable et on veut la faire au niveau du syndicat. Et on sait que nous - là aussi, on peut mettre le doigt sur nous cinq - nous aurions peut-être été plus réticents à cette scission, c’est évident. Contrairement à d'autres secteurs, le secteur Industrie est le plus réparti en périphérie. Nous avons des permanents à Hal et à Vilvorde. Le secteur Industrie est le seul qui avait des représentants permanents à la fois à Bruxelles (place Rouppe), à Vilvorde et à Hal. Scinder BHV, cela aurait impliqué directement un remaniement complet du secteur Industrie ; des autres aussi peut-être, mais particulièrement du secteur Industrie. Il est évident que l'idée a pu exister que le fait de nous licencier pourrait rendre cela plus facile. Mais je ne sais pas du tout si c’est l’intention réelle des dirigeants de réaliser cette scission.
   Et finalement, la saison de l’accord interprofessionnel arrive, comme tous les deux ans. Et on sait aussi qu’il va y avoir un plan d’austérité. On parle déjà d’économiser plus de 20 milliards. Donc il est évident, et la FGTB l’a toujours dit, que cela ne devra pas se faire sur le dos des travailleurs. Et c’est clair que, pour cela, on pouvait compter sur nous aussi. Sur pleins d’autres aussi ! Encore une fois, je ne dis pas que c’est nous qui étions les seuls vrais syndicalistes. Je ne veux certainement pas cautionner cette idée, personne n’a jamais prétendu être cela, mais il est clair que nous aurions été combatifs sur ce plan là aussi.
   Est-ce que la FGTB veut faire accepter plus facilement certaines choses aux travailleurs ? Je ne le dis pas, et j’ose espérer que non. Je crois qu’à la FGTB, jusqu’à ses dirigeants, on se veut ferme sur ce plan. J’ose espérer qu’il n’y a pas, en coulisse, la volonté de faire accepter une forme d’austérité aux travailleurs, ou peut-être de faire comprendre au sein de l’organisation que ceux qui se montreraient trop radicaux dans le combat pourraient en souffrir. Ce ne sont que des réflexions, je n’accuse personne de vouloir scinder le SETCa BHV ni de vouloir faire avaler des plans d’austérité aux travailleurs.

PI : Une autre question, également un peu en dehors du cadre : le PS a-t-il un rôle important et une implantation importante dans le SETCa fédéral ? Aurais-tu ressenti ou ressens-tu une pression à ce niveau-là, au niveau politique ?
   MW : Oui, il y a un nombre important de gens au SETCa qui sont aussi ouvertement membre du Parti Socialiste ou du Sp.a. Je n’ai pas de problème avec cela. Nous sommes libres de nos adhésions politiques, de préférence de gauche, évidemment, du moment qu’elles n’empiètent pas sur nos mandats syndicaux. Chacun peut faire son choix. Nous ne pouvons pas cumuler un mandat syndical avec un mandat politique, et ces gens ne le font pas. Ils peuvent militer dans un parti, ce n’est pas secret et je n’ai aucun problème avec cela. Personnellement je ne suis membre d’aucune organisation politique.
   Cependant, nous pouvons noter que, tout en étant autonome, la FGTB est bien sûr plus proche du PS et du Sp.a que d’autres partis, même si elle est sensible à ce que d’autres partis disent. Il est évident que, lorsque le PS ou le Sp.a est susceptible d’entre dans le gouvernement, la FGTB inévitablement est un petit peu plus prudente dans les positions d’opposition au gouvernement qu’elle pourrait prendre. Ce qui peut aussi avoir un sens. Cela peut être important pour un syndicat d’avoir un relais politique de son côté et de ne pas le gâcher bêtement. Maintenant, que va faire le PS, que sera-t-il prêt à faire en terme d’unité de la sécurité sociale, en terme de politique d’austérité pour les travailleurs ? Par rapport à cela, est-ce que la FGTB est nuancée ? Elle veut peut-être aussi éviter un risque d’opposition trop radicale ou trop peu nuancée. Ce ne sont que des suppositions, mais nous pouvons nous poser la question.
   Quant à nous cinq, nous avons aussi beaucoup de connaissances dans le PS et dans le Sp.a. Nous sommes proches de beaucoup de gens qui sont dans ces partis. Et c’est normal, je crois, quand nous sommes à la FGTB. On m’a demandé aussi d’informer ces gens. Nous sentons une certaine prudence de la part du PS et du Sp.a par rapport à ce qui nous arrive. Il semblerait qu’il y ait quand même un certain accord de ne pas trop se mêler des affaires internes du syndicat, ce qui est regrettable, car je pense que cette affaire est très politique comme je vous l’ai expliqué. Elle a des conséquences énormes sur la crédibilité de la FGTB. Je pense que les partis politiques de gauche ont intérêts à ce que la FGTB reste crédible. En tout cas, je suis pour la liberté d’opinion et pour la liberté d’expression. Et ce n’est pas anormal qu’un parti politique, et certains membres de partis politiques de gauche, veuillent se renseigner et éventuellement prendre position sur un événement majeur, un événement très négatif de la vie de l’organisation syndicale qui leur est la plus proche.