Une victoire de la base contre une multinationale
Durant cinq jours, les bagagistes de la société multinationale Swissport se sont mis en grève pour exiger des conditions de travail décentes. Ils n’ont cédé ni à la direction ni aux intimidations venant de toutes parts grâce à leur combativité et à la solidarité de leurs collègues.Le contexte
Avec Aviapartner, Swissport détient le monopole du chargement et déchargement des avions à l’aéroport de Bruxelles-National. Il s’agit d’une multinationale suisse présente dans 38 pays et dont le chiffre d’affaire s’élevait à 1,5 milliards d’euros en 2012 (Swissinfo.ch, 21/02/2013). A Bruxelles, elle a comme principal client Brussel Airlines, qui assure 30% du trafic de l’aéroport.Les travailleurs ont arrêté spontanément le travail, le dimanche 12 mai en soirée, lorsqu'on leur a imposé, une fois de plus, de décharger 1,5 tonnes de bagages et de marchandises à deux travailleurs seulement. Cette nouvelle violation de la Convention Collective de Travail (CCT) fut la goutte qui a fait débordé le vase. Ouvriers et employés ont débrayé, ensemble, contre l’attitude agressive de la direction qui, ces derniers mois, augmentait toujours plus la charge de travail, au mépris de la CCT. Alors qu'auparavant l'équipe prévue pour un tel déchargement était de quatre ouvriers, ceux-ci n'étaient plus que trois, voire deux. Le ras-le bol venait aussi des horaires coupés qui imposent une vie impossible aux travailleurs – de 6 à 11h puis de 18 à 21h ! – sans parler des contrats temporaires et du non respect des périodes de vacances. Ajoutez à cela une ambiance détestable de pression constante sur les travailleurs et vous comprenez pourquoi les syndicats avaient déjà déposé un préavis de grève pour début mai.
Dès le lundi, les délégations syndicales d'ouvriers et d'employés se sont mises d’accord sur un cahier de revendications commun. Elles ont refusé de négocier séparément et ont informé ensemble les travailleurs de l’état de la situation. Leurs collègues de Swissport Cargo ont refusé de prendre en charge leur travail, ce qui a renforcé la grève. Les syndicats d’Aviapartner ont même distribué un tract de solidarité, soutenant les revendications des grévistes (Solidaire, 23/05/2013). Le mardi, après deux jours de grève, 7% des vols ont dû être annulés au départ de l’aéroport.
Des négociations aux menaces
Dès le lundi, les négociations débutent entre représentants des trois syndicats et de la direction de Swissport. Ces négociations difficiles se poursuivent du lundi au mercredi, sans rien donner. Mercredi midi, syndicats et patronat sont convoqués au cabinet de la ministre et un protocole d’accord est signé dans la soirée. Selon le secrétaire adjoint du Setca, ce n’est pas l’accord souhaité... « Mais bon, cela, on ne l'a jamais. Une série de promesses ont été immédiatement mises en œuvre comme la suppression des équipes de deux ouvriers. Il y a aussi des promesses à long terme. » (L’écho, 16/05/2013) Mais le jeudi matin, en assemblée, la majorité des travailleurs refusent ce protocole d’accord, car eux ne veulent pas se contenter de promesses. Ce n’est pas qu’ils souhaitent continuer à se mettre la population à dos, déjà rameutée par la presse qui n’en finit plus de montrer le « calvaire des voyageurs » et le « scandale des 20.000 bagages entassés » dans les entrepôts. Non, ils veulent seulement que leur grève serve à améliorer réellement leurs conditions de travail, qu’elle mène à un acquis solide.A ce stade de la grève, les bases syndicales ont repris la main et la lutte se durcit. Le camp patronal attaque : Brussels Airlines « évalue sa collaboration avec Swissport » (Belga, 16/05/2013) et menace de changer d’opérateur, ce qui annoncerait une restructuration du bagagiste qui perdrait son plus gros client. Le secrétaire d’Etat à la mobilité sort alors un communiqué de presse : il réquisitionne le matériel de Swissport et menace d’astreintes les grévistes. Il semble que le gouvernement réponde à l’appel du président du MR, qui parlait la veille d’un « conflit social qui s'envenime et qui prend des proportions intolérables » et rappelait le gouvernement à l’ordre : « Il est urgent que ce conflit social soit géré par les autorités du pays. » Message reçu 5 sur 5. A la sortie de l’assemblée annonçant les astreintes, c’est le désespoir et la colère. Du côté des travailleurs, les délégués syndicaux d’Aviapartner déclarent qu’ils n’accepteront pas de situations potentiellement dangereuses sur le tarmac et qu'ils arrêteraient le travail si nécessaire (Solidaire, id.). Face à cette nouvelle escalade, le grand patron (CEO) de Swissport débarque et négocie rapidement un accord avec les syndicats, en s’engageant personnellement à le respecter. Les négociateurs syndicaux retournent alors vers leurs bases avec, cette fois, des acquis concrets : respect de la CCT, pas de série de plus de 300 bagages par travailleurs lors du chargement des chariots, et, en prime, des excuses de la part du CEO pour les « erreurs du management belge » ! Dans la foulée, la FGTB (UBOT) annonce que « la grève ne sera plus soutenue demain » (L'Echo, id.). Et le jeudi, le travail reprend à 16h30.
Une victoire de la base face aux patrons et au gouvernement
Malgré la touchante sortie de Monica De Coninck au Parlement, qui évoquait les conditions de travail des bagagistes, le gouvernement nous a montré dans ce conflit sa véritable nature. L’Etat n’a pas simplement choisi son camp, comme le laisse entendre les auteurs d’une carte blanche reproduite dans Solidaire : « Mais ce qui est surtout sans précédent et inacceptable, c’est le fait qu’un secrétaire d’État, a fortiori le gouvernement, se soit rangé aussi ouvertement du côté d’une des parties impliquées dans un conflit, l’employeur. […]En effet, [les autorités] ne représentent, de toute évidence, aucune des parties. » Pour nous, c’est clair : l’Etat est dans le camp des patrons.Cette grève le montre bien. Quand la lutte dépasse le schéma classique « négociation – reprise du travail avec peu d'acquis et beaucoup de promesses » et qu'elle se durcit, le gouvernement soutient directement le patronat, car « les autorités » ne sont pas neutres mais garantissent l’intérêt des grosses sociétés, ou, si l’on préfère, « la liberté de commerce » contre la santé des travailleurs. De plus, les tribunaux s'immiscent régulièrement dans les conflits sociaux pour menacer et intimider les grévistes, ce qui valut à la Belgique d'être condamnée par le Comité européen des Droits sociaux.