Europe
Avril 2013
une drôle de revendication !
Le 30 janvier dernier, un millier de militants du secteur dit non marchand manifestaient en front commun afin de protester contre l’exclusion du secteur des nouvelles mesures de réductions de cotisations sociales. Partant du siège de la CSC, ils se sont rendus au siège de la FEB où ils ont été reçus. Ils ont ensuite rencontré le gouvernement, représenté par Joëlle Milquet.
Le secteur non marchand est touché de plein fouet par les mesures d’austérité et les réformes gouvernementales qui sont en train d’être mises en place. A terme, tout ce pan de l'économie couvert par ce secteur : aide sociale, aide aux personnes, action de réinsertion des demandeurs d'emploi, travail hospitalier, action socioculturelle, action associative ou coopérative de toutes sortes,... toutes ces activités qui seraient censées ne pas viser la rentabilité mais permettre à tou-te-s de vivre correctement, seront attaquées et mises à mal. Les emplois y sont déjà largement précaires et sous-payés. Une manifestation des travailleurs de ce secteur par les temps qui courent apparaît donc comme une évidence et une nécessité. Ce qui étonne par contre, c’est la revendication centrale mise en avant par le front commun syndical : qu'on réduise les cotisations sociales patronales...
Pour comprendre, il faut se souvenir que depuis maintenant plus de 10 ans, les gouvernements mettent en place une succession de mesures de réductions des cotisations sociales et de dispenses de versement d’une partie du précompte professionnel. Ces mesures, qui vident notamment les caisses de la sécurité sociale, étaient – et sont toujours ! – censées améliorer la compétitivité des entreprises. Or, ce qu'on observe dans le secteur marchand, c'est qu'au bout du compte, ces mesures ne créent ni ne sauvegardent aucun emploi... Qu'on évoque seulement l'impact des cadeaux fiscaux sur les perspectives d'emploi des travailleurs d'ArcelorMittal, de Ford et de Caterpillar. Cette année encore, et malgré le manque évident d’efficacité de telles mesures, le Groupes des 10, qui réunit syndicats et patronat, s’est de nouveau mis d’accord sur de nouvelles réductions, pour un montant de 370 millions d’euros. Seule nouveauté : alors qu’auparavant, le secteur non marchand bénéficiait lui aussi de ces réductions, il en est cette fois-ci exclu : toute l'enveloppe reviendrait aux seules entreprises dites marchandes. Selon le front commun syndical, cette réduction de cotisation serait précisément la mesure qui permettrait de créer plus de 1 500 emplois. C'est pourquoi, « le secteur ne demande rien de plus ou de moins que sa part de réduction de cotisations salariales. »
Ainsi donc depuis 10 ans et aujourd’hui encore, le gouvernement, les fédérations patronales et les confédérations syndicales s'accordent sur des réductions de cotisations, ce qui vide les caisses de l’Etat et affecte directement les budgets de la sécurité sociale... et les dirigeants syndicaux du secteur non marchand ne demandent rien de plus. A aucun moment, cette politique anti-sociale et hypocrite de « réduction des charges » n’est remise en question ! En se déclarant « surpris » par cette mesure, les syndicats occultent le fait que cette nouvelle proposition vient du Groupe des 10, dans lequel les représentants syndicaux sont pourtant bien présents. La CNE, notamment, affirme que cette réduction de cotisations permettrait d’engager, dans un secteur « de plus en plus soumis à la commercialisation, [laquelle] entraîne déjà des conditions de travail obéissant au rendement avant tout » (Le droit de l'employé, février 2013). Il est vrai que ce secteur se situe de moins en moins en marge des critères de compétitivité et de rentabilité qui président dans le secteur marchand. Mais combattre cette tendance passe-t-elle par la défense d'une mesure de réduction de salaire indirect, typiquement marquée par la recherche de compétitivité des entreprises ?
Pour faire entendre sa voix, le cortège s’est rendu au siège….de la FEB, lui demandant de bien vouloir partager son enveloppe ! Drôle de rencontre que celle-là ! Le PTB félicite les organisateurs et estime la réponse négative de la FEB « décevante »1 (www.ptb.be, 5 février), montrant par là qu’il y mettait quelques espoirs. Quant à nous, il nous semble qu’il est fort critiquable de réclamer que les patrons se partagent davantage un butin acquis sur les ruines de la sécurité sociale.
Nous comprenons la préoccupation des travailleurs pour l'emploi. Nous sommes nous aussi engagés dans la lutte pour l'emploi. Mais s’il est clair que le secteur, fort dispersé, doit s'organiser, s’unir et se battre pour garantir des emplois en nombre, des conditions de travail correctes et des services aux personnes de qualité, nous ne pensons pas que c'est avec une telle revendication qu'il y parviendra. Ce qu’il faut avant tout, c’est refinancer le secteur à hauteur des besoins, tout en mettant fin à ces cadeaux patronaux qui vident les caisses de la sécurité sociales et qui détruisent les mécanismes de solidarité que des générations de travailleurs ont bâtis pour assurer leur propre subsistance. L'argent nécessaire pour mettre en œuvre un vaste plan de recrutement pour le secteur non marchand existe ! Taxons les grandes fortunes, suspendons le paiement milliardaire de la dette publique, largement causée par le sauvetage des banques. Que les financiers, actionnaires et spéculateurs se serrent la cravate !