Interview de deux déléguées de la CGSP-ALR Bruxelles
Suite au meeting et aux actions de blocage de rues et de carrefour bruxellois le 19 et le 20 décembre par l'Alliance D19-20 1, nous avons interviewé deux délégués syndicales, membre de la CGSP-ALR de Bruxelles, qui font partie de l’Alliance, à propos de la mobilisation qu'elles ont faite sur leur lieu de travail. Dans cet interview, elles nous donnent leur vision du syndicat, nous parlent de leurs expériences et donnent des pistes d'actions pour une pratique syndicale combative
Presse Internationale : Comment les gens voient-ils le syndicat et quelle est l’ambiance syndicale dans ta commune ?
M- Il y a la question des personnes. Quand j'ai commencé à travailler il y a 35 ans, c'était des délégués policiers qui bougeaient. C'était des policiers qui, à un moment donné, par exemple, quand ils étaient devant des ouvriers en grève et qu'on lançait la gendarmerie, ils se sont retournés et ont défendu les ouvriers contre les gendarmes. Cela leur a valu de la prison, etc. Moi j'avais un président qui était un policier, j'ai profité de toute son expérience et j'ai vraiment appris énormément grâce à lui. On était vraiment dans l'action. Tu savais mobiliser les gens, on faisait des actions, on a créé des chants typiques pour la commune. Et plein de gens se retrouvent encore aujourd’hui, des plus anciens, et se souviennent de ces moments-là. Ils sont toujours là et sont porteurs de quelque chose. Ce sont des gens qui gravitent un peu autour de nous, qui ont eu des moments où ils en ont eu ras-le-bol parce que, c'est vrai, ce dont on a ras-le-bol c'est un peu de la bureaucratie. Ça, c'est sûr. Comment se fait-il que « le syndicat ne bouge pas ? » On leur dit : « Ok, mais les syndicats c'est nous. Donc on va bouger ensemble d'abord ». C'est un petit peu ça. C'est comme les ouvriers qui disent : « Il n'y a pas d'employé ici. » Je leur réponds que « Si, moi je suis employée. » Et eux : « Oui, mais toi, ce n'est pas la même chose. » Il y a comme ça des différences, donc il faut les mettre ensemble, qu'il y ait des discussions, provoquer un peu les débats. Les ouvriers ont déjà exprimé leur position par rapport à des employés. Il faut recréer des liens entre les gens. Ils sont pour le moment trop dispersés. Avant, il y avait beaucoup plus de concentration. Maintenant, les gens sont chacun dans leurs trucs individuels. Et aussi, il y a des gens qui sont dans des statuts très précaires aussi.
PI-« Le syndicat c'est nous », c’est une idée difficile à faire passer parmi les travailleurs ? Comment penses-tu que l’on peut faire avancer les choses dans ce sens ?
M- Pour beaucoup de gens le syndicat c'est encore un peu la mutuelle. Ce n'est pas le militantisme. Ça c'est le problème parfois. On essaie toujours d'expliquer au départ : « Si tu viens au syndicat ce n'est pas parce que tu as un problème, toi. Non, c'est pour tous les problèmes, c'est la lutte collective... » Si tu ne remets pas cela en avant, alors tu as beaucoup de gens qui viennent en choisissant le meilleur syndicat qui va défendre au mieux leur cas personnel. Nous avons des cas comme ça : « Je n'ai pas eu la promotion que je voulais, alors je vais chez les libéraux. » Finalement ils reviennent car ça n'a pas marché... car c'est pour leur cas personnel. Ceux-là, tant pis... S'ils n'ont pas compris l'autre partie, la plus importante, on continue à discuter, mais il faut aussi continuer avec ceux qui sont plus sensibles à ce côté collectif. Je pense qu'au début, dans toutes les luttes, ça ne commence pas avec la grande foule dehors qui se bat. Dans toutes les luttes, ça commence par un travail de fourmis, par des gens qui savaient ce qu'ils faisaient et pourquoi ils le faisaient et qui ont fait ce travail là. Entre délégués, ont créé des contacts petit à petit, et ça je trouve que c'est hyper important. Chez nous par exemple, Rudy Janssens (secrétaire fédéral CGSP-ALR) est vraiment ouvert aux formations solides, y compris à l'analyse politique et idéologique. J'ai vu des délégués complètement changer, avancer et réfléchir. Il y a un délégué ouvrier, qui a toujours été une grande gueule, mais on lui dit parfois « écoute, tais-toi un peu... ». Maintenant, il prend la parole, je suis émerveillée et je me dis que c'est extraordinaire car il a été se formé, et d'ailleurs il le dit lui-même « Je me suis formé, je ne connaissais pas tout ça avant... » Il s'intéresse à certaines choses plus qu'à d'autres, mais il a maintenant une vraie réflexion, une analyse. Les visites qui ont été faites à Frameries en juin et aux usines Godin ouvrent une réflexion. A partir de là, tu peux déjà créer une réflexion. Tout ça, ce sont des choses qu'on n’avait pas avant. C'est clair qu'à la CGSP, c'est parce qu'on nous a donné ces possibilités-là que des délégués ont pu saisir leur importance. Il y a des délégués qui vont aux réunions et puis ils vont à d'autres choses, mais ils ne seraient jamais venus au meeting avec Susan George (de D19-20). Nous, dans nos communes, c'est ce qu'on essaie de travailler. En même temps, je dis cela, mais je trouve que je n’en fais pas assez. C'est vrai, je me dis que je devrais y passer plus de temps. Il y a eu des périodes où tous les midis j'allais voir des travailleurs. Mais je n'ai plus l'énergie de le faire. Mais on a aussi un permanent qui doit prendre le relais. Mais tu dois avoir des gens qui peuvent expliquer les choses. Moi, je n'ai pas toujours facile pour expliquer le Traité transatlantique, il faut vraiment que la veille je remette un peu tout sur papier car ce n'est pas évident d'expliquer tout cela. Tu as des délégués qui comprennent bien, mais qui ne savent pas nécessairement l'expliquer. Par contre, le délégué ouvrier dont je parlais, lui, à l'assemblé, il a pris la parole et il a vraiment expliqué ça avec le poulet aux hormones et tout le bazar ! Et je me disais : « allez chouette ». Lui, il le dit de manière très concrète car c'est un ouvrier, et donc il est encore plus concret. Il explique encore mieux les choses. Et je crois que c'est toutes ces choses-là qui font que tu peux faire avancer les choses.
L'importance de la formation des délégués.
N- Moi j'aimerais insister sur les formations. Le jour où l’on devient délégué, on n’a encore rien appris. On devient délégué du jour au lendemain car on a été élu en assemblée générale, mais on ne sait rien pour autant, à moins qu'on se soit formé avant. Et même. On ne devient pas des experts du jour au lendemain. Les formations syndicales, sont très importantes et autant les formations utilitaires, comment mener une négociation, parler en public ou la loi sur la prévention de 1996 par exemple. Tout cela, ce sont des formations très importantes car c'est du quotidien pour les sections, pour les délégués. Mais en même temps, il ne faut pas négliger les formations idéologiques et politiques par ce que le syndicat ne se résume pas à négocier dans un bureau face au bourgmestre ou à défendre un travailleur qui est sur le point d'être licencié par la commune. Il y a tout le travail idéologique qui est tout aussi important, si pas plus important, parce que c'est cette formation-là qui va donner conscience au délégué de tout ce système, toute cette problématique qui est systémique et ça, j'ai l'impression que de temps en temps c'est négligé dans certaines centrales ou dans certains secteurs ou relégué au second plan et pas toujours volontairement. Mais, simplement, par ce qu'on est pris par le temps, car il y urgence : « Demain, il y a le comité de prévention, après-demain il y a négociation et il faut que je fasse une assemblée, car il y a une grève... » On ne peut pas se couper en 4 non plus et pourtant c'est quelque chose d'extrêmement important car ce n'est pas à l'école qu'on nous apprend les relations entre classes sociales. Et parce que ce n'est pas non plus dans les médias traditionnels qu'on apprend cela.
PI: Le côté négociation dans la fonction de délégué laisse-t-il du temps pour faire ce travail de terrain ?
N- Oui et non. Moi qui ne suis pas depuis longtemps déléguée, le travail de négociation est encore difficile. Car ça parle de textes légaux, ça parle de statuts, etc. Il faut s'y mettre, moi je ne suis pas du tout juriste. C'est un domaine, c'est un langage à apprendre, c'est toute une série de choses avec lesquelles il faut s’habituer et ça, c'est compliqué. On suit des formations, mais tout ne peut pas être appris dans nos formations et la négociation s'apprend aussi sur le terrain.
Et ce que je veux ajouter aussi, c'est qu’en théorie, avant toute négociation, on est censé rassembler le personnel et demander quel est le mandat qu'ils nous donnent en tant que délégué, en tant que représentant du personnel. Parfois on le fait, sur certaines choses très très importantes, mais sinon, la plus part du temps, il y a urgence et l’on n'a pas le choix. La plupart du temps, l'employeur nous donne 10 jours à l'avance la date de la négociation avec l'ordre du jour, parfois avec des explications, parfois pas. Et donc, même avec toute la bonne volonté démocratique qui nous anime, c'est parfois très compliqué d'organiser tout cela, en temps et en énergie.
PI: Comment pensez-vous qu'on peut motiver les travailleurs pour aller à des actions, comme vous l'avez fait pour le D19-20 ?
M- C'est vraiment important que les délégués aillent vers les travailleurs. Cela peut se faire de différentes façons mais, pour moi, la meilleure c'est de le faire par les contacts en direct. Même si tu peux le faire par mail, pour ceux qui ont des mails. Mais surtout quand ils se retrouvent ensemble, car c'est quand même quand tu crées des assemblées que, surtout s'il y a des réactions, d'autres travailleurs entendent ceux qui réagissent. Il y a une sorte d'émulation. Je pense que c'est important les assemblées d'affiliés ou du personnel. Chez nous, l'assemblée du personnel, c'est tout simple, on avertit tout le personnel, ils viennent et là on explique et on leur donne la parole en réaction. Et les assemblées des affiliés, quand on doit éventuellement passer à des votes pour certaines choses, on essaye qu'il y ait toujours des intervenants extérieurs sur un problème plus idéologique, avec une portée liée à ce qui se passe au niveau de la société, pour qu'il y ait des liens qui se fassent avec l'extérieur. Certains délégués sont un peu réticents. Ils disent : « si l’on fait venir quelqu'un, il ne reste plus assez de temps pour parler de ce qui se passe. Est-ce qu'il faut vraiment faire quelque chose qui touche la globalité ? » Mais c'est important, et après ils sont toujours contents, mais sur le coup, ils ont peur de ne pas avoir le temps. Parfois quand on a des choses plus importantes à débattre au niveau de la section, on passe un petit film très court. Là, il y a souvent des choses très intéressantes.
N- Tu avais aussi invité à une assemblée générale Marco Van Hees sur la fiscalité : un bijou !
M- Oui, à ce moment-là j'avais demandé si c'était possible de faire une invitation aux autres délégués d'une autre commune. Il y en avait quelques-uns qui étaient venus et c'était chouette : essayer d'initier petit à petit des ouvertures. C'est vraiment parce qu'on a un secrétaire fédéral qui est ouvert à cela. Car moi, ce que j'ai vécu dans le temps, c'est que c'était interdit. Il n'était pas question de faire ce genre de chose, de faire venir quelqu'un d'extérieur. C'est tout cela aussi qui fait qu'on peut faire des choses. Le secrétaire, il a été élu par des gens qui l'ont vu quand il était délégué et qui ont trouvé que c'est quelqu'un qui intervenait bien au bureau exécutif, qui n'avait pas peur de dire ce qu'il pensait face au secrétaire de l'époque, etc.
« Incompréhension » entre la base et la hiérarchie syndicale
Pour revenir à l'alliance D19-20, au niveau de la CGSP-ALR, il eut un appel de la direction, ça c'est clair et net, avec un soutien de toutes les informations et de propagande qui pouvaient être faites autour du blocage du Sommet. Au niveau des sections, il y a certaines sections qui ont essayé de faire ce qu'elles pouvaient, en faisant des assemblées générales. Dans certaines sections, comme chez nous, ça a marché plus ou moins bien. Dans d’autres sections, il y a des délégués qui essaient, mais ce n'est pas évident. Mais si tous les délégués l'avaient fait, car normalement c'est leur rôle, ils auraient dû être présents, et l’on aurait eu 700 délégués présents à l'action. Là, il y a un gros problème au niveau des délégations. Je pense qu'il y a vraiment un travail à faire au niveau des délégués en leur disant : « Mais, pourquoi êtes-vous délégués, finalement ? »
N- Et l’on en revient à l'importance de la formation idéologique qui, manifestement, est parfois manquante ou alors c'est autre chose le problème... Par rapport à l'effort de mobilisation, au niveau micro, il faut continuer la mobilisation dans les sections par les délégués, dans les administrations et les lieux de travail, etc. Mais aussi au niveau de la hiérarchie de la FGTB où, là c'est un peu une incompréhension, pour le 19 décembre. Que s'est-il passé ? Pourquoi n'ont-ils pas voulu participer ? Pourquoi n'ont-ils pas voulu nous soutenir ? On peut émettre des hypothèses. Ni La FGTB-Bruxelles, ni les métallos, etc. Il n'y avait que les ALR, il n'y a pas eu un appel des autres centrales, ni es autres secteurs de la CGSP. Oui, il y a bien eu quelques délégués par-ci par-là, mais il n'y a pas eu d'appel. C'est un peu à nous, délégués, militants de la base, à faire pression sur nos permanents, à nous faire entendre de la hiérarchie syndicale. Mais il faut faire pression sur eux de plus en plus pour leur montrer que c'est nous qui faisons le syndicat. C'est nous, les affiliés, qui faisons le syndicat, avec les délégués de la base, et ce ne sont pas eux dans leurs bureaux qui vont décider ce que doit faire la FGTB ou pas. Il faut que ça cesse. Et le meilleur moyen pour cela, c'est de faire remonter cela en motions, en requêtes vers nos bureaux exécutifs qui eux-mêmes le relaierons t vers les bureaux fédéraux. Je pense qu'il est grand temps qu'on se préoccupe de la démocratie syndicale dans son entièreté, au niveau régional et au niveau fédéral. Nous, on essaye de créer de la solidarité au quotidien avec les travailleurs et entre délégués de différentes Centrales, entre différents secteurs. Alors, il faudrait que la FGTB nous montre aussi qu'ils peuvent unir les secteurs. C'est là aussi qu'ils peuvent agir en tant que hiérarchie syndicale, et ça, ils ne nous le montrent pas.
« Y’en à marre des promenades Youkaïdi Youkaïda »
M- Mais d'un autre côté, quand on appelle à l'action, quand on essaye de mobiliser, quand on dit « oui, on doit être nombreux... », le personnel nous dit « oui mais à la dernière action on était pas très nombreux, parce qu'il n'y en avait pas beaucoup d’autres communes qui étaient là! » Car on dit toujours, si toutes les communes étaient ensemble... Et puis, ils arrivent à la manif et ils voient un petit groupe de 200 personnes et ils sont déjà 20 eux et se disent : « Où sont les autres de Bruxelles ? » Donc moi, ce que j'essaye de dire c'est qu'on s'en fout qu'on soit nombreux ou pas finalement. On doit essayer de tout faire pour être nombreux, mais même si l’on n’est pas nombreux, l'important c'est notre détermination, c'est ce qu'on va dire. Y'en a marre des petites promenades « Youkaidi, youkaida » où, même quand on est des milliers, mais qu'on ne fait pas passer vraiment un message. Il y a des manifestations où les gens de la commune étaient venus, et l’on n’était pas nombreux. Notamment au mois de juin contre l'austérité. C'était un manif où l’on n’était pas énormément mais elle était vraiment combative. Il y avait des mots d'ordre et les gens qui sont venus avec nous étaient vraiment très contents. Ils nous ont dit : « Pour une fois, on a dit des choses, c'était déterminé! » Après, nous on s'est dit, dans le fond ce qu'il faut, ce n'est pas dire, au départ qu'on sera des milliers et des milliers. Il faut attirer un maximum de monde, mais à la limite, ce n'est pas grave. Le plus important est ce qu'on va aller dire, qu'elle est notre combat. C'est vrai qu'il y eut une époque ou on disait : « Et vous verrez, il y aura toutes les communes » et on se retrouvait peu nombreux. Les gens étaient vraiment démoralisés. C'est toujours un peu difficile. Je pense qu’il ne faut pas le prendre comme cela. Nous, maintenant on dit : « Voilà, on construit petit à petit. » Aujourd'hui, il y en avait 10 de chez nous, demain, il y en aura peut-être 15 et après demain, quand les gens auront plus de conscience, ce sera peut-être beaucoup plus. A ce moment-là, ça changera peut-être. Car sinon on se démotive. Mais c'est la détermination des délégués qui est importante. Si tous les délégués étaient réellement conscients de tous les enjeux de la société et motivés, ils n'hésiteraient pas une seule seconde à venir. Donc c'est qu’ils ne sont pas assez conscients.
N- Malheureusement, ce n'est pas rare de croiser des délégués qui ont des propos de droite ou libéraux, voir même pire. On en revient encore une fois à la formation idéologique et politique. Encore une fois, elle ne vient pas toute seule, il faut aller la chercher. Mais cela doit être volontaire, car si un délégué ne veut pas, il n'apprendra rien. Ça pose la question de : « pourquoi devenir délégué, qu'est ce qu'on a comme objectif ». Cela pose la question de la militance en fin de compte.
M- Et surtout de se retrouver à plusieurs. Bon, si tu vas en négociation tout seul, ben... tu es tout seul. Si déjà tu es à 3 délégués, tu as une autre force. Même si un délégué me dit : « Moi, tu sais je n’ose pas prendre la parole. » Je lui dis que ce n’est pas grave : « tu es là à coté de moi, j'en ai besoin. » C'est la même chose dans les actions. Si l’on va dans certaines communes, il faut aller à plusieurs d’autres communes, soit distribuer des tracts, soit prendre la parole en assemblée générale parce que ça motive beaucoup plus et ça donne du courage. Si tu es un peu isolé, ce n'est pas facile. C'est ce qu'on essaye de faire maintenant.
(1) www.d19-20.be