Adieu camarade et ami Didi !
Un parti n’est pas seulement fait d’un programme, d’une politique et de statuts. Il est aussi fait de ses traditions. Traditions d’interventions collectives dans les grandes luttes, dans les grands combats politiques. Et aussi des exemples individuels de ses cadres et de ses militants. Hier dans la matinée, Dirceu Travesso est décédé.A ses côtés, sa compagne Marta. Ainsi Didi (comme nous l’appelions), Dirceu (pour sa famille) s’est incorporé aux traditions du PSTU, de la LIT, de la CSP Conlutas et du mouvement syndical.
Didi était un de ceux que Brecht appelait les « indispensables ». Un de ceux qui militent tous les jours, toute leur vie. Une figure qui a dédié toute sa vie à un projet collectif, quand la majorité absolue de sa génération cherchait une solution individuelle. L’idéologie individualiste imposée par le capital pousse à ce que les gens passent leur vie à obtenir une place, un appartement, une automobile.
La majorité croit qu’un militant comme Didi est une personne étrange. Comment dédier le meilleur de son temps et de ses efforts à la lutte collective ? Cependant, ces « indispensables » obtiennent avec leurs vies non seulement des réalisations collectives, mais aussi un élément subjectif, individuel, inestimable. Ils parviennent à donner un sens à leur vie, celui d’avoir participé à la grande lutte pour changer le monde.
Lors de la fondation de la IVe Internationale, voici ce que Trotsky disait dans un discours : « Oui, notre parti nous prend entièrement. Mais en compensation, il nous donne la plus grande des satisfactions, la conscience de participer à la construction d’un futur meilleur, de prendre sur nos épaules une minuscule part du destin de l’humanité et de ne pas vivre en vain. »
Combien de ceux qui passent leurs vies à acheter des choses, à obtenir des postes, peuvent regarder derrière eux à l’approche de la mort et se sentir fiers de ce qu’ils ont fait ? Didi le pouvait, et cela lui donnait la sérénité et le courage avec lesquels il fit face à la sentence de mort du cancer. Il aida à construire la CSP Conlutas, le PSTU, la LIT. En prenant part à cette lutte collective, il était également conscient de n’avoir pas vécu en vain.
Il commença à militer en 1977. Il fut leader estudiantin dans les mobilisations de la fin de la dictature et fut arrêté sous la Loi de Sécurité nationale. Il travailla à l’usine à Volta Redonda, centre de la résistance prolétarienne. Il fut dirigeant des grandes grèves bancaires dans les années 1980. Au long de ces années, il gagna l’admiration de plusieurs générations de militants combatifs, et le respect de ses adversaires. Ce n’est pas un hasard que nous ayons fait cette cérémonie d’adieu dans le Syndicat des travailleurs bancaires de San Pablo, avec la présence de la direction de la Grève nationale des travailleurs de banque et de la direction de la grève de l’Université de San Pablo, qui ont interrompu leur réunion pour dire adieu à Didi.
Il y eut plus de 1000 personnes rassemblées pour cette cérémonie, la grande majorité composée par ses camarades du PSTU et de la CSP Conlutas. Mais il y eut aussi la présence de pratiquement tous les partis de la gauche brésilienne, comme le PT, le PSOL, le PCB et de PCdoB, en plus de la CUT, l’Intersyndicale et la CGTB.
Didi fut un internationaliste concret. Ce fut une partie centrale de ses activités, particulièrement au cours des dernières années. Il a été à la Place Tahrir en Egypte, en Palestine occupée. Il fut le fondateur et un des principaux organisateurs de la rencontre du Syndicalisme alternatif, qui réunît des dizaines d’organisations syndicales des Etats européens, d’Amérique, d’Afrique, du Moyen-Orient et d’Asie, de presque 30 pays, en mars 2013, en France. Ce n’est pas un hasard si à son enterrement furent lus de nombreux messages émouvants de pays du monde entier. Les plus émouvants vinrent d’Afrique du Sud et d’Espagne.
Aujourd’hui, à la cérémonie de crémation de Vila Alpina, le cercueil était couvert des drapeaux de ses passions : le PSTU, la LIT, la CSP Conlutas et le club de football « Corinthians ». Son père disait qu’on pouvait savoir combien une personne était aimée par le nombre d’amis qu’elle avait. « Et le rassemblement d’hier, mon fils, a montré que tu as aimé beaucoup. »
Il y a presque cinq ans, Didi se préparait pour prendre la parole à une des rencontres nationales qui menèrent plus tard à la construction de la CSP Conlutas. Il tomba et ne put continuer. Deux jours plus tard, il fallut l’opérer pour extraire une tumeur qui lui obstruait les intestins.
C’était le début d’une dure lutte contre le cancer. Un autre exemple : A aucun moment ses camarades n’entendirent une plainte ou une lamentation. Pour ceux qui étaient étonnés de voir que son corps devenait chaque fois plus maigre, il avait un énorme sourire. Nous avons tous des problèmes dans la vie. Certains en ont plus, d'autres moins. Mais combien feraient face à ce type de problème avec la joie de vivre et la force de ce camarade ? Combien affronteraient quatre opérations et trois chimiothérapies sans en arriver à de l'auto-apitoiement, sans baisser la garde ?
L'après-midi de la veille de la réunion de Paris, Didi eut une violente crise de douleur. Il fut transporté à l'hôpital, où je l'ai trouvé sur une civière de garde, avec un sourire ironique. Pendant la nuit, le médecin français voyait d'un mauvais oeil le scan de l'abdomen. Ne connaissant pas le cas, il prit peur. Il donna à Didi deux possibilités : soit être hospitalisé là même ou sortir avec une très forte dose d'analgésiques pour être traité plus tard au Brésil. Didi n'a pas hésité. Il reçut les médicaments et sortit. Mais il n'était pas préoccupé par un retour au Brésil, mais par la réunion du lendemain. Il a parlé dans son discours d'ouverture et personne, en dehors de ceux qui étaient avec lui à ce moment, ne sut le drame de la nuit précédente. Son sourire fut ce que virent les centaines de personnes venues du monde entier.
Il garda cette attitude jusqu'à la fin. Dans ses derniers jours, il nous dit, à sa compagne Marta et à moi, que le jour de sa mort, il ne voulait pas des pleurs, mais une fête.
Il est impossible de ne pas pleurer, Didi. Mais la fête qu'il voulait (un rassemblement politique de célébration de la vie et de la lutte) fut ce qui s'est passé hier au Syndicat des travailleurs des banques. Plus d'un millier d'hommes et de femmes, nouveaux et anciens militants, pleurèrent et clamaient : Camarade Didi, présent !
Adieu, mon camarade et ami.