1er mai 2016
Reprendre le chemin de la grève, en l’organisant à la base
Dans son Accord de gouvernement d’octobre 2014, le gouvernement Michel annonçait qu’il préparerait « l’ouverture du marché du transport national de voyageurs sur le plan législatif et réglementaire », le dernier « paquet ferroviaire » exigé par la Commission européenne pour libéraliser complètement le rail. Et l'objectif est avoué explicitement : « Simultanément, une préparation des entreprises publiques ferroviaires en interne à la libération du marché sera menée. »
C'est bien ce que fait le gouvernement en imposant le « protocole d’accord social », négocié avec les directions syndicales, mais loin d’être accepté par la base. Il dit qu'il « demeure attentif à la nécessité de garantir des transports publics de qualité, axés sur la demande et au meilleur coût », mais la logique est la même que dans le cas d’autres entreprises publiques (la Poste, Belgacom…) et c'est ce qui se passe aussi dans d’autres pays européens : à travers les gouvernements, le patronat attaque le statut du personnel et divise la société en morceaux pour les vendre aux multinationales, qui d'ailleurs l’ont déjà pas mal grignotée, via les filiales. Et avec ou sans la ministre Galant, le gouvernement reste bien décidé à passer en force.
Solidarité avec Jordan
Dans notre numéro précédent de En Lutte, nous menions campagne en soutien à Jordan Crœisaerdt, accompagnateur de train et délégué de la CGSP-Cheminots. Et ce soutien est actuellement toujours de plus en plus nécessaire !Le 18 mars, le meeting à la Régionale bruxelloise de la CGSP contre la répression de syndicalistes, dans lequel son cas était particulièrement mis en avant, fut un grand succès. Le 4 avril, la salle du tribunal était plus que pleine lors de l'audience remettant en cause l'astreinte de 1700 € qui lui avait été infligée suite au piquet de grève du 6 janvier. Mais la Direction de la SNCB continue sa persécution et le sanctionne, le 11 avril, d'une « suspension de fonction pour 3 mois » ! Une sanction dès plus graves, juste en dessous de la révocation définitive, et qui restera bien entendu dans son dossier personnel.
Les faits qui lui sont reprochés arbitrairement ne sont, en réalité, qu'une couverture pour le vrai motif de la sanction. En tant que délégué syndical, Jordan se bat quotidiennement pour la défense des conditions de travail et participait en ce sens à la grève contre le protocole d'accord social. A un moment où la SNCB veut imposer le « one mans car », l'activité syndicale d'un accompagnateur de train dérange la Direction de la SNCB ! Et elle le sanctionne donc de façon exemplaire !
La défense de Jordan fait intégralement partie de la lutte contre le « plan Galant », c'est à dire contre la politique d'austérité du gouvernement pour le rail. Les syndicats doivent prendre cela plus au sérieux en organisant la mobilisation pour exiger l'annulation des poursuites !
Chronique d’un passage en force
Suite à la grogne de la base contre le protocole d’accord, un préavis de grève est déposé par les instances nationales de la CGSP et de la CSC le 9 décembre, et celui-ci prévoit une grève de 48 h les 6 et 7 janvier et une possibilité de grève de 72 h fin janvier. La Direction réagit en menaçant de ne plus payer le salaire des permanents syndicaux à partir de janvier s'ils ne signent pas le protocole. Cette menace est de nouveau brandie en mars avec la deuxième version du protocole : « Le solde de décompte de la convention syndicale 2015 sera diminué du coût de la rémunération des délégués permanents et du coût des congés syndicaux à partir du 1er janvier. »[1] Ce chantage est malheureusement possible, car le financement de nos organisations ne dépend pas uniquement des cotisations des affiliés, mais aussi du patronat et du gouvernement, via les « fonds » sectoriels.
Dans ce contexte, les négociations se passent mal. Les Directions d’Infrabel et de la SNCB ne viennent pas à la réunion de conciliation du 14 décembre, et deux jours après, elles provoquent les cheminots en faisant passer en force trois articles du protocole pour une mise en application dès le 1er janvier, soit avant la grève annoncée. La Direction – malheureusement en accord avec les syndicats – fait appel au ministre de l’Emploi, Kris Peeters, pour envoyer un conciliateur. Et elle pose comme condition préalable pour « ouvrir le dialogue » qu’elle avait elle-même bafoué, que le préavis de grève soit levé. Bref, encore du chantage.
Une grève réussie, malgré les attaques et les trahisons
Rappelons que le 18 décembre, dans la presse, Michel Abdissi exigeait à juste titre qu'une condition, pour envisager de lever le préavis et de discuter, fût de « repartir d’une page blanche sur tous les dossiers » (y compris le protocole et les trois articles imposés en force).
A ce moment, le bras de fer tient bon. Mais comme lors des grèves régionales du mois d’octobre, le 31 décembre, coup de théâtre : une semaine avant la grève, sous la pression médiatique et politique, le front commun se scinde. L’ACV se retire et, une heure après, Ludo Sempels s’empresse à déclarer que l’ACOD ne fera pas grève non plus. Et le gouvernement est très content d'annoncer lui-même la « grande nouvelle » dans la presse, via son ministre Kris Peeters. Les responsables syndicaux qui ont abandonné la grève essayeront de s'expliquer, mais nous devons nommer un chat un chat : ils trahissent la lutte syndicale et affaiblissent le combat des cheminots, alors en pleine montée. On a pu constater toutefois que cela ne faisait pas l’unanimité dans toutes les régionales de l’ACOD, ni chez tous ses affiliés et militants, bien entendu... La Régionale de Bruxelles a, par exemple, continué à soutenir publiquement la grève.
Rappelons le caractère historique de cette grève, car, en effet, il n’y avait pas eu une grève de 48 h à la SNCB depuis les grèves du service public de début 1980 ! Globalement, malgré les grandes difficultés avec la présence des huissiers, la grève est une réussite, tant pour la circulation des trains (arrêt de 90 % au Sud et 40 % au Nord) que pour le suivi des cheminots (pour la CGSP-ACOD : 35 % de grévistes francophones et 20 % de grévistes néerlandophones). Notons aussi les 60 % de grévistes chez les accompagnateurs de trains à Anvers : des travailleurs néerlandophones qui, en plus de s’opposer à leur employeur, s’opposent aux directives de leur représentant syndical, et à des menaces dont ont été victimes certains de la part de permanents s’ils participaient publiquement à la grève ! D'autre part, il y a également eu la présence de grévistes de la CSC sur les piquets.
Sacrifier Galant pour sauver son Plan !
Jacqueline Galant démissionne et quelques jours plus tard François Bellot reprend ses fonctions. « Nous espérons qu'il va revoir le plan stratégique de Jacqueline Galant... », déclare Marianne Lerouge, responsable à la CSC-Transcom (cheminots). « On espère qu'il pourra calmer les ardeurs des dirigeants du groupe... », entend-on de Philippe Dubois, secrétaire permanent à la CGSP-Cheminots Bruxelles.[1] Peut-on espérer un changement significatif de politique avec ce changement de ministre ?Un spécialiste MR de la liquidation de la Sabena[2] remplace une ministre MR devenue gênante, dans un même gouvernement, somme toute (il faut bien l'avouer) très robuste, qui laisse peu de marge à la contestation et qui remplit successivement et méthodiquement les objectifs de son accord de gouvernement.
François Bellot a fait jusqu'ici peu de déclarations et reste très prudent. Il est réputé « fin connaisseur de la SNCB » et « homme de dialogue »… mais rien ne permet d'avancer sérieusement l'hypothèse de l'abandon du plan Galant, ni d'une politique plus « sociale », au contraire !
Le MR lui-même est très clair sur ce point : avec ce changement de poste, son souci est « de garantir la stabilité du gouvernement et la continuité de son action », avec notamment « la poursuite de l'indispensable modernisation de la SNCB. » Et sa conclusion est sans appel : « Au gouvernement fédéral, François Bellot contribuera à garantir la sérénité dans ces différents dossiers et il n'aura aucune difficulté à prendre de la hauteur pour faire aboutir les importantes réformes prévues dans l'accord de gouvernement. »[3]
Rappelons quelques points essentiels de cet accord de gouvernement concernant les chemins de fer. Il prévoit : « une plus grande liberté tarifaire... » (comprenez, une augmentation du prix des billets) ; « l’ouverture du marché du transport national de voyageurs... » (le quatrième et dernier des « paquets ferroviaires » décidés en 1996 par la Commission européenne pour la libéralisation en vue de la privatisation) ; « une préparation des entreprises publiques ferroviaires, en interne, à la libération du marché » (la destruction progressive du statut) ; «...formuler, en concertation avec les partenaires sociaux, une proposition visant à prévoir un service garanti en cas de grèves. Si aucun accord n’a été trouvé dans un délai raisonnable, le gouvernement prendra lui-même une initiative législative » (une attaque au droit de grève) ; etc.[4]
Un changement de ministre, oui, un probable changement de style, oui, mais pour mieux appliquer le même plan. Ce serait une grave erreur d'en attendre un changement de politique et de diffuser un message en ce sens, car le démantèlement de la SNCB continue tous les jours sur le terrain et va se poursuivre, et la mobilisation contre le « plan Galant », alias « plan Bellot », doit continuer !
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[1] L’Echo, 19.04.2016)
[2] François Bellot a été Commissaire de la Commission d'enquête sur la faillite de la Sabena.
[3] www.mr.be, Actualité, du 17.04.16.
[4] Accord de Gouvernement, 9.10.2014, point 10.2
Après avoir négocié en vain… les directions syndicales abandonnent le combat.
Au lendemain de cette grève réussie, le président de la CGSP Cheminot doit avouer que « l’ambiance des négociations a changé », et un nouveau calendrier de négociation est alors fixé. Mais loin de « repartir d’une page blanche », le protocole reste sur la table, avec les mesures les plus contestées, la CGSP n’ayant pas maintenu son exigence. Et les négociateurs syndicaux ont repris les discussions sans jamais appliquer le préavis de grève de 72 h, ni même en organisant la moindre action.
Ainsi, alors que le bulldozer Michel « rase gratis » les conditions de travail et détruit notre service public chaque jour un peu plus, les directions syndicales, loin d'organiser la lutte, découragent les actions sous prétexte de « l’absence de front commun ». Actuellement, le protocole est passé, pourtant rejeté par la CGSP, mais accepté par la CSC-ACV, malgré le fait que son aile francophone l’avait rejeté massivement.
Dans ce contexte d’attaques, la Direction de la SNCB monte au créneau : une action « pas de train sans accompagnateurs » – qui visait à dénoncer la circulation de trains sans personnel d'accompagnement (un personnel qui remplit notamment des fonctions de sécurité) et consistait au port d'un badge (et souvent 2, celui de la CSC et celui de la FGTB !) par les accompagnateurs – est tout simplement « interdite ». Cette action syndicale, qui devait se limiter à une semaine fin octobre, a continué jusqu’en mars ! Malheureusement, la seule réaction de la CGSP face à l’interdiction était de « constater une action regrettable » de la direction,[2] alors qu'elle aurait dû contre-attaquer, en appelant à défendre les travailleurs qui s'investissent dans cette lutte en prenant des risques quotidiens avec le port du badge.
Une lutte unitaire à la base est indispensable.
La grève réussie de janvier montre bien que les cheminots sont prêts à se battre, malgré toutes les difficultés. Ce qu’il faut, ce n’est pas attendre un front commun, ou des mots d’ordre venu d’en haut, mais bien décider dans des réunions et des assemblées de faire un bilan de la lutte contre le plan Galand et le protocole. Et sur base de ce bilan, discuter et voter un plan de lutte contre la politique d'austérité pour le rail, un plan qui exige des instances syndicales une grève de 72 h reconductible par des assemblées générales. Pour mener une telle grève, nous pensons qu’il faudrait élire dans chaque ville un comité de grève ouvert à tous, composé de camarades chargés de l’organisation concrète de la grève, et ainsi garantir la coordination et la réussite du mouvement.
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[1] L'Echo, 10/03/16.
[2] Communiqué du 25.03.2016, www.paroledecheminot.be.