10 octobre 2016
PDF
SNCB :
Leçons d’une grève historique
Le 25 mai dernier, des cheminots sont partis en grève spontanée pour défendre leurs conditions de travail. Le motif qui a déclenché l'arrêt de travail fut la publication d'un nouveau règlement, la veille, qui représentait de fait une perte de minimum deux jours de récupération d’heures supplémentaires par an, à comprendre dans un contexte plus général de privatisation du service public... Pendant 10 jours, ils se sont organisés autour des piquets de grève. Ils n'ont pas obtenu le retrait du règlement, mais cela n'empêche que ce fut une expérience sans précédent depuis les grandes grèves des services publics au début des années ‘80. Les représentants syndicaux ont tout de suite essayé de prendre en main la direction de la grève et de marginaliser les travailleurs réunis aux piquets. Nous revenons sur ce combat historique pour essayer d'en tirer des conclusions, afin de mieux organiser nos luttes à venir et nous donner plus de chance de victoire.
Petit rappel des faits
Il y a une vingtaine d'années, les syndicats et la SNCB avaient conclu un accord de diminution du temps de travail, pour tous les agents, de 38 heures à 36 heures par semaine, avec diminution du salaire. C'était afin d'engager plus de personnel, disaient-ils. Mais « pour des raisons pratiques d’organisation du travail », 38 heures devaient toujours être prestées. Et en échange, au début de chaque année, 13 jours de repos supplémentaires étaient automatiquement octroyés, appelés des « Jours de Crédit ».
Le mardi 24 mai 2016, l’employeur des cheminots (HR-Rail) publie une circulaire par laquelle ces 13 jours ne sont plus octroyés automatiquement, mais liés au nombre de jours de présence sur le lieu de travail. Un travailleur se voit retirer un jour de ces 13 jours de crédit par 18 jours d'absence cumulés, quel que soit le motif : maladie, congé, récupération d'heures supplémentaires, etc. Cette circulaire est de fait une remise en cause de cette « diminution du temps de travail », mais avec maintien de la diminution de salaire, et tout cela dans un contexte de manque de personnel généralisé !
Cette circulaire n’est toutefois que la goutte qui a fait déborder le vase. La SNCB est en profonde mutation vers la privatisation et le démantèlement des conditions de travail. Avec le plan ferroviaire de l'ex-ministre Galant, le gouvernement vise entre autres à réduire la dotation pour le rail de 20 % et notamment à supprimer 20 % du personnel sur le temps de la législature. Les cheminots s’étaient déjà battus en octobre 2015 contre ce « plan Galant ». Il faut se souvenir aussi de la grève de 48 h les 6 et 7 janvier 2016, contre le protocole d’accord social qui n’avait d’autre but que de faire avaliser par les syndicats une hausse de la productivité sans augmentation de salaire. Le protocole a ensuite été négocié en coulisse, et approuvé le 20 avril avec le vote favorable de la CSC. La CGSP avait gardé patte blanche en votant contre, mais elle n’a proposé aucune nouvelle action après la grève de janvier. La réduction des jours de crédit était déjà envisagée en décembre et devait se trouver sur la table de négociation en début d’année, mais sans résultat...
C’est donc dans ce contexte d’attaques importantes des Directions, de reculs concrets et quotidiens des conditions de travail et de destruction du service public, ainsi que d’une inefficacité des syndicats dans leur stratégie de concertation, que des cheminots ont décidé, courageusement et de manière exemplaire, de passer à l’action pour le retrait de cette circulaire.
A la fin de la grève, le calcul pour la suppression des jours de crédit a été revu : il ne concerne plus que les absences pour maladie à partir de 2017, et ce n'est qu'un jour par 28 jours d'absence cumulés. Mais d'autre part, un jour férié est supprimé dès 2016, et un deuxième le serait en 2017. Et si la modération dans la perte des jours de crédit ne concernait que les agents statutaires, la perte de jours fériés concerne tout le personnel, en particulier la nouvelle génération avec plus de contractuels. Finalement, même parmi les grévistes eux-mêmes, on retrouve beaucoup de déçus, à cause du résultat, mais aussi à cause de la manière dont le mouvement de grève a été mené.
Un fort mouvement spontané, détourné par les directions syndicales
Les cheminots des ateliers ont été les premiers à partir spontanément en grève. Ils ont improvisé des piquets sur les lieux jugés les plus stratégiques : les ateliers, les dépôts, les cabines de signalisation, les gares. Et ils ont commencé à s'organiser dans un groupe facebook. Puis le mouvement s’est étendu à travers le pays, au Sud et au Nord. Outre les travailleurs des ateliers, où les conditions de travail à pose sont très pénibles, les accompagnateurs de train, fortement visés également par le plan Galant, ont été particulièrement impliqués. Mais nous retrouvions finalement des grévistes dans tous les métiers. De 30 à 70 % de grévistes dans les ateliers néerlandophones, jusqu'à 100 % dans des ateliers francophones. Les trains complètement à l'arrêt en Wallonie, et partiellement en Flandre.
Les directions syndicales ne s'y attendaient pas. Mais elles n'ont pas tardé à « reconnaître » la grève et à s'en occuper. C'était leur devoir, mais reste à voir de quelle façon elles l'ont fait. Il était de leur responsabilité de déposer et de défendre un préavis de grève à long terme pour éviter toute sanction aux grévistes, d’organiser des relais aux piquets pour tenir sur la durée, de prévoir des tracts destinés aux non-grévistes et aux voyageurs, d’expliquer clairement dans la presse les raisons de la grève et le processus de privatisation, de lancer un appel de solidarité aux autres secteurs, etc. Et surtout, elles auraient dû renforcer le travail des assemblées sur les piquets et y soutenir l'organisation de cette masse combative de travailleurs, qui exprimait un ras-le-bol depuis trop longtemps contenu.
L’organisation d’assemblées du personnel sur les piquets fut une très bonne initiative, et sans précédent. Elles avaient pour but d’analyser les premières propositions d’accord issues des négociations, et de décider de la suite à donner au mouvement. C'était aux assemblées de décider, démocratiquement, avec tous les travailleurs, affiliés à tel ou tel syndicat ou tout simplement non-affilié, et de faire exécuter ce qui était voté par majorité. Mais il s’est avéré que les « instances syndicales » se sont réservé l'exclusivité des décisions, prises en huis clos, et dont les travailleurs étaient « informés » par la suite, souvent via presse interposée.
Le groupe facebook était une bonne initiative pour mettre en marche le mouvement et échanger des informations sur l’évolution des piquets et de la grève. Mais nous pensons qu'il manquait une organisation plus poussée, la constitution d'un vrai Comité de grève, autonome, qui convoque des assemblées dans lesquelles les travailleurs décident démocratiquement le chemin à suivre et font par la suite respecter les décisions prises.
Et nous savons que, pour cela, nous ne pouvons malheureusement pas compter sur nos directions syndicales, trop soucieuses d'être eux les porte-paroles d'une grève qui leur passait sous le nez.
Le comble est que le secrétaire général néerlandophone de la CGSP, Ludo Sempels, faisait partie des négociateurs, alors qu’il avait condamné publiquement la grève ! Comment pouvait-il représenter sérieusement les grévistes dans cette situation ? Et l’aile francophone de la CGSP, plutôt que de désavouer Sempels, a préféré éviter toute critique à son égard au nom de l'« unité du secteur ». Mais « l’unité » pour faire quoi ? S’unir pour défendre une grève et organiser la lutte, ou pour collaborer avec le patron ? Dans une grève on se positionne d'un côté ou de l'autre de la tranchée.
Pourquoi des grévistes des ateliers, par exemple, n’auraient-ils pas pu aller négocier ? Nous pensons que le résultat de la grève aurait été tout autre et bien meilleur si les grévistes avaient élu leurs négociateurs dans les assemblées aux piquets.
Dans une lutte, la victoire n'est jamais garantie d'avance. Mais ce n'est pas la combativité des cheminots qui manquait. Nous sommes convaincus que la constitution d’un Comité de grève autonome, élu par les grévistes sur les piquets, aurait pu diriger et organiser le mouvement dans une voie plus en accord avec cette combativité, et obtenir de meilleurs résultats. Beaucoup se sont rendu compte des limites de leur organisation syndicale pour mener la lutte vers la victoire. C'est une très bonne chose. Mais le danger est que cela mène à la résignation, voire à l'abandon du combat. Dans cette grande grève, la spontanéité et les assemblées aux piquets ont été une avancée très importante dans l’expérience des cheminots. Reste à en tirer les conséquences. L'avalanche des mesures d'austérité imposées par le gouvernement et les patrons continue. A nous de mieux nous organiser pour y faire face. Le combat contre l’austérité du rail est loin d'être fini.
Vive la combativité des cheminots pour un vrai service public !
Une victoire pour Jordan !
Les juges du tribunal de première instance de Bruxelles ont reconnu qu'il y avait un vice de forme sur la manière dont l'huissier a tenté de remettre l'astreinte au délégué CGSP-Cheminots Jordan Crœisaerdt lors de la grève du 6 janvier. Bien que l'on puisse encore s'attendre, malheureusement, à voir des huissiers sur les piquets de grève, l'amende prévue de 1700 euros a été annulée ! Une victoire partielle, que l'on doit certainement mettre sur le compte de tous ceux qui se sont mobilisés en son soutien.On ne peut pas avancer dans la lutte si on ne défend pas ses combattants. Et le camarade est encore menacé de sanctions par la Direction de HR-Rail. Continuons à nous mobiliser en son soutien et organisons-nous pour que son syndicat le soutienne et le défende pleinement pour lui permettre de continuer son combat.
Pas touche à nos camarades de lutte !