1er mai 2016
Un collectif de femmes sans papiers qui bouge !
Lors de la manifestation organisée par le collectif des femmes sans-papiers le 6 mars dernier à Bruxelles, nous avons rencontré Maïmouna, une des organisatrices. En cette période d’exclusions et de politique gouvernementale xénophobe, nous voulons mettre en avant les courageuses actions de ces femmes, actuellement sans-papiers. Voici un entretien avec Maïmouna et un autre militante du collectif, Mamadou. Maïmouna est arrivée de Guinée-Conakry, il y a trois ans. Son fils est né en Belgique. Elle a introduit une demande d'asile dans la région d'Anvers et y a obtenu une maison sociale, mais en 2014, quand son fils avait 8 mois, sa procédure d'asile s'est terminée. Elle est arrivée à Bruxelles en juin 2015, où elle a rencontré d'autres sans-papiers et un climat de mobilisation.
Pourquoi un collectif de femmes sans papier ?
Maïmouna : On voit beaucoup d’hommes dans les manifestations des sans-papiers mais pas les femmes ; mais il y a des femmes dans les occupations et il y en a aussi qui ne sont pas dans les occupations. Si on a fait une communauté de femmes, ce n’est pas parce que l’on veut se séparer des hommes, mais on s’est dit que c’est une bonne idée parce que, en tant que femmes aussi, on a des revendications à faire. On entend toujours dire du mal des sans-papiers, des trucs négatifs sur nous, que ce soit homme ou femme ; nous sommes beaucoup de femmes venues de partout dans le monde, nous voulons être présentes et actives.
Quand je suis arrivée à Bruxelles, la communauté des femmes était déjà en marche ; on faisait des manifestations le mercredi à la Bourse ; on s’est manifesté beaucoup pendant l’été, une manifestation par semaine et on n’était pas nombreuses, car il y a beaucoup de femmes qui n’osaient pas sortir. Après, on a décidé de faire des réunions tous les mercredis, car on ne manifestait pas chaque semaine en hiver (on a des enfants) ; alors on fait nos réunions à la maison des migrants ; on y a un atelier de couture et une garderie aussi pour pouvoir garder nos enfants pendant les réunions. On est nombreuses dans le collectif, plus de 50 à Bruxelles qui viennent aux réunions. Je ne sais pas s’il y a des collectifs dans les autres villes. Dans le collectif, c’est mélangé : on vient de partout ; tu es sans papier tu es une femme, tu es la bienvenue dans le collectif.
« Etre sans droit, c’est dur ! »
Déjà en étant sans-papiers, on rencontre beaucoup de difficultés, mais en étant femme, c’est une double peine, surtout pour des mères avec des enfants, dans un pays où l'on te dit que tu n’as aucun droit. Chaque matin te réveiller et te dire que tu es dans un pays d’où tu peux te faire expulser ou n’importe quoi ; et je n’ai pas le droit de travailler ; mes enfants n’ont pas les mêmes droits que les autres enfants ; en tant que femme, je ne peux pas faire la même chose que les autres femmes, avoir une même vie que les autres, alors, c’est dur. Ces femmes sans-papiers, ce sont des femmes courageuses.
C’est une contradiction : beaucoup de femmes ont quitté leur pays où il n’y a pas de droit pour les femmes. Par exemple dans mon pays, on ne parle pas des droits des femmes : « Tu es une femme, tu dois juste écouter ». Quand on vient ici en Europe, on entend parler des droits de l’Homme, droits des enfants, droits des femmes, comme quelque chose d’important ; ça, on l’entend mais on ne le voit pas. Nous, on s’est dit que ce n’est pas normal… parce qu’on voit des femmes sans-papiers qui se font maltraiter ici, dans la capitale de l’Europe, ou violer ; les dangers que toutes les femmes craignent, nous, on doit les affronter chaque jour. Face à cela, des femmes restent cachées en gardant leur souffrance, et elles ne veulent pas parler.
Quand on te dit que tu n’as pas de droit, ça veut dire aussi que tu n’as pas le droit de te plaindre quand quelque chose t’arrive.
Alors on s’est dit que même si le gouvernement n’est pas là pour nous – et c’est triste de voir qu’un gouvernement n’est jamais là pour nous –, il peut y avoir cette communauté de femmes pour se serrer les coudes ; on n’attend pas que quelqu’un vienne nous aider, on peut faire quelque chose pour nous, en tant que femmes et sans-papiers. Cela m’a plu ; dans mon pays j’étais déjà engagée, comme ça, ce n’est pas ici que j’ai commencé. Là-bas les femmes n’ont pas le droit de trop élever la voix mais elles décident de faire des tontines, pour se parler et voir les problèmes que l’on rencontre, etc., mais cela devait rester secret car ce n’est pas permis. Quand je suis arrivée ici, ça m’a fait plaisir de rencontrer des femmes qui peuvent sortir et dire qu’elles peuvent revendiquer, car c’est notre droit ; pour moi, c’est un combat que j’ai commencé là-bas et que je peux continuer ici.
De nouvelles mesures gouvernementales contre les sans-papiers ?
Mamadou : je pense que les mesures que le gouvernement a prises actuellement ont pour but de rompre le rythme des luttes des sans-papier, car ils sont dérangeants ; ils ne donnent pas une bonne image à la capitale de l’Europe ; l’idée du gouvernement est de casser ce mouvement-là. Et pour preuve, auparavant il n’y a avait jamais eu d’arrestations des leaders du mouvement des occupations, maintenant on arrête les lutteurs, on essaie de les intimider pour casser le mouvement. Il n’y a pas eu de mesures positives de ce gouvernement.
Officieusement, on sait qu’il va y a voir un durcissement des critères ; par exemple, on parle de retirer les enfants sans-papiers des écoles, avec l’aide des directeurs d’école et des assistants sociaux. Moi je suis fou furieux quand j’entends cela; je n’ai pas pu vérifier si cela se fait déjà, mais je sais que le ministre Théo Franken est capable de faire cela. Plus le gouvernement décide de fermer toutes les portes aux étrangers, plus on se dit : c’est notre combat, on doit aller manifester. On a un journal des sans-papier, et maintenant le collectif des femmes, dont on est fiers. On entend toujours dire qu’on a des droits ici en Belgique, par exemple, droit à la santé ou la carte médicale, ou… mais en fait c’est rarement appliqué ; j’ai rencontré beaucoup de femmes et de familles avec des enfants mineurs à qui on dit qu’ils ont droit d’avoir un logement même si elles ne sont pas dans une procédure d’asile, mais on ne voit rien venir.
Les principales revendications
La principale revendication c’est la régularisation ; c’est cela qu’on demande à chaque fois ; mais on revendique aussi que nos droits soient mis en application. Par exemple, ils disent que les sans-papier peuvent aller à l’école, que les sans-papiers peuvent avoir une carte médicale d’urgence et qu’ils peuvent se soigner et tant de choses qui se disent ; mais en fait c’est pas vrai car se soigner reste un gros problème ; il faut passer par beaucoup de portes pour avoir une carte médicale et c’est quand-même difficile de pouvoir rentrer dans un hôpital.
Autre exemple, le droit au travail : ce n’est pas mis en pratique. C’est aussi une lutte en tant que femme travailleuse ; si tu as des enfants, on a comme revendication qu’au moins nos enfants puissent aller dans une crèche, et que nous puissions faire des formations pour pouvoir travailler, parce qu’on sait qu’on ne peut pas se nourrir de rien ; trouver du travail ce n’est pas du tout facile, non, vraiment.
A la télé on te montre des choses mais ce n’est pas la réalité ; les gens ne voient pas ce qui se passe dans les centres ; moi j’ai été dans un centre qui accueille les femmes avec des enfants dans le besoin ; mais dès que tu mets un pied dans le centre, il y des assistants qui sont derrière toi à s’acharner. Alors oui, on se dit qu’on ne peut pas lâcher, parce que c’est nos droits en tant qu’êtres humains que l’on défend et on a envie de gagner quelque chose dans cette lutte.
Le capitalisme aussi se sert de nous !
Le patronat et le capitalisme se servent bien de cette situation ; ils ont besoin de gens à exploiter, des sans-papiers pour les exploiter ; donc d’une part, on mène la lutte pour que tout le monde soit légal, de l’autre côté le patronat mène aussi la lutte pour qu’il y ait toujours des gens illégaux à exploiter. Alors, cela, appliqué aux femmes fait que, même si elles ne bénéficient de rien, elles sont obligées d’aller se faire exploiter par d’autres personnes qui se disent les vrais citoyens ; elles vont travailler 10 à 12 h par jour pour garder les enfants, pour une somme dérisoire de 10 € par jour ; mais elles doivent le faire, car avec ces 10 € elles arrivent à nourrir leurs enfants, et payer leur scolarité ; mais dans le cas échéant, si elles n’ont pas ce boulot, elles devront même user de leur corps. Car il faut qu’elles mangent, il faut qu’elles nourrissent leurs enfants et paient leur scolarité. Elles sont exposées à tous les dangers ; j’ai parlé avec une fille qui gardait un enfant, mais finalement un jour celui qui l’avait engagé lui a proposé qu’elle se retrouve dans son lit. Parce qu’elles sont humbles, elles sont exposées à tous les dangers avec menaces à l’appui. Mais une fille qui a vécu cette situation, elle peut se plaindre où ? Elle ne peut pas se plaindre ; elle court le risque qu'on l'envoie au diable !
Maïmouna : C’est une situation assez courante ; on voit souvent des femmes dans cette situation ; même si elles arrivent à avoir du travail, à chaque fois, il y a cet enjeu-là qui les attend quelque part ; alors... tu as peur de la loi, tu as peur d’aller travailler, tu as peur de vivre, quoi !... tu vas avoir cette peur au ventre à chaque fois que tu es dehors et que tu te dis : je vais aller chercher du travail, mais c’est travailler durement pour gagner rien du tout ; ou travailler toute la journée, avec quelqu’un qui te menace et te dis : « je peux te faire ce que je veux, après, c’est moi qui aurai raison car c’est moi qui ait les papiers, toi tu n’en as pas, tu ne peux pas te plaindre. »Ce sont des lois actuelles et le gouvernement qui donnent la force et le courage aux autres d’écraser les plus faibles… Alors quand le gouvernement dit : on va montrer aux hommes d’asile comment se comporter avec les femmes, en fait c’est eux qui poussent certains hommes à se comporter comme cela avec les femmes ; s’il y avait des droits ou un endroit où se plaindre, cela n’arriverait pas, ou moins.
Si on te dit tout le temps que tu n’as aucun droit, que tu n’es rien du tout, on peut te faire n’importe quoi ; c’est ça que les femmes sans-papiers vivent à longueur de journée ; ce sont des femmes qui se disent qu’elles sont vivantes mais qu’elles sont mortes à l’intérieur d’elles. Quand cela arrive à l’une d’entre nous c’est très difficile à encaisser, en sachant qu’on ne peut pas faire grand’chose…
Les relations entre réfugiés et sans-papiers
Quand les réfugiés sont arrivés, nous sommes allées, comme sans-papiers, les accueillir au Parc [Maximilien] car on avait été un jour des réfugiés comme eux. Et voilà que, peut-être, plusieurs d’entre eux vont être des sans-papiers un jour. Nous sommes tous passés par là où ils sont passés. On dit toujours qu’on est divisé, les sans-papiers et les réfugiés, mais pour nous, il n’y avait pas de grande différence ; parmi nous, il y a des gens qui sont passé par là et qui sont là depuis des années, et malheureusement, on ne les considère plus comme des gens qui doivent être aidés.
Mamadou : Pour conclure, je félicite cette initiative des femmes sans papier qui se mobilisent pour la lutte ; depuis longtemps on n’avait pas vu cela ; aujourd’hui, il y a un collectif de femmes qui nait, des femmes qui disent : « nous aussi, on a quelque chose à dire dans cette lutte et comment la mener » ; c’est super intéressant ça ! On doit les soutenir, les accompagner, pas seulement en matière logistique, en stratégie, car c’est difficile de s’organiser entre sans-papiers. J’adore entendre des femmes qui se lèvent et disent « on a notre voix à nous, parmi les hommes ; oui, je sais m’organiser, je peux mener des luttes ». Je leur dis bravo ; c’est important aussi la détermination, c’est très salutaire pour avoir des victoires !
Maimouna : C’est un chemin, c’est une communauté de femmes qui ont envie d’élargir leur lutte avec les autres, avec les syndicats et les étudiants, c’est pas parce qu’on est une communauté de femmes que l’on exclut les autres ; on lutte ensemble ; on veut être partie prenante des luttes ici.