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Ligue Communiste des Travailleurs

Section belge de la Ligue Internationale des Travailleurs -
Quatrième Internationale (LIT-QI)

« L'émancipation des travailleurs sera l'œuvre des travailleurs eux-mêmes. » K. Marx

Newsletter

septembre 2011

Une grande victoire démocratique du peuple

Le processus révolutionnaire libyen suscite l'enthousiasme partout dans le monde. Au moment de mettre sous presse ce numéro de Courrier International, Kadhafi est toujours recherché et quelques batailles mineures ont encore lieu, mais la chute définitive du régime sanguinaire du dictateur libyen est un fait.
    Après six mois de combats et 20.000 morts, le régime basé sur la terreur, qui a gouverné la Libye pendant 42 ans, a été renversé par l'action héroïque révolutionnaire des masses affamées et en quête de libertés démocratiques. Il ne s'agit pas seulement de la chute de Kadhafi et sa clique. Le peuple armé a détruit l'armée du dictateur, la principale institution du régime, ainsi que toutes les institutions étatiques. Dans certains endroits, les comités populaires armés ont assumé des tâches du pouvoir politique.
    Pour ceux qui augurent la fin des révolutions et sèment la méfiance dans le pouvoir des masses, voici donc un désaveu cinglant. Nous assistons à une révolution puissante, dans laquelle les gens se sont armés vaillamment, ont mis la peur de la mort de côté et ont entamé une guerre civile contre une force militaire nettement supérieure. Les Libyens peuvent désormais donner des leçons à tous les peuples arabes et au monde entier : quand les travailleurs et les secteurs populaires s'unissent et se mettent debout avec décision, la victoire est possible.
   Ce qui se passe en Libye s'inscrit dans le cadre du processus révolutionnaire qui bouleverse le monde arabe. Avec la mise en question et le renversement de Kadhafi, qui faisait partie des dictatures qui soutiennent la stratégie de la domination impérialiste dans la région et qui garantissent la sécurité d'Israël, on retrouve la même caractéristique populaire et anti-impérialiste qu'en Egypte et en Tunisie. Assurément, cette victoire démocratique formidable du peuple libyen crée des conditions plus favorables pour l'avancement de l'ensemble du processus révolutionnaire dans le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord. La flamme de la révolution libyenne met le feu aux poudres dans les autres peuples de la région. Le rythme du processus révolutionnaire qui secoue le monde arabe, nous montre la voie qui fait perdre le sommeil à l'impérialisme et ses agents dans le monde entier.
   Le gauche, à l'échelle mondiale, a l'obligation d'analyser ce processus et d'en tirer les leçons nécessaires. Dans le cadre de cette tâche, nous voulons d'abord rappeler quelques faits et connaître mieux les protagonistes du soulèvement libyen.

Qui sont les rebelles ?

Il est très important de préciser qui sont les rebelles, quelle est leur composition sociale et comment ils sont apparus.
   La collecte de données provenant de diverses sources met en évidence que les troupes rebelles sont composées principalement de secteurs populaires, de travailleurs, d'étudiants, de chômeurs et d'anciens soldats réguliers. Parmi ceux qui ont pris les armes, il y a aussi des secteurs de la classe moyenne : des professionnels, des employés de banque et même des anciens diplomates. La plupart d'entre eux étaient des gens ordinaires avant le déclenchement de la révolution, des gens communs du village. La plupart n'avaient aucune expérience militaire et c'était la haine de la dictature de Kadhafi qui les unissait. 
   Depuis les premières manifestations et la répression, en février dernier, les dénommés « comités populaires » ont vu le jour de façon indépendante, spontanée et auto-organisée.
   Ces comités se sont armés lors de la capture de Benghazi, leur baptême de feu. La force de la mobilisation populaire, qui fit face courageusement à la répression sauvage de Kadhafi, a fini par diviser l'armée. Il y eut des désertions en masse, tant dans les secteurs inférieurs de la troupe que parmi les officiers supérieurs. L'armement des masses est venu de l'occupation de l'arsenal militaire, qui a été exproprié par la lutte révolutionnaire des centaines de comités à partir du 17 février, marquant ainsi le début de la guerre civile.

La nature du conflit armé

Ici, il n'y a pas de doutes. En Libye, il y a une révolution de caractère anti-impérialiste, puisqu'en affrontant la dictature de Kadhafi, l'un des principaux agents des puissances occidentales, elle attaque directement les intérêts de l'impérialisme. Elle fait partie du même processus révolutionnaire et le renversement de Kadhafi a un sens aussi fondamental que les chutes de Moubarak et de Ben Ali.
   Dans ce contexte, il y a une autre question à clarifier. Contrairement à ce qu'ont dit Kadhafi et ses partisans, ce qui est arrivé en Libye n'est pas un simple « lutte régionale » entre les gens de Tripoli, le centre et l'ouest du pays, et ceux de Cyrénaïque (les deux régions auparavant distinctes et qui forment ensemble le territoire de l'actuelle Libye). De nombreux analystes expliquent le déclenchement de la guerre civile sur base de cette ancienne division du pays, comme s'il s'agissait d'un différend entre deux régions ou entre ses différentes tribus.
   La réalité de la guerre a démontré que, malgré les différences entre les tribus, qui existent, la lutte contre la dictature a unifié les différentes régions et ethnies de manière transversale. Voyons. Les rebelles sont venus de l'Est, de l'Ouest et de Misurata (une ville située entre Tripoli et Syrte). Misurata a combattu héroïquement pour briser le siège et a ainsi été en mesure de participer à l'assaut final sur Tripoli.
   A l'Ouest de la Libye, près de la frontière avec la Tunisie, le paysage est montagneux et il y a beaucoup de petites villes, souvent peuplées par les Berbères, un groupe ethnique non arabe, persécuté par Kadhafi. Dans cette région, la rébellion a résisté, aidée par la géographie, aux nombreuses attaques au sol et aux bombardements de la dictature de Kadhafi. Dans la dernière phase de la guerre civile, lorsque l'armée de l'air et les armes lourdes du régime avaient été détruites par les bombardements de l'OTAN, les Berbères ont commencé à prendre l'avantage dans le combat développé dans les montagnes, ils ont participé avec suffisamment de poids aux combats à Zinta ( plus au sud), puis à Zaouïa, à quelques kilomètres de la capitale. Ils ont ainsi encerclé les forces de Kadhafi à Tripoli et ont fait partie de l'avant-garde qui est entré à la capitale pour renverser le dictateur.
   Les gens de Misurata ne se sont pas fait prier. Un journaliste du quotidien espagnol El Paisa rapporté : « Des camionnettes badigeonnées avec les lettres de Misurata abondent à Tripoli depuis une semaine. Ce sont les miliciens de cette ville qui se sont mis à la tête : ''C'est nous qui avons commencé à nous battre à huit heures du matin du 22 août dans Bab el Aziza'' . »
   Le peuple en armes était unifié par la fureur, la colère et l'indignation accumulées pendant 42 ans. Cela a été démontré lors de l'offensive finale sur Tripoli, où sont intervenues les forces rebelles de Benghazi, des régions centrales de Misurata (Tripolitains) et de l'Ouest (Tripolitains et Berbères). Le quotidien El Pais en témoigne : « Ahmed, Abdelrauf, Adnan et Bashir n'avaient jamais touché une arme. Ahmed est comptable dans une banque. Abdelrauf est chauffeur de camions. Adnan est fabriquant de crème glacée. Bashir est sans emploi. Ce sont eux - de Tripoli, des montagnes de Nafusa ou de la ville massacrée de Misurata - qui ont pris la capitale et ont expulsé les troupes de Mouammar Kadhafi de sa forteresse de Bab el Azizia et de tout Tripoli. Sur les murs de Benghazi et de Tripoli, on peut lire le slogan ''Nous allons gagner ou mourir''. »

Le Conseil national de transition (CNT)

Cette organisation, désormais officiellement à la tête de la Libye, a été mise en place à Benghazi à partir de la division de l'armée de Kadhafi, lorsque les rebelles ont pris le contrôle de la ville. Le 5 mars, après quelques séances et en l'absence d'une direction centralisée, le CNT a été proclamée comme une alternative de « gouvernement provisoire » pour remplacer Kadhafi. Le CNT a commencé à rechercher la reconnaissance des puissances occidentales.
   Qui le composent ? Premièrement, des anciens ministres de Kadhafi et des exilés qui ont travaillé dans les organes de l'impérialisme. Jusqu'à présent, ses figures principales sont :
   Mustafa Abdul Jalil, ancien ministre de la Justice de 2007 à 2011, où il était responsable de la persécution, l'emprisonnement et la torture d'innombrables opposants.
   Mahmoud Jibril, un ancien chef du conseil des conseillers économiques de Kadhafi, l'architecte des réformes néo-libérales et de l'ouverture économique aux investissements impérialistes. Il a été nommé par le CNT comme Premier ministre du gouvernement intérimaire en juillet.
   Abdelhafiz Goga, avocat des droits de l'Homme de Benghazi. Il a défendu des prisonniers politiques du régime, ce qui lui a donné du prestige dans de larges secteurs. Cependant, il a accepté un accord avec les secteurs les plus réactionnaires dans la formation du CNT, les laissant diriger cette institution.
   Ali Tarhuni, exilé depuis 1973, résident aux Etats-Unis où il a obtenu son diplôme et a été professeur jusqu'en 2011, quand il est retourné en Libye. Il a construit des liens étroits avec l'impérialisme dans la période d'exil. Il occupe actuellement le poste de ministre des Finances et du Pétrole du CNT et il défend la maintient des contrats pétroliers, ainsi que l'assurance et l'encouragement des investissements impérialistes dans le pays.
   Abdel Yunes, ancien ministre de l'Intérieur. Il était le principal dirigeant militaire du CNT. Il a été assassiné par les brigades rebelles à Benghazi, en juillet dernier.
   Comme on peut le voir, la composition du CNT est très réactionnaire et pro-impérialistes. Ce premier conseil des rebelles à Benghazi, qui a cherché à coordonner tant soit peu les actions contre la dictature, a été accaparé par des secteurs laquais et de droite, qui ont exploité le vide du pouvoir ouvert par la crise du régime, afin de se présenter comme direction politique du processus.
   Aujourd'hui, ils sont considérés comme ceux qui se sont mis à la tête du soulèvement populaire de Benghazi, et comme alternative de gouvernement. Ils sont le produit fidèle de l'absence d'une direction révolutionnaire. Ils ne disposent toutefois pas de dirigeants qui ont la force nécessaire pour imposer arbitrairement leurs décisions sur les comités armés et les différentes forces opérantes en Libye.

Les contradictions entre les milices et le caractère du CNT

Malgré le soutien gagné par le fait d'agir comme porte-parole de la révolution, l'origine et la politique du CNT donnent lieu à une contradiction forte entre ses membres et les aspirations de la révolution victorieuse.
   En outre, le CNT propose comme issue transitoire un lent processus de rédaction d'une constitution, suivi par la convocation à des élections. Comme en Egypte, il présenterait un texte constitutionnel qui doit alors être soumis à un « référendum ». Pendant toute cette période, ses membres resteraient en fonction sans avoir été élus par personne.
   L'origine bourgeoise de ses principaux dirigeants, leur passé de liens avec le régime et les bonnes relations avec l'impérialisme marquent les objectifs du CNT après la chute de Kadhafi. Cela conduit à des affrontements probables avec des secteurs de rebelles plus à la base. Le CNT essaye de manœuvrer pour éviter la propagation et la polarisation de ces affrontements.
   Par conséquent, l'exécution du commandant Yunes, accusé de « double jeu » par les forces rebelles, est restée sans enquête ni sanction. Selon les déclarations du CNT lui-même, il en est ainsi pour « ne pas endommager la révolution » et pour ne pas diviser le front d'opposition à Kadhafi.
   Il y a beaucoup de méfiance contre le CNT de la part des militants, en particulier ceux de Nafusa ou de Misurata qui n'ont pas été impliqués dans son élection. A Benghazi aussi, il y a de nombreuses questions. Selon certaines sources, la brigade 17 février, cruciale dans la défense de Benghazi, dirigée par Ismael Salabi, a déclaré récemment : « Le gouvernement intérimaire dirigé par Mahmoud Jibril n'est plus nécessaire, étant constitué par des restes de l'ancien régime. Ils devraient tous renoncer, à partir du haut de la pyramide jusqu'en bas. » Certains dirigeants ont demandé la renonciation complète du gouvernement intérimaire nommé par le CNT, arguant que ce ne sont pas eux qui devraient gérer les milliards de dollars en avoirs libyens gelés à l'étranger.
   A Tripoli, le commandant de la brigade qui contrôlait la ville après le départ des défenseurs de Kadhafi était Ahmed Bel Haj, un ancien combattant en Afghanistan qui a été torturé par Kadhafi, une victime de l'accord entre la CIA, le MI-6 anglais et les services secrets libyens en 2004. Bel Haj a fait des déclarations de loyauté au CNT mais n'a pas remis le commandement de la ville. D'autre part, quand le CNT a donné ordre aux brigades de Misurata et de l'Ouest qui ont participé à la capture de la capitale, de retourner à leurs villes, elles ont refusé et elles restent à Tripoli, armées.
   Voici encore une autre manifestation des difficultés du CNT : après que les puissances impérialistes et les Nations Unies ont dit être en faveur de placer des troupes de l'OTAN au sol, le CNT y a été favorable en premier lieu, mais il a ensuite dû revenir en arrière et déclarer « qu'il n'y avait aucun besoin pour l'entrée de troupes étrangères au pays ». Comme il est, en réalité, en faveur de l'intervention impérialiste directe, la position du CNT peut changer à tout moment, selon le rapport de forces interne. En plus de ces frictions et les heurts avec la base combattante, il y a des problèmes au sein du CNT lui-même, en raison de différends entre les secteurs bourgeois qui se bousculent pour obtenir une plus grande part du gâteau.
   Le point est qu'en raison de l'absence d'une direction révolutionnaire de poids, il n'y a pas d'alternative claire pour canaliser les aspirations des secteurs les plus combatifs et pour diriger la lutte contre l'impérialisme et le CNT.

Les dangers qui menacent la révolution

Une fois que les actions des masses ont obtenu leur premier but (la chute du régime de Kadhafi), le scénario présente avec force de sérieux dangers et pose de nouvelles tâches pour la révolution. La question principale est la lutte anti-impérialiste, la lutte pour l'indépendance nationale, contre les prétentions de l'impérialisme et de ses agents locaux, le CNT, de démanteler la montée révolutionnaire et de poursuivre le pillage de la richesse libyenne.
   Après avoir soutenu Kadhafi, l'impérialisme a opté décidément pour sa chute, quand ce dernier était tout à fait incapable de contenir l'insurrection populaire armée par la répression ou par les voies institutionnelles. C'est ce que nous développons dans un autre article. Cette réorientation tactique, qui a placé l'impérialisme dans le même camp militaire que celui des rebelles, a représenté une victoire partielle et circonstancielle qui peut lui être utile dans son objectif de démanteler la révolution. Dans cette tâche, le CNT est son principal allié.
   Mais l'impérialisme n'a pas devant lui la vie en roses. Faute de rapport de forces favorable, il n'a pas pu envahir la Libye avec des troupes au sol et contrôler ainsi directement la situation. Le « bourbier » en Irak et en Afghanistan, couplé avec la crise économique et politique en son sein, lui empêche de s'aventurer dans une nouvelle guerre maintenant. Il a actuellement un gros problème : comment convaincre les masses libyennes de déposer les armes et de rentrer paisiblement chez après leur énorme victoire ? Il doit non seulement désarmer les masses, mais aussi reconstruire au plus vite un nouveau régime et une nouvelle armée bourgeoises. Il a la collaboration soumise du CNT qui, jusqu'à présent, est la direction politique du processus. Mais il n'a pas encore le contrôle ou l'autorité totale parmi le peuple et les comités armés. Nous ne pouvons pas non plus ignorer que les différentes factions bourgeoises qui composent le CNT montrent les dents dans la lutte pour les parts du gâteau
   C'est dans ce contexte de lutte dure entre la révolution et la contre-révolution que les masses libyennes doivent continuer la bataille pour approfondir la révolution. Pour cela, il est essentiel d'avoir un programme clair qui marque les suivantes étapes.

Comment continuer la lutte ?

Une fois tombé Kadhafi, le peuple libyen est le seul à décider sur son destin. Ceux qui ont renversé une dictature comme celle de Kadhafi ne peuvent pas s'arrêter à mi-chemin : il faut avancer vers la conquête du pouvoir politique. Pour nous, c'est le peuple en armes qui doit gouverner en Libye et approfondir la révolution dans son pays et partout dans le monde arabe. Si la révolution s'arrêté, c'est la contre-révolution qui avance, inévitablement.
   Seul un gouvernement des comités populaires armés peut convoquer, en premier lieu, des élections libres pour une Assemblée constituante vraiment libre, démocratique et souveraine qui pourra refonder le pays sur de nouvelles bases économiques, sociales et politiques. Ce mot d'ordre est très important, car il s'agit d'un pays qui a enduré des décennies de colonialisme et de dictature. Cette tâche s'impose, pour que ce soit uniquement le peuple libyen qui décide de son destin. Mais une Assemblée nationale constituante vraiment souveraine et populaire ne peut se matérialiser que si elle est a convoqué par un gouvernement de la classe ouvrière et le peuple pauvre de la Libye. Si le CNT s'en charge, elle ne sera pas démocratique et elle servira à légaliser le prochain bradage du pays.
   Une autre tâche essentielle, qui ne peut être garantie autrement que par un gouvernement ouvrier et populaire, soutenu par les comités populaires armés, est la confiscation pure et simple de tous les biens et de toutes les fortunes de Kadhafi, sa famille et ses sinistres acolytes. Ces propriétés doivent être socialisées et placées au service et sous le contrôle des organes représentatifs du peuple libyen.
   A cet égard, il faut nationaliser les gisements, l'extraction et la commercialisation du pétrole, et placer l'économie du pays sous contrôle ouvrier et populaire.
   Cette richesse doit servir pour répondre aux énormes besoins des masses ouvrières et pour mettre en œuvre rapidement un plan économique d'urgence afin de répondre aux besoins pressants du peuple pauvre. Il faut, comme l'une des premières mesures, annuler tous les contrats pétroliers signés par la dictature, ainsi que d'autres accords avec l'impérialisme.
   En outre, il est impératif que la révolution se charge de punir Kadhafi, ses fils qui étaient au pouvoir, et l'ensemble des personnages de son sinistre régime, pour tous les vols et les crimes contre l'humanité, commis au cours des quatre décennies de régné à la main de fer et pendant la récente guerre civile.
   Pour mettre ce programme en oeuvre, le peuple libyen doit rester armé et ne devra compter que sur ses propres forces, des forces qui ont démontré leur pouvoir en renversant le tyran de Tripoli. Le peuple doit avoir confiance en ses forces et en l'immense pouvoir de la révolution dans le reste du monde arabe.

Aucune confiance dans l'impérialisme ou dans le CNT !

Le peuple libyen, non seulement, ne peut pas placer la moindre confiance dans le CNT, il doit en outre l'affronter ouvertement. On ne peut même pas attendre du CNT qu'il avance dans les mesures démocratiques. C'est une instance bourgeoise, composée de toutes sortes de transfuges, corrompus, anciens ministres de Kadhafi ou exilés politiques des factions bourgeoises abandonnées par la dictature et qui sont de retour au pays maintenant, anxieux de recevoir les miettes d'un nouveau pillage. Le CNT a déjà annoncé qu'il allait maintenir, et même augmenter, les taux de production de pétrole pour les pays qui ont « collaboré » à la chute de Kadhafi. Les puissances impérialistes ont tenu une conférence à Paris, comme des vautours qui se jettent sur une proie, se présentant comme les « Amis de la Libye », pour « discuter du destin » de ce pays, ce qui, pour eux, n'est autre chose que s'emparer de son pétrole.
   Le CNT, au service de l'impérialisme, est en train d'essayer de désarmer les masses et de reconstruire un régime politique et une armée bourgeoises. Si ces nouveaux agents ne parviennent pas à accomplir leur mission et, surtout, si la lutte des classes fait rage, il n'est pas exclu que l'impérialisme occupe le pays avec ses troupes pour prendre le contrôle direct de ses ressources. La LIT-QI est totalement opposée à tout déploiement éventuel de troupes par l'impérialisme, qu'elles soient conventionnelles de l'OTAN ou « humanitaires » sous couvert de l'ONU. Cela servirait à mettre en échec le processus révolutionnaire, à désarmer le peuple et à reconstruire un régime docile. Une occupation impérialiste serait aussi dictatoriale que le gouvernement de Kadhafi. Il faut dire : Aucun soldat impérialiste en Libye ! L'OTAN, l'ONU et l'impérialisme, ne touchez pas la Libye et toute la région arabe !
   Nous insistons : nous sommes pour le maintien de comités populaires armés et pour que le pouvoir politique aille directement et entièrement en ses mains. Cela doit être, à notre avis, la prochaine bataille de la révolution libyenne : placer le pouvoir dans les mains du peuple à travers ses organisations et promouvoir décidément toutes les révolutions dans la région, avec la perspective de la Fédération de Républiques socialistes arabes.

José Welmowicki

La « convivialité » avec la CIA et l'espionnage anglais

Tout au long du processus de la guerre civile, le colonel Kadhafi a été soutenue à tout moment par Chavez et les frères Castro, qui le présentent comme « un dirigeant anti-impérialiste », attaqué par les grandes puissances à cause de ses positions « souveraines » ou directement « socialistes ».
   C'est un drôle « d'anti-impérialisme », celui d'un dictateur qui a maintenu toutes sortes d'accords avec l'impérialisme, qui possédait des actions dans les grandes compagnies pétrolières multinationales, qui était un ami et allié d'Aznar et de Berlusconi, qui finançait la campagne de Sarkozy et qui a été félicité par le FMI pour ses plans économiques, huit jours seulement avant le début du soulèvement.
   Maintenant, de nouveaux documents trouvés en possession de son ancien chef du renseignement, Moussa Kousser, sont irréfutables pour montrer que Kadhafi était un homme de l'impérialisme. Les documents prouvent la relation secrète et étroite entre Kadhafi et les gouvernements de l'Angleterre et des Etats-Unis lors de l'arrestation, la torture et l'assassinat d'opposants à ces gouvernements et au régime libyen.
   Le sinistre partenariat entre Kadhafi et les services de renseignement des pays impérialistes (la CIA et le MI-6 britannique) met à nu la collaboration ouverte de ce personnage (que Chavez appelle le « Bolivar de la Libye ») dans la « guerre contre le terrorisme » de Bush et de Blair, avec l'arrestation et la remise à l'impérialisme d'opposants et de combattants politiques. C'était une division du travail inquiétante : Kadhafi pratiquait des « interrogatoires renforcés » (en torturant des suspects accusés « d'activités terroristes » contre l'impérialisme), et les puissances occidentales lui transmettaient de l'information ou détenaient des opposants à Kadhafi, partout sur la planète.
   Avec ces preuves, l'histoire que Kadhafi serait un « dirigeant anti-impérialiste » est encore plus intenable. Le rôle des partisans de Castro et Chavez a été, et est toujours, néfaste pour la conscience des milliers de militants qui voient la « gauche » comme soutenant des dictatures pourries. Qui plus est, en soutenant des dictateurs comme Kadhafi et Assad, ce qu'ils font, c'est renforcer la position de l'impérialisme, car ils lui laissent la voie ouverte pour arborer, hypocritement, le drapeau de la défense des droits de l'Homme et des libertés démocratiques, face aux masses.
   La défaite de Kadhafi aux mains des masses libyennes est aussi une défaite pour la politique du courant Castro-Chavez, qui est de plus en plus démasqué en allant à contresens d'un des centres de la révolution mondiale.

J.W.



La « gauche » qui capitule à l'impérialisme

Dans le large spectre de la gauche mondiale il y a, outre les défenseurs de Kadhafi, ceux qui ont exprimé leur soutien à l'intervention militaire impérialiste. Le principal représentant de cette tendance est Gilbert Achcar, un intellectuel libanais, lié à l'organisation connue sous le nom du Secrétariat unifié (SU).
   Lors de l'adoption de la résolution du Conseil de sécurité de l'ONU qui a donné le feu vert pour la zone d'exclusion aérienne en Libye, Achcar soutient clairement celle-ci avec l'argument de défendre un critère « moral » et « humanitaire ». Cet intellectuel reflète la pression dans la gauche européenne proche de la social-démocratie pour soutenir ses bourgeoisies respectives. Pour Achcar, « chaque règle admet des exceptions » et « la gauche devrait s'abstenir de proclamer des ''principes'' si absolus comme que ''nous sommes contre toute intervention militaire par les puissances occidentales, en toutes circonstances''. Ce n'est pas une politique mais un tabou religieux. » Il dit que si l'on raisonne de cette façon, la gauche serait en train de « suggérer qu'elle se soucie uniquement de l'opposition à son propre gouvernement, et qu'elle se fout pas mal du destin des autres populations ». Ainsi, Achcar affirme catégoriquement que « c'était moralement et politiquement une erreur, de la part de la gauche, de s'opposer à la zone d'exclusion aérienne".1
   Quel était l'objectif de l'impérialisme pour intervenir militairement ? Achcar dit (tout comme l'impérialisme et l'ONU) que l'intervention était nécessaire pour sauver des vies et protéger les civils. Mais ceci n'est que le discours de l'impérialisme, non pas sa véritable intention ni ce qui se passe dans la réalité. L'impérialisme est intervenu pour contrôler la situation et pour pouvoir continuer (et si possible augmenter) le pillage de la Libye. Il s'en fout des vies et pour lui, « le destin des autres populations » n'est autre que l'exploitation la plus abjecte. Il est intervenu pour coloniser la Libye, pour le soumettre, pour lui drainer toutes ses richesses et opprimer encore davantage son peuple et toute la région arabe. Mais Achcar « a confiance » dans l'impérialisme, il a confiance dans son discours il met en avant cette confiance, il lui attribue un rôle progressiste et humanitaire. Sa position mène à accepter l'intervention de l'impérialisme et à la justifier.
   Pour Achcar, l'OTAN a sauvé la révolution libyenne. Un de ses principaux arguments pour « ne pas s'opposer » à l'intervention de l'OTAN est que, lors du siège de Benghazi, sa performance a été cruciale. Achcar soutient que si Benghazi tombait, en plus du bain de sang, la révolution libyenne aurait été écrasée et Kadhafi aurait continué à gouverner. En premier lieu, il n'y a qu'Achcar pour juger que la révolution aurait été condamnée avec une éventuelle défaite des rebelles lors du siège de Benghazi. Qui peut dire que cela aurait été la fin de tout ? Le coup aurait été très dur, mais on ne peut pas affirmer catégoriquement que cela aurait été la fin de l'insurrection. L'histoire a démontré amplement que les ressources et les forces des masses sont inépuisables. Regardons le cas de l'Afghanistan : quand l'impérialisme a annoncé sa « victoire finale », la résistance ne faisait que commencer... et elle se poursuit jusqu'à ce jour. Mettre en avant unilatéralement cette « issue apocalyptique » sert à minimiser l'action des masses et à embellir et exalter encore davantage l'intervention impérialiste, la plaçant comme ayant « sauvé » la révolution.
   Achcar critique désormais l'intervention impérialiste, oubliant ou mitigeant le fait qu'il l'ait soutenue. Mais son critère est très clair : chaque fois qu'une révolution est en danger, cela doit être une « obligation morale » de faire appel à l'impérialisme, qui est devenu une sorte d'« allié » des révolutions. Rien de plus faux. Les révolutionnaires peuvent aller jusqu'à exiger des armes de l'impérialisme, mais jamais ils ne peuvent l'appeler à intervenir directement ni soutenir une telle intervention. Ce serait ouvrir la porte vers la contre-révolution, œuvrer pour la défaite militaire du processus révolutionnaire dans n'importe quel pays.
   Dans sa nouvelle position de critiquer la « deuxième phase » de l'intervention de l'OTAN, Achcar félicite aujourd'hui le CNT parce que ce dernier soutient qu'il n'est pas nécessaire de placer des troupes, pour l'instant, mais le CNT va garantir à l'impérialisme le drainage des ressources libyennes. Achcar soutient que le CNT « montre une reconnaissance rassurante de la complexité de la situation libyenne, et la volonté de l'aborder d'une manière démocratique. [...] Espérons que la réalité corresponde aux prévisions du plan, mais il y a de nombreux facteurs qui s'opposent à l'application de celui-ci, compte tenu de l'écheveau complexe des forces tribales... »2. Cette position fait confiance à une fausse prétention « démocratique » du CNT et ouvre la voie - au cas où il y aurait des crises ou des confrontations entre le peuple et les politiques réactionnaires du CNT - pour soutenir un éventuel appel à l'ONU afin d'assurer la mise en œuvre du « plan démocratique » du nouveau gouvernement libyen embryonnaire. Pour le moment, selon Achcar, les révolutionnaires doivent espérer que le projet du CNT aboutit, un projet qui n'est autre que le démantèlement de la révolution.

J.W.

________________
1 Achcar, Gilbert : Un débat légitime et nécessaire du point de vue anti-impérialiste.
2 Achcar, Gilbert : Le « complot » de l'OTAN contre la révolution libyenne.