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Ligue Communiste des Travailleurs

Section belge de la Ligue Internationale des Travailleurs -
Quatrième Internationale (LIT-QI)

« L'émancipation des travailleurs sera l'œuvre des travailleurs eux-mêmes. » K. Marx

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2 février 2011

Pour le triomphe de la révolution égyptienne et arabe !

Il y a un processus révolutionnaire qui s'étend dans tous les pays arabes. De la Tunisie, au Nord de l'Afrique, où la mobilisation populaire a renversé le dictateur Ben Ali après 23 années au pouvoir, il se propage comme une traînée de poudre, avec des manifestations contre les dictatures, laïques ou religieuses, « républicaines » ou monarchiques, au gouvernement dans de nombreux pays arabes, de la Mauritanie au Yémen, en passant par l'Algérie et la Jordanie.
   Ce qui a conduit à ce processus, c'est l'aggravation de la pauvreté à cause des effets de la crise économique mondiale, avec la montée du chômage et la hausse des prix des denrées alimentaires à cause de la forte dépendance de ces pays à l'impérialisme. 
   Ce processus révolutionnaire a suscité une énorme force dans le pays le plus important dans la région, l'Egypte. Un grand processus révolutionnaire y a éclaté depuis plusieurs jours. Il a commencé avec plusieurs milliers de personnes dans les rues du Caire et d'autres villes, et s'est étendu, le 1er février, à des millions, avec au centre l'exigence de la démission de Moubarak. Malgré la répression, qui a déjà provoqué 140 morts selon la version officielle, la révolution ne s'arrête pas et devient plus radicale après chaque annonce de changements de la part de Moubarak, qui essaye par tous les moyens de rester au pouvoir. 
   Si Moubarak tombe à la suite de l'action révolutionnaire des masses égyptiennes, cela aurait un impact énorme et mènerait à approfondir la révolution arabe. En même temps, cela mettrait en crise tout le dispositif impérialiste de contrôle de la région, dont le régime de Moubarak est un élément clef. Plus précisément, cela mettrait en péril l'existence de l'Etat d'Israël. C'est pourquoi le gouvernement israélien de Benjamin Netanyahu a exprimé sa préoccupation et son soutien à Moubarak. 
    Ce processus révolutionnaire, centré autour des revendications démocratiques, peut toucher aussi directement des régimes théocratiques comme celui de l'Iran (qui a réprimé durement, il y a deux ans, des manifestations contre la fraude électorale et pour des libertés démocratiques), tout comme il peut avoir une influence sur des organisations islamistes comme le Hamas et le Hezbollah. Il n'est donc pas étonnant que, lorsqu'il y a eu des manifestations de soutien à la révolution égyptienne dans les territoires occupés, elles ont été réprimées par le Hamas à Gaza. Le Hamas a fait la même chose que l'agent de l'impérialisme en Cisjordanie, l'ANP (Autorité nationale palestinienne). 

L'Egypte, pays clef dans le monde arabe 

L'Egypte est le pays arabe le plus peuplé, avec plus de 80 millions d'habitants. Un arabe sur trois est égyptien. Ce poids démographique s'est manifesté en un rôle essentiel dans la vie et les processus politiques du monde arabe. 
    En 1953, l'armée a organisé un putsch nationaliste, dirigé par le colonel Gamal Abdel Nasser qui renversa le roi Farouk I. En 1956, le gouvernement égyptien a nationalisé le Canal stratégique de Suez, précédemment dans les mains de l'Angleterre et des Etats-Unis. Le nassérisme est devenu la direction de la lutte des peuples arabes, contre l'impérialisme et son principal agent dans la région, l'Etat d'Israël. Toutefois, comme mouvement nationaliste bourgeois, il n'avait pas l'intention d'exproprier la bourgeoisie, ce qui laissait intacte l'exploitation capitaliste et la misère croissante de la population égyptienne. 
   Quelques années après la mort de Nasser (1970), son successeur, Anouar El-Sadate, a opéré un revirement politique profond en capitulant complètement à l'impérialisme. En 1979, il a signé avec les Etats-Unis et Israël l'accord de Camp David et, de ce fait, il a reconnu l'Etat d'Israël et il a abandonné la lutte contre lui. Cet accord marqua la fin du rôle relativement progressiste joué par le nationalisme arabe laïque dans le passé, face à l'impérialisme. 
   Sadate a été assassiné en 1981 et son successeur, Hosni Moubarak, a consolidé ce revirement. A travers une longue dictature, il a transformé l'Egypte en une pièce essentielle de la politique de l'impérialisme étasunien dans la région, soutenant l'Etat d'Israël et attaquant le peuple palestinien. Cela c'est manifesté, il y a quelques années, dans la fermeture et le blocus de la frontière entre la bande de Gaza et la péninsule du Sinaï. De ce fait, l'Egypte a le mérite douteux d'être, avec la Jordanie, la « pince arabe » pour aider Israël dans sa tentative d'étrangler la lutte du peuple palestinien. 
   En contrepartie de ce rôle, l'Egypte reçoit chaque année deux milliards de dollars d'« aide militaire » des États-Unis (la plus grande quantité après Israël), ce qui lui permet de maintenir une armée bien équipée.

Les raisons de la lutte

Un aspect qui saute aux yeux dans la rébellion est le rôle essentiel de la jeunesse, dans un pays où deux tiers des habitants ont moins de 30 ans, avec un pourcentage très élevé de chômage. La toile de fond qui a mis le feu aux poudres a été la détérioration continue des conditions de vie des travailleurs et du peuple. L'Egypte est une semi-colonie pillée par l'impérialisme. Le gros de ce qui lui reste de sa richesse aboutit dans les mains d'une oligarchie liée au régime et des chefs de l'armée. Par exemple, on estime que la famille Moubarak a amassé une fortune de plusieurs milliards de dollars. La situation de pauvreté populaire s'est encore accentuée par la crise économique internationale, qui a causé un bond en avant dans le chômage et une hausse continue du coût de la vie, en particulier des prix des aliments. La lutte contre cette situation venait déjà de loin : l'Egypte a été l'un des pays où a eu lieu la « rébellion de la faim » en mars 2008, menée par les travailleurs du textile de Mahalla, dans le delta supérieur du Nil.
   Les manifestations actuelles ont débuté avec l'appel de l'organisation Mouvement du 6 avril. Une des premières actions de ce Mouvement, en 2008, a été de soutenir les travailleurs de El-Mahalla qui, précisément, avaient fait grève le 6 avril, et quelques jours plus tard, ce Mouvement avait appelé à la grève générale pour renverser Moubarak. A partir de l'appel, d'énormes contingents de jeunes, des secteurs de la classe moyenne, des travailleurs, y compris quelques organisations syndicales indépendantes et des petites organisations de gauche, ont rejoint le mouvement. 
   Le peuple égyptien est descendu dans la rue pour renverser la dictature qui l'opprime depuis des décennies, exigeant des libertés démocratiques. C'est pourquoi la revendication essentielle des manifestations est la démission du président Moubarak, qui est le centre de tous les problèmes. Les slogans les plus scandés sont « Moubarak : dégage ! » et « Moubarak, l'avion t'attend » (c'est-à-dire l'exil). Le peuple égyptien en a marre de la dictature qui tue par la faim et qui réprime la moindre protestation, qui a éliminé à cet effet les libertés démocratiques et a persécuté, emprisonné ou forcé à l'exil de nombreux dirigeants et militants de l'opposition. Mais face aux manœuvres et aux « réformes » proposées par le gouvernement, le processus avance et le rejet ne se limite plus au président : « Nous voulons un changement de régime, et pas de figures » disent les manifestants (Clarin, 01/02/2011). 
   L'indignation des masses a également été alimentée par la condamnation de la politique pro-impérialiste de Moubarak, en particulier son rôle dans le soutien à Israël par le maintien sur sa frontière de l'encerclement du territoire palestinien de Gaza. Lors des mobilisations, cela s'est manifesté dans le slogan : « Hosni Moubarak, Omar Suleiman, deux agents des Etats-Unis ». Suleiman est le chef des services secrets et a récemment été nommé vice-président par Moubarak.

L'opposition bourgeoise essaye de diriger une transition négociée avec le régime

Les deux expressions politiques de l'opposition les plus reconnues internationalement sont les Frères musulmans (une vieille organisation d'idéologie fondamentaliste islamique) et le diplomate Mohamed El Baradei (ancien président de l'Agence internationale de l'énergie atomique). Ces secteurs n'ont rejoint les manifestations que plusieurs jours après que celles-ci avaient commencé. Actuellement, ils y participent et ils essayent de les diriger en prenant part aux mobilisations, dans le but d'acquérir une légitimité politique et d'essayer de les mener vers une négociation politique avec le régime, et de représenter le mouvement dans les négociations et les formes de gouvernement futures.
   Selon la presse, les Frères musulmans ont mené des négociations avec le régime de Moubarak, peu avant l'éclatement de la rébellion, pour soutenir la manœuvre de la succession par le fils de Hosni, Gamal, en échange de la légalisation de l'organisation. Rappelons que les Frères musulmans ont toujours préconisé la mise en place d'un régime de dictature théocratique comme celle de l'Iran, même si maintenant ils mettent en avant la nécessité de respecter les décisions du peuple égyptien.

Quelles sont les perspectives ?

La situation dans le pays est à un moment critique où ni Moubarak ne parvient à gouverner ni les masses ne sont parvenues à le renverser. La rébellion populaire a blessé le régime de Moubarak alors que l'impérialisme et l'opposition bourgeoise cherchent une issue pour maintenir l'Egypte dans le même rôle qu'elle occupe aujourd'hui. Moubarak, pour sa part, tout en ménageant la possibilité d'abandonner le pays (sa famille est installée dans une résidence luxueuse à Londres), manœuvre pour rester le plus longtemps au pouvoir et, essentiellement, pour avoir la clef d'une transition partielle et contrôlée. 
   Les masses - qui ont écouté le discours télévisé du président Moubarak, où celui-ci a annoncé simplement qu'il ne sera pas candidat pour les prochaines élections en septembre - sont en pleine mobilisation, défiant le couvre-feu, et ont répondu avec indignation qu'elles n'acceptent pas que Moubarak continue à séjourner au pays. Face à la force de la mobilisation, l'opposition bourgeoise maintient qu'elle ne négociera avec le gouvernement que si Moubarak s'en va. Cela dépendra des masses que tout le régime de Moubarak soit renversé et que s'ouvre le chemin pour changer l'ensemble du système au profit des travailleurs et du peuple. Ce n'est qu'avec la prise du pouvoir par les travailleurs et le peuple qu'il y aura la garantie que l'Egypte prenne réellement des mesures contre la misère et le chômage et rompe avec l'impérialisme son poste avancé dans la région, Israël.

L'impérialisme veut maintenir son influence à tout prix

L'impérialisme étasunien, tout comme l'européen, ont soutenu à fond le régime de Moubarak et ses trois décennies de dictature. Leur souhait aujourd'hui serait de maintenir le régime tel qu'il est, mais la rébellion populaire fait que cela ne serait possible qu'avec une répression poussée à l'extrême et des milliers de morts, comme le demandent les sionistes. C'est une alternative qui apparaît désormais à haut risque, étant donné la possible réaction populaire et la possibilité de division de l'armée. Nous ne pouvons toutefois pas exclure que Moubarak ordonne cette répression. 
   Dans ce contexte, le gouvernement Obama est en train de travailler avec plusieurs variantes. Selon la presse, une option est centrée sur la nomination d'Omar Suleiman (ex-chef de l'espionnage et avec un grand prestige dans l'armée), comme vice-président. Ce plan comprendrait le départ convenu de Moubarak, la mise en fonction de Suleiman en tant que président et la décompression de la situation pour essayer de sauver l'essence du régime, c'est-à-dire, conserver l'armée intacte. Les déclarations de Hillary Clinton, demandant le « changement », et ceux des hauts responsables militaires, affirmant que les revendications populaires étaient « légitimes », semblent aller dans ce sens. 
   Mohamed El Baradei pourrait également devenir une alternative, soutenue par l'impérialisme. Il se postule déjà, en tant que chef d'un nouveau gouvernement ou pour en faire partie, et il essayera de « limiter les dégâts » pour l'impérialisme. 
   La proposition des Frères musulmans de placer leur confiance dans le général Enan Samir (chef de l'état-major de l'armée), qu'ils soutiennent parce qu'il a de bonnes relations avec les États-Unis, montre comment cette organisation serait prête à faire des compromis avec le régime et faire partie de la transition. L'impérialisme se dit prêt à vivre avec le fondamentalisme, pour autant que celui-ci accepte le statu quo international. C'est ce qui s'est passé avec le gouvernement islamiste en Turquie, qui a gardé son pays dans l'OTAN et au service de l'impérialisme.

De nombreux éléments de crise dans l'armée

En tout cas, l'attitude assumée par l'armée, l'institution centrale du régime, est essentielle. Le sommet défend les grands groupes économiques et en fait partie. Mais en même temps, étant donné le système de service militaire, la base a des liens profonds avec les travailleurs et le peuple. Cela crée d'énormes contradictions au moment de la répression, ce qui se manifeste dans un début de fraternisation entre les troupes et les manifestants. Qui plus est, les officiers et les sous-officiers qui commandent les tanks ont, jusqu'à présent, été tolérants avec les manifestations, dans une situation où il n'y avait pas non plus d'ordre pour réprimer à tout prix. C'est une préoccupation pour les plans de l'impérialisme et la bourgeoisie égyptienne, et aussi un avertissement clair qu'un ordre de répression sanglante, avec la perspective de milliers de morts, pourrait diviser l'armée. 
   Aujourd'hui, l'armée garde un grand prestige et est vue comme une clef pour une issue négociée à la révolution en cours. Mais si les travailleurs et le peuple égyptien avancent, ils devront faire face à cette armée puisqu'elle est, comme l'armée de n'importe quel Etat bourgeois, au service du maintien de la propriété et du système d'exploitation. 
   Nous appelons les masses égyptiennes à ne pas se fier à l'armée en tant qu'institution. C'est la même armée qui a été, pendant des décennies, la base de la dictature de Moubarak et dont le sommet s'est enrichi au détriment de la faim des gens. En revanche, le chemin consiste à développer la fraternisation entre les manifestants et les troupes afin de parvenir à une division de classe au sein de l'armée entre la base populaire et le sommet bourgeois, tout en développant les propres organismes d'auto-défense capable de faire face à la répression. Par exemple, face aux attaques de la police, tolérées par l'armée, contre les manifestants à la place Tahrir, ces derniers ont besoin de s'organiser pour repousser et empêcher la répression.

Qui va gouverner, et pour quoi ?

Il est nécessaire de promouvoir l'auto-organisation indépendante des travailleurs et des jeunes (en grande partie sans emploi et sans avenir). Il faut développer les comités d'autodéfense des quartiers populaires qui sont apparus, en les reliant aux organisations syndicales indépendantes et aux jeunes qui appellent aux manifestations, pour que ce soient des organismes de pouvoir révolutionnaire. 
   En ce moment, le pouvoir se dispute en Egypte et la question devra se résoudre dans les jours qui suivent. Soit le régime de Moubarak parvient à mettre en échec la mobilisation des masses et à rester au pouvoir, soit les masses parviennent à le renverser de façon révolutionnaire. Dans le dernier cas, l'opposition bourgeoisie va essayer d'occuper cet espace. Il faut l'empêcher de voler la victoire aux travailleurs et au peuple. Le Mouvement du 6 avril, ensemble avec toutes les organisations populaires, des travailleurs et de la jeunesse, devraient convoquer une réunion d'urgence des travailleurs et du peuple pour discuter d'un programme au service des masses et pour prendre le pouvoir dans leurs mains pour réaliser ce programme. 
   Cette révolution n'est pas seulement contre le régime actuel. Elle touche directement l'impérialisme dominant et elle est objectivement une lutte contre le capitalisme qui a conduit les gens à la misère. Ces graves problèmes dont souffre le peuple égyptien ne peuvent être résolus, dans le fond, qu'avec la révolution ouvrière et socialiste. 

Nous avançons un programme socialiste pour la révolution égyptienne et arabe 
Nous appelons à maintenir la lutte pour que Moubarak et son régime dictatorial dégagent, maintenant ! 
Non aux manœuvres ou tractations pour une transition qui ne rompe pas avec l'impérialisme et Israël
 !
  • Pour toutes les libertés démocratiques de la presse, des médias, l'organisation politique, tous les droits syndicaux pour les travailleurs, y compris le droit de grève !
  • Pour le démantèlement de l'appareil répressif de la dictature ! Jugement et châtiment des répresseurs ! Libération immédiate de tous les prisonniers politiques !
  • Pour des élections libres maintenant ! Pour la convocation d'une Assemblée constituante souveraine dotée de pleins pouvoirs !
  • Pour une augmentation immédiate des salaires jusqu'à couvrir les dépenses d'une famille !
  • Pour un plan économique d'urgence visant à assurer un travail pour tous avec l'expropriation des banques, des multinationales et des grandes entreprises !
  • Dehors l'impérialisme et Israël ! Pour l'ouverture immédiate et complète de la frontière avec la bande de Gaza !
  • Pour un gouvernement ouvrier et populaire afin d'assurer ces mesures !

La révolution arabe s'étend sur plusieurs pays. Pour balayer Israël et l'impérialisme de la région, il est nécessaire d'unir toutes les luttes afin de retrouver l'unité de la nation arabe dans la perspective de construire une grande Fédération de républiques socialistes arabes.

Faisons une grande campagne internationale

Nous appelons à développer une grande campagne de solidarité et de soutien à la lutte du peuple égyptien et du monde arabe tout entier. Il est très important de développer de grandes manifestations dans le monde entier, en particulier dans les centres impérialistes, où il y a un grand nombre de travailleurs immigrants arabes et musulmans, pour le triomphe de la révolution égyptienne et de tous les peuples arabes. Une victoire du peuple arabe sera une impulsion pour les luttes des travailleurs à travers le monde, qui souffrent des ravages de la crise économique que la bourgeoisie et l'impérialisme font retomber sur le dos des travailleurs et du peuple.