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Ligue Communiste des Travailleurs

Section belge de la Ligue Internationale des Travailleurs -
Quatrième Internationale (LIT-QI)

« L'émancipation des travailleurs sera l'œuvre des travailleurs eux-mêmes. » K. Marx

Newsletter

novembre 2007

Le pillage colonial de la force de travail

Le Commissaire européen Franco Frattini a récemment proposé d’introduire une «  carte bleue » européenne, sur le modèle de la «  green card » étasunienne.

Un « accord » européen

Le 26 septembre 2007, le Parlement européen a soutenu ce projet. Frattini ne cache pas ses intentions : il s'agit bel et bien de « parts de marché » dans un commerce de force de travail humain. « Le défi est d'attirer les travailleurs nécessaires pour faire face à des pénuries spécifiques. [...] 85 % de la force de travail non qualifiée arrive à l'Union Européenne et seulement 5 % aux Etats-Unis, alors que 55 % de la force de tra-vail qualifiée va aux Etats-Unis et seulement 5 % à l'Union Européenne. Il faut inverser cela. ».(1) La carte bleue permettrait « de séjourner et de travailler » dans un des pays de l'Union pendant deux ans, renouvelable dans un autre pays de l'Union, pour autant que le travailleur y obtienne toujours un contrat de travail. Dans le même discours au Parlement européen, Frattini ajoutait que « pour être crédible, nous devons aussi nous attaquer à l'immigration illégale. Ce sont deux cotés de la même monnaie.»
    Quelques jours après cet accord des parlementaires européens, dans la nuit du 8 au 9 octobre, les différents partis du futur gouvernement belge sont arrivés eux aussi à un accord sur ce thème, un copier-coller de l'initiative de Frattini. L'essentiel de cet accord « gouvernemental » est de consolider « la voie de l'immigration économique ». Pour des postes vacants, on verra d'abord si on ne trouve pas les person-nes qualifiées sur le marché intérieur. On verra ensuite dans les nouveaux pays de l'Union européenne. Si on ne trouve toujours pas, l'emploi pourra être ouvert aux travailleurs hors Union européenne. Cette ouverture se fera via le système de Frattini de la carte bleue (la « green card » américaine), ce qui permettrait de limiter cette forme d'immigration. Ce permis de travail sera aussi ouvert aux illégaux se trouvant en Belgique et ayant une offre d'emploi. Des règles devraient être fixées avec les partenaires sociaux et les Régions d'ici octobre 2008.
   Toujours dans l'optique de Frattini, l'accord prévoit également une restriction accrue du regroupement familial. L'accueillant immigré devra prouver qu'il dispose de revenus au moins 25% supérieurs au revenu d'intégration avant de pouvoir faire venir un membre de sa famille autre que ses enfants mineurs. Le lundi après l'accord, l'Ordre des barreaux francophones et germanophones constatait «  avec regret que l’accord envisage de durcir davantage les conditions du regroupement familial, pourtant déjà durcies par la réforme intervenue en la matière par la loi du 15 septembre 2006 ».(2)
    La loi actuelle de politique d'asile sera appliquée. Elle prévoit une procédure raccourcie, un plan de répartition efficace et un permis de travail après 6 mois. Il n'y aura pas de régularisation collective. Les critères de régularisation seront fixés par circulaire ministérielle (et non inscrit dans la loi). Le futur gouvernement compte également augmenter la capacité et améliorer la « qualité » des centres fermés. Les familles avec enfants seront accueillies séparément. Le retour volontaire sera privilégié, mais, en cas de refus, les expulsions forcées seront maintenues.(3) 
    L'essentiel de cette politique est, en fait, en prolongation avec celle déjà définie lors du Sommet européen de Seville de juin 2002, « pour lutter contre l'immigration clandestine ». A cette occasion, l'hôte du sommet, le Premier ministre Aznar, déclarait : « Pour l'Union européenne, Séville doit démontrer que l'Europe est capable de combattre l'immigra-tion clandestine et d'établir des flux mi-gratoires ordonnés et positifs ».(4) A l'époque on mettait sur pied une banque de données d'empreintes digitales centralisée au Luxembourg, Eurodac, pour dénicher « les tricheurs ». Aujourd'hui c'est le test ADN.

Le trafic de « force de travail », un besoin du capitalisme

A l'époque de l'esclavage, il était considéré comme « normal » d'aller capturer des esclaves sur les côtes africaines, d'y sélectionner « les meilleurs », les corps sains et bien musclés, prêts à l'emploi, pour les charger en bateau et les utiliser sur le nouveau continent. A l'époque du capitalisme, il est « normal » d'acheter la « force de travail » au moindre coût. A l'époque impérialiste, il est « normal » d'importer cette force de travail des pays « sous-développés », où on peut l'acquérir sans même en payer le « prix de revient », sans avoir à dépenser pour former ce travailleur - laissant cela pour le compte du pays d'origine - sans avoir à se charger de la famille, et sans débourser un euro pour le maintenir en vie, une fois ses forces épuisées, puisqu'il devra retourner d'où il vient. La carte bleue serait donnée à quelqu'un qui est « hautement qualifié » (le pays d'origine ayant payé pour sa formation depuis sa naissance, une formation qui permet que sa force de travail vaille au moins trois fois le salaire minimum du pays « d'accueil »), qui « a déjà accumulé de l'expérience » (aux frais du pays d'origine), qui a déjà un contrat de travail (prêt à l'emploi donc), et pour un temps limité, deux ans dans un pays, renouvelable éventuellement dans un autre pays de l'UE, pour autant qu'il est toujours en condition de mettre à disposition sa force de travail (pas question de continuer à le nourrir quand il est vieux). Quant à la famille, le « regroupement familial » est considéré comme une concession hu-manitaire, laissé au critère des pays européens respectifs et dont on vient de durcir les conditions. 
    A part pour la main d'œuvre « hautement qualifiée », les entreprises qui par nature ne peuvent pas se délocaliser à d'autres pays ou la main d'œuvre est moins chère, comme dans le secteur du bâtiment, du nettoyage, de l'horeca, ont trouvé la « solution » de délocaliser la main d'œuvre en sens inverse. Mais pour que cela fonctionne, il faut bien qu'elle reste « bon marché », qu'elle ne soit pas assimilée à la main d'œuvre autochtone. C'est pourquoi elle doit rester « illégale », sans droits, sans bénéficier de protection sociale, corvéable à volonté. Seulement ainsi, cette main d'œuvre importée peut concurrencer la main d'œuvre autochtone, et en plus, faire pression sur les salaires de tous les travailleurs. Au travailleur belgo-belge, on dit sournoisement qu'il n'a qu'à accepter des conditions plus dures, étant donné que sinon, on engage quelqu'un « en noir ». Et si les grandes entreprises prennent soin de ne pas engager eux-même des travailleurs en noir et se présentent comme champions de la lutte contre ce « fléaux », c'est parce qu'ils ont quand-même accès indirectement au bénéfice généré par cette main d'œuvre, par le biais de la sous-traitance et la sous-traitance de la sous-traitance, qui dans un morcellement infini des travailleurs écume cette richesse produite par le travail humain. 
    Dans ce cadre, il est évidemment hors de question que les gouvernements et les patrons se soucient de questions même élémentaires de droit d'asile, c'est-à-dire de garantir un refuge à ceux qui, dans leur pays d'origine, sont menacés à cause de leur lutte pour une vie plus digne et contre l'oppression, à ceux qui sont victimes des guerres menées impitoyablement par les grandes puissances pour pouvoir piller les richesses du tiers monde. Le capitalisme n'a rien « d'humanitaire », il n'a qu'une seule bannière, le profit !
    Tout cela n'est possible que si l'on fait accepter par l'ensemble de la société, que dans notre « système », dans le capitalisme, il est parfaitement « moral », « légal », « juste », de discriminer les personnes selon leur lieu de naissance, tout comme lors de l'esclavage, il était « normal », « légal », « juste » qu'il y ait des hommes qui naissent « libres » et d'autres qui naissent « esclaves ». Voilà pourquoi on parle ouvertement de « critères » pour sélectionner ceux qui ont le malheur de ne pas être nés au bon endroit, et que l'on vote ouvertement au Parlement des lois sanctionnant cette honteuse discrimination. C'est dans l'essence même du capitalisme, de garantir qu'il y a toujours des « illégaux » sur le marché du travail.

Que faire face à cette injustice ?

Dans leur désespoir, face à la menace d'être renvoyés dans leur pays d'origine dans lequel ils peuvent être persécutés ou condamnés à mort, 30 sans-papiers ont entamé une grève de la faim depuis le 19 septembre, dans un bâtiment annexe au stade communal de Saint-Josse (après avoir été expulsés de l'église). C'est un ultime recours, mettant leur propre vie en danger, qui ne s'explique que par l'obstination inhumaine du gouvernement de « ne pas créer de précédent » contre le sacro-saint principe de la discrimination selon le lieu de naissance et pour le maintien, à coup sûr, du principe qu'il doit y avoir des illégaux sur le marché du travail. Parmi eux, les 12 d'origine maghrébine ont décidé de mettre fin à leur action le 1 novembre, après 43 jours Les 18 d'origine afghane ont décidé de continuer la grève, préférant même mourir ici que dans un pays où la Belgique elle-même participe à l'invasion militaire. Même le dernier semblant de « préoccupation humanitaire » emballée dans le concept de la « protection subsidiaire » n'est pas reconnu par le Commissariat général aux réfugiés et apatrides (CGRA), qui reconnaît actuellement l'Afghanistan comme un pays en guerre mais considère que le retour au pays est potentiellement, et non réellement, risqué. Indépendamment de notre évaluation de la tactique de la grève de la faim comme moyen de lutte dans ce cas, nous responsabilisons entièrement le gouvernement pour les dommages irréversibles dont peuvent souffrir ces camarades de lutte.
    D'aucuns invitent les partis au parlement pour dialoguer avec les sans-papiers, comme dans cette Conférence/Débat sur l’accord Immigration de l’Orange-bleu, au Théâtre Molière, où la parole est donnée à Bernard Clerfayt, Vice-Président du FDF (MR), à Joëlle Milquet, Présidente du CDH, à Christian Dupont, Ministre Fédéral de l’intégration sociale et responsable de FEDASIL (centres ouverts pour demandeurs d’asile), à Tinne Vanderstraeten, parlementaire fédérale GROEN (verts). Tous ces personnages se sont déjà mis d'accord depuis longtemps sur la discrimination selon le lieu de naissance, sur le fait qu'il doit y avoir toujours des illégaux en Belgique. A quoi bon alors continuer à soutenir les illusions dans les parlementaires pour obtenir la régularisation ? 
    Pour réagir contre l’accord gouvernemental sur l’immigration et afin de réclamer la régularisation des sans-papiers, un bon millier de personnes ont manifesté dans les rues de Gand le dimanche 21 octobre. Des délégations de Liège, Bruxelles, Tournai, La Louvière et Charleroi se sont déplacées jusqu’à la ville flamande pour marquer leur soutien. A Bruxelles aussi, une mobilisation a rassemblé 200 personnes le 3 novembre, sous le mot d'ordre clair et net de "Régularisez tous les sans-papiers ». Nous sommes convaincus que c'est le chemin pour avancer dans la lutte pour la régularisation de tous les sans-papiers, sans exclusions, sans division par des « critères ». Après des mois d'une certaine léthargie, soutenue par l'espérance vaine dans une « loi » de régularisation, les sans-papiers retournent à la rue. C'est sur ce chemin qu'il faut avancer.
    Pour cela, les sans-papiers ont besoin d'être organisés. Pour cela, ils ont l'UDEP, qui a déjà mené de grandes luttes. Mais dans l'UDEP aussi, se manifestent malheureusement ces tendances qui promeuvent la confiance aux parlementaires, qui invitent les organisations proches du gouvernement comme le CIRE pour semer la zizanie et diviser les sans-papiers selon les « catégories ». Nous devons nous battre pour une UDEP forte, fidèle à son critère d'origine : Régularisation de tous les sans-papiers.
    Cette lutte doit se mener ensemble avec les travailleurs autochtones. L'accord gouvernemental prévoit que des règles devraient être fixées avec les partenaires sociaux d'ici octobre 2008. L'expérience avec la haute bureaucratie syndicale nous permet de craindre que ces « partenaires sociaux » entrent dans le jeu du gouvernement. Mais c'est dans la base de l'organisation des travailleurs que nous devons nous battre pour développer la solidarité entre tous les travailleurs, tous victime de ce même complot funeste des patrons et du gouvernement de diviser les travailleurs et de faire pression sur les salaires et les conditions de travail et d'embauche de tous.
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1 Discours au parlement européen du 13/09/2007
2 www.avocat.be
3 www.guidesocial.be
4 www.solidaire.org